La crise en Grèce, annonciatrice par ses effets, n’en est pas moins significative sur les objectifs de la globalisation, et très claire sur les moyens employés. Ce que l’ensemble des chancelleries et des organismes transnationaux européens considère comme « progrès » et l’impose comme condition d’appartenance en leur sein, c’est l’acceptation du levier financier comme unique pôle de pouvoir. Cet objectif se décline partout de la même manière : prix du travail proche des seuils de pauvreté, paupérisation de l’Etat, liquidation des systèmes de santé et de sécurité sociale issues de la libération et des trente glorieuses, démantèlement de l’économie réelle au nom de la « globalisation » et de la « libre concurrence ».
Or, personne ne s’attarde sur les spécificités de cette énième globalisation, à notre avis très différente de toutes les autres. Sans vouloir remonter aux comptoirs phéniciens ou aux colonies de la thalassocratie grecque, les mondialisations précédentes étaient des conflits maritimes portant sur des produits existant. Il s’agissait de court-circuiter des monopoles, que ces derniers soient des routes, des lieux de production, des fournisseurs de matières premières ou à haute valeur ajoutée. Danois, Hollandais, la Hanse, les Catalans, les Espagnols, les Portugais, les compagnies des Indes, sans oublier Byzance, Venise, Gènes, les marchands arabes, indonésiens, malais, chinois, étaient des forces spécifiques perçant ou monopolisant des marchés à travers des ports, des comptoirs, des alliances variables, des monopoles, des franchises, des guerres, la course et enfin des colonies. La « mondialisation » des 18e et 19e siècle s’appuyait sur un espace colonial à préserver et ce n’est que à l’aube du 20e que commence l’antagonisme entre l’ouverture effective du marché et la contestation protectionniste qui se soldera par les deux guerres mondiales. Pendant deux millénaires, « globalisation » et « libre échange » n’étaient aucunement des synonymes, bien au contraire. Il faudra attendre le début du 21e siècle pour que la Chine entre dans cette logique, en intégrant l’OMC, et les Etats Unis, chantres de la globalisation libre-échangiste, n’ont toujours pas renoncé au protectionnisme encore très présent dans leur économie quand ça les arrange, tandis que la course inégale aux matières premières, aux hydrocarbures tout comme la préservation de chasses gardées et autres formes néocoloniales sont toujours fortement ancrées dans ce monde qui se dit dominé par l’idéologie de la libre concurrence.
En fait, la globalisation contemporaine est essentiellement financière et son support industriel se résume aux compagnies maritimes qui, elles, jouissant de statuts d’extraterritorialité, se sont émancipés de leur tutelle étatique. Et pour cause : elles transportent près de 90% des produits et marchandises pour des prix dérisoires. Sans elles aucun produit manufacturé venu d’ailleurs ne serait compétitif, et donc elles sont un maillon essentiel à la mise au pas aussi bien des « travailleurs » que des « fabricants ».
Pour le dire autrement, considérer que l’argent n’est pas un produit comme un autre, qu’il ne répond pas aux règles de l’offre et de la demande (moins il y a des disponibilités, le moins il coûte mais, bien entendu, seulement pour ceux qui font allégeance au marché) va de pair avec un dumping des transports sur l’économie réelle. Les friches industrielles vont de pair avec la bonne santé des ports qui deviennent des « comptoirs renversés » de ce néocolonialisme visant à la tiers-mondisation des classes laborieuses et moyennes. Ce qui permet, in fine, de modéliser une société dont le facteur principal d’épanouissement devient la consommation au rabais de produits insignifiants, futiles et standardisés par le bas, à travers la dépendance au marché et la perpétuation de la dette.
Par ailleurs, et selon les dires du président de Maersk, une des plus grandes entreprises de transport maritime, ce dernier, via la globalisation, a sorti de la plus grande misère des millions d’hommes, surtout en Asie, transformant les va-nu-pieds en classes moyennes. Mais il oublie, comme tous les dirigeants occidentaux, que ces nouveaux consommateurs sont privés de tous les autres attributs qui transforment homme en citoyen, et que les pays qui créent des « comptoirs de consommation » sur certaines parcelles de leur territoire (souvent les mêmes que par le passé comme Hongkong ou Shanghai) gardent la grande majorité de leurs peuples dans un statut de pauvreté extrême. En Chine on expérimente une identité de citoyen consommateur docile, en Grèce un néo pauvre résigné. Dans les deux cas la notion de démocratie est déconnectée du « processus de progrès », en Chine de manière affirmée, en Grèce avec des artifices criards. Ici comme là bas le but étant de faire croire à chaque individu qu’il n’existe que par ce que il consomme, et dès lors qu’il ne consomme pas il ne peut s’en prendre qu’à lui même. En occident on propose la fatalité du « il n’ya pas d’autre solution » en Asie on affirme le slogan : consomme et tais-toi. Et ça marche…
A suivre…