Un proverbe libanais nous dit : « fais attention, ce que tu désires pourrait t’arriver ». A quelques jours des élections européennes, les signaux émis à travers toute l’Europe sont contradictoires et reflètent l’émiettement des peurs, la balkanisation des ressentiments, la confusion des désirs, la prolifération des incertitudes, sur lesquels navigue, moins discrètement que par le passé, le bulldozer institutionnel et technocratique des eurocrates. C’est que ces derniers, après avoir, sans vergogne, outrepassé leurs droits en s’invitant dans la vie publique de plusieurs pays membre, après avoir imposé leur volonté politique et leurs certitudes financières, après avoir géré la crise comme des autocrates - qu’ils critiquent partout ailleurs -, après avoir transformé des pays démocratiques en désert politique par l’imposition d’une pensée libérale unique (qu’ils vendent comme une fatalité apolitique), se trouvent aujourd’hui nus : ces élections semblent introduire au sein même du parlement européen et à la présidence de la Commission l’incertitude démocratique. Pour la première fois, le vote citoyen, certes dispersé, certainement produit de l’exaspération, assurément manipulé, peut toutefois mettre en cause le train-train des deux blocs « politiques » - le mot juste serait « de gestionnaires permanents »- de la machinerie européenne. Ces deux groupes, forcément d’accord sur tout et se jouant la différence, avaient l’habitude de gérer, ensemble ou chacun à son tour, la fatalité européenne, elle même produit de négociations au sein du Conseil, c’est-à-dire de marchandages derrière un rideau, qui, en général, aboutissent à des directives que les gouvernements imposent via la Commission quand ils sont incapables de les imposer à leurs peuples respectifs. Depuis la crise, des structures paternalistes au service de la pensée financière unique, tels l’Euro group ou la Troïka, sont chargés d’imposer « au nom de l’Europe », de manière bien plus distincte et musclée, la vision messianique et doloriste du dit Conseil, désormais sous la tutelle allemande. Cet abus de pouvoir, cette dérive institutionnelle, ce péronisme maqué, du fait d’une absence totale de contre-pouvoirs a accouché d’une autre crise à laquelle ont pourrait donner plusieurs noms : crise humanitaire, crise identitaire, crise des valeurs, crise institutionnelle, crise économique (et ici il s’agit de l’économie réelle, pas celle des banques et autres institutions financières qui, au contraire, ont profité de largesses inouïes de la part de la Commission et de la BCE), etc.
On pourrait résumer cet ensemble de crises par ce qui les englobe : crise du politique. Cette crise ne disparaîtra pas le lendemain des élections. Mais, probablement, les institutions européennes devront désormais gérer en leur sein l’entropie qu’elles ont promu dans un nombre important des pays membre : pas de majorité stable, présence de discours politiques hors sérail, contestation des structures et des décisions, incertitudes quand à la durée de l’exécutif, fin du monopole des lobbys discrets, émergence des pressions citoyennes. C’est sur cet environnement entropique mais enfin vivant que les politiques alternatives doivent émerger. Le temps où l’inaccessibilité aux leviers décisionnels permettait d’être simplement « contre » s’achève. Reste la grande question : que faire ?