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Billet de blog 14 septembre 2015

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Le mépris

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La frange des déserts  est jonchée de croyances brisées

T.E. Lawrence, Les sept piliers de la sagesse.

Les citoyens européens souffrent  moins  de leur condition économique et sociale que du sentiment d’être méprisés.  D’ailleurs, les faits, les paroles et les gestes des gouvernants sont là pour leur signifier que s’ils sont méprisés, c’est tout simplement parce que ils sont méprisables. La technostructure gouvernante ne leur concède que le statut d’adolescents attardés, dont les caprices, les cris, les révoltes, ne sont que le signe d’une réaction irrationnelle propre à leur statut d’enfants gâtés. Cette superstructure ne cesse de leur répéter qu’il est irresponsable de croire, à ce début du vingt et unième siècle globalisé, à des notions surannées tels que la démocratie, la justice ou l’autodétermination.  Elle leur indique, souvent de manière frustre - pour ne pas dire goujate -  qu’ils ne peuvent pas prendre leur cour de récréation pour le monde complexe qu’elle gère, elle,  avec sérieux et compétence. Cette superstructure technicienne refuse d’intérioriser qu’elle doit rendre des comptes. Elle préfère travestir les mots qui, en règle générale, accoudés les uns aux autres, indiquent l’échec ou le succès. Le mal-être devient bien-être, l’injustice justice, la pauvreté richesse relative, l’accumulation par une infime minorité progrès, croissance ou épanouissement. La notion de liberté, se résumant à celle de consommer, celle de l’information à suivre, religieusement, les litanies télévisuelles du chemin unique.  

Ce monologue institutionnel - propre à tout pouvoir autoritaire -, se suffit à lui même quel que soit le sujet. La guerre, la croissance, le terrorisme, l’immigration, l’environnement, l’énergie, l’agriculture, la pêche, la concurrence déloyale rebaptisée loyale, la mondialisation, le commerce, les bons, les brutes ou les truands, les démocrates ou les cleptocrates d’ailleurs - jamais d’ici -,   la finance ou les paradis fiscaux ont tous droit à des définitions toutes faites,  statiques, inamovibles et anhistoriques, à des formules convenables et convenues, qui ne supportent aucune interprétation, aucune analyse, aucun processus, figées, encastrées presque dans le moule d’une novlangue ne dépassant pas, comme au sein des tribus isolées par le temps et l’espace, les trois cent mots et une syntaxe élémentaire.

Comme le souligne le directeur de l’Ecole de Frankfort Axel Honneth, cet appauvrissement sémantique plaque à toute divergence, à tout individu, mouvement ou force sociale « qui se battent afin que tout citoyen soit reconnu  en tant membre à part entière de la communauté démocratique »  d’autres mots standardisés, qui remplacent à eux seuls le rôle de l’analyse : populisme, aventurisme, angélisme, utopie, radicalisme, fanatisme, obscurantisme, gauchisme, extrémisme, toujours employés à contre sens, usant et abusant de l’amalgame ou d’archétypes dévoyés.

Cet ostracisme du peuple  estampillé comme inutile et inaudible dès lors qu’il n’est pas conforme au monothéisme borné de la superstructure dirigeante crée et renforce à son tour  la défiance, un sentiment d’injustice, et produit du radicalisme, puisque seul le cri compte. Elle a beau jeu alors la nomenclature d’affirmer être la seule force sérieuse et rationnelle, le mur ultime face aux extrémismes. Elle pense ainsi perpétuer son pouvoir, non pas comme outil de propositions et d’anticipation mais tout simplement comme protection à la dégradation du système,  comme un Saint Georges terrassant les dragons qu’elle a elle même créés.  Jusqu’à l’explosion finale, car à force de crier au loup plus personne ne la croit. C’est alors, et alors seulement qu’elle montre son vrai visage, celui  d’un pouvoir oligarchique,  violent et totalitaire. 

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