En 2003, l’OTAN prend le commandement d’une intervention en Afghanistan et les Etats Unis renversent Saddam Hussein en Iraq.En 2011, Kadhafiest liquidé. La même année, les pays occidentaux appuient la révolte syrienne et en 2014, celle-ci se transforme en un bras de fer tripartite entre Daesh, le régime syrien appuyé par la Russie et les Occidentaux. Ainsi, entre 2003 et 2016, de Kaboul au Moyen Orient, la région s’enflamme, avec des extensions en Egypte, au Sahara,à la péninsule arabique et en Afrique sahélienne. L’ensemble de ces conflits renforce les puissances régionales, Turquie et Iran devenant des protagonistes incontournables. En conséquence, la Turquie devient intouchable et l’Iran revient par la grande porte au sein de la communauté internationale. Par ailleurs, la Russie entérine aussi bien l’annexion de la Crimée que son hégémonie sur les ex républiques soviétiques, devenant un acteur incontournable dans le conflit syrien.
Si les Etats-Unis et l’Europe voulaient faire la démonstration de leur faiblesse, ils ne se seraient pas pris autrement. S’ils voulaient créer de toutes pièces un monde ingérable, non plus. S’ils voulaient se décharger de leur suprématie (toute relative) en offrant les clés de toute solution au chaos qu’ils ont créé à leurs supposés adversaires, ils n’auraient pas pu faire mieux. S’ils voulaient, en se lavant les mains, faire sous-traiter par des dictateurs, des autocrates, des mafieux, des théocrates les conflits qui les dérangent - pour pouvoir verser leurs larmes de crocodile sélectifs -, ils n’auraient pas agi différemment.
Les raisons de cette situation sont multiples. Mais on pourrait décliner la matrice la plus importante, celle qui engendre toutes les autres. Il s’agit du refus de concéder à la complexité de notre monde, de croire que la globalisation est synonyme d’uniformité, de penser que la mondialisation financière est lisse et uniforme et qu’elle accouche d’un monde sans aspérités, où la technicité règne sans partage. De croire aussi, comme on croit à un dogme infaillible que les Etats, les peuples,les hommes n’ont aucune possibilité de s’opposer à ce monde dépourvu d’objectifs autres que celui de s’enrichir et de consommer.
L’Histoire pourtant enseigne que le retour de balancier est non seulement possible mais aussi très fréquent. Sans avoir besoin de se référer à ce qu’advint l’âge d’orgrec ou la Techné et la démocratie furent remplacés par un retour brutal du religieux et à des pouvoirs royaux autoritaires, pensons un peu soit-il aux hommes et aux régimes de la fin du dix neuvième siècle qui rêvaient d’un futur technique et innovant radieux et se réveillèrent par le désastre absolu de la première guerre mondiale. A l’époque, la course aux armements était déjà considérée comme une arme de dissuasion, qui s’avéra être un piège mortel que ni les « sages » gouvernants ni les citoyens « engagés » ne purent éviter. A la veille de la révolution française, comme aujourd’hui, on concédait qu’il y avait des déçus, des victimes, des laissés pour compte d’un processus infaillible, tout en supposant qu’ils ne sont que menu fretin, que des muets amers subissant l’évidence. Comme l’écrit très justement Régis Debray « le vingtième siècle rêva, lui aussi, de remettre le compteur à zéro, hier par la révolution politique et aujourd’hui par la révolution technique. Résultat, on a l’ordinateur qui a changé nos façons de faire, mais la charia avec… Allah et les microprocesseurs ».
L’Histoire n’est pas un long fleuve tranquille et surtout pas un vecteur à sens unique. Ce qui renverse son cours c’est justement de croire qu’il est inaltérable. Après tout, l’œcoumène n’est pas un mouton maniable, suivant à la lettre les ordonnances issues des traumas de l’Occident, surtout quand ce dernier exhibe une stratégie de l’impuissance.