Toute chose, selon Kant, aurait soit un prix soit une dignité. L’un excluant l’autre. Avilir serai de la sorte un processus qui, soustrayant de la dignité a un pays, un individu, un paysage, un métier, une ouvre d’art ou, tout simplement, une armoire, ne lui laisserait que sa valeur mercantile. En effet, si le prix est relativement aisé à être défini, la dignité, elle, est la conséquence complexe du vivre et du savoir, du passé et de l’éducation, du sacré, de l’éthique et de la morale, de l’hiérarchie des choses, du respect de soi et de celui que tout être ou objet inspire aux autres. Avilir un objet pourrait tout simplement consister à l’enlever de son milieu ou lui enlever sa fonction primaire. Avilir un être consiste à le corrompre en soustrayant, les uns après les autres toutes ses qualités (et défauts), ne le considérant in fine que comme une unité interchangeable ou une simple donnée statistique. Les avilisseurs professionnels qui connaissent bien la mécanique, s’acharnent à qualifier un individu, mais aussi un peuple ou un pays par un cliché négatif, sensé remplacer la complexité de son histoire, de sa personnalité, de son idiosyncrasie. Les racistes professionnels, c’est à dire ceux qui s’acharnent à déplacer les problèmes qu’ils ont eux mêmes créés sur le dos d’un bouc émissaire, connaissent aussi bien la mécanique : ils s’acharnent à définir l’autre comme par construction inférieur, mauvais, dangereux…
A Malte, en entrant dans un musée qui n’en avait pas l’air, dans un fouillis d’objets mal éclairés vivotant dans la pénombre, au bonheur d’un recoin, je la rencontrai. La beauté dormante (sleeping lady), minuscule, était là et soudainement, comme devant tout chef d’œuvre, ma pensée dérailla, partit en tous les sens, souvent contradictoires. Malte la catholique cache donc sciemment, pour que l’on la trouve, une beauté qui transcende temps et religions, et sublime l’art sacré plusieurs fois millénaire ; Infinie dans ses quelques centimètres carrés, ovule de la fertilité, nonchalante mais oh combien active. Du coût, la nature même de ce musée se dévoile. Il est là pour disparaître, pour s’évanouir au profit de la belle. Car d’autres statuettes, elles aussi puissantes, existent. Je pense à celles du musée cycladique d’Athènes qui, pris entre l’arrogance des moyens (que l’on nomme aujourd’hui muséographie) et un m’as-tu-vu mercantile et multiplicateur, si loin du soleil écrasant des Cyclades, elles on fini par perdre leur aura. Ces déesses de la fécondité ne sont plus que des objets, dont la première chose que forcément l’on remarque c’est leur obésité déplacée au sein de ce musée hygiénique dont il ne manque que l’odeur du formol. Il faut chercher une œuvre d’art, finir par la trouver, y chercher courageusement un face-à-face souvent déstabilisant, qui n’a d’autre fonction que de vous mettre en cause… Qu’a-t-on fait de nos musées sinon une machinerie qui soustrait de la dignité aux œuvres et à nous mêmes ?
Nicolas Sarkozy, enfant naturel de cette suspension temporelle qui sublime l’instant comme qualité première et méprise le passé, reprochait aux français de ne pas aimer l’argent. En France disait-il, on a une sale manie d’en vouloir aux riches. Comment cet homme pourrait simplement comprendre qu’à tout ramener à l’argent on finit par détruire la fonction pour la quelle il a été crée, c’est à dire l’échange ? Quand j’étais gosse, je me rappelle très bien par ce qu’à l’occasion les cours étaient supprimés pour une demie journée, il y avait le jour de l’épargne. Un monsieur savant venait nous expliquer qu’il ne faut pas tout dépenser, qu’il faut mettre de l’argent de côté, et que cela garantirait nos vieux jours. Les banques disait-il ça sert à ça. A garantir votre futur. Puis vint la transe de l’emprunt et Lehmann Brothers. Que fait donc aujourd’hui le successeur de cet homme savant ? Il explique aux enfants qu’il faut faire des économies pour payer les dettes des autres, en occurrence de son gouvernement et des banques sensées garantir ses vieux jours ? Ou, courageusement, il leur explique qu’à force d’accumuler ont finit par perdre âme et argent. Les riches perdant leur âmes et les pauvres leur argent ? Mais, pour singer la controverse de Valladolid, les riches ont une âme ?