Entre commémorations, repentances, reconnaissances institutionnelles de tout genre, récits défigurés remplaçant des mythes fondateurs, la mémoire, qu’elle soit collective ou individuelle dépérît. Reste la nostalgie, cette farce du réel, bien entretenue par les gouvernants et servie aseptisée par les médias, les discours officiels larmoyants et les poitrines décorées d’un autre âge, signifiant - pour ceux qui savent les reconnaître -, qu’en d’autres temps, en d’autres lieux, quelque chose d’important, d’historique a été accompli mais dont le citoyen contemporain n’en sait plus rien, prenant ces vestiges du passé pour des décors hollywoodiens. Donc du spectacle.
A l’opposé, le Mondial, de manière certes simplissime, accapare l’identité, quelle soit locale, nationale voire continentale, engendrant (chez les chantres de l’imbécillité) des diatribes sur la pureté ethnique des équipes en tant que facteur déterminant de leur victoire. Le foot est désormais tout, sauf du spectacle. Caricature des maladies congénitales de nos sociétés, que celle-ci concernât l’argent, la globalisation, le renouveau nationaliste, l’esprit totalitaire et revanchard, l’identité ou l’insensibilité sociale, les connivences (et la symbiose) entre les affaires et le crime organisé, il caractérise parfaitement la vacuité, mais aussi le message biaisé (mais fortement intéressé) dont sont nourris les citoyens.
A défaut de révélation de l’agent dans l’acte, écrivait Hannah Arendt, l’action perd son caractère spécifique et devient une forme d’activité parmi d’autres. Cela se produit chaque fois que l’unité humaine est perdue, c’est-à-dire lorsque l’on est seulement pour ou contre autrui.
La mise à jour de la mémoire collective avec une cadence infernale, celle du journal télévisé entre autres, transforme en champ nostalgique l’Histoire et en consommation panique les faits et gestes des gouvernants, qui, ainsi, ne sont responsables que de l’instant. En conséquence, les impasses, les enseignements d’un échec, la constance de la durée de l’action politique (que l’on nome désormais enlisement) n’existent plus. Et tout est fait pour que les choses restent ainsi. Pourtant l’Histoire récente enseigne, insiste même lourdement, frappe quotidiennement à leurs portes avec des messagers divers : chômage, Afghanistan, Iraq, Libye, décroissance/stagnation, Mali, Centrafrique, insécurité bancaire et financière, etc. Cependant, cette répétition de désastres n’enseigne rien. Dans le Roi Lear, Shakespeare avait bien décrit cette vacuité arrogante et amnésique de nos gouvernants, quand Hotspur, Glendower et Mortimer se querellent sur leurs parts d’un royaume encore inconquis.
C’est donc par manque de mémoire que la perception n’a plus besoin du réel pour fonctionner. Les fables servies sont tellement bien ficelées et répétitives que ceux qui les inventent y croient aussi…