Murray Gell-Man expliquait que l’entropie peut être considérée comme une mesure de l’ignorance. Partir du connu pour imposer l’inconnu, implique que l’on sache qui l’on est, où l’on va et ce qu’on veut, aussi bien que la nature de l’adversaire. Sinon, prévient Sunzi, on perd inéluctablement toutes les batailles. La question sur le conflit en cours au Mali, n’est pas de savoir s’il est justifié. Après tout, selon Machiavel une guerre est juste quand elle est nécessaire. Mais l’est-elle vraiment et si oui, pourquoi et pour qui ? Selon n’énoncé, la « justification » comme disait Rome qui s’est créé un empire sans jamais mené une guerre offensive, sans intervention extérieure le Mali était perdu. Mais ne s’était-il pas perdu de lui-même, noyé dans des montagnes de cocaïne que les plus hauts gradés de sa propre armée acheminaient vers l’Europe, avec l’aide d’une partie de ceux que l’on désigne aujourd’hui comme des terroristes du désert et contre lesquels on part en guerre ? Ne l’avons nous pas déjà sabordé avec les plans de réajustement structurels que le FMI lui avait imposé cassant croissance rationnelle, économie durable, celle-là même que l’on propose comme modèle à une Europe économiquement déboussolée ? Ses institutions démocratiques que l’on montrait comme modèle à suivre, n’étaient pas elles-mêmes ce que l’on désirait à défaut d’être celles dont le pays avait besoin ?
Dans un gigantesque troc des dupes, une grande partie de l’Afrique (dont le Mali, la Mauritanie, le Tchad, la Cote d’Ivoire, le Sénégal, le Ghana, le Niger et le Nigéria) exportent ce dont nous avons besoin (matières premières et « stratégiques », services immatérialisés, produits des cultures de rente, etc., et importent nos institutions. Ils exportent aussi ce dont on fait semblant de ne pas en vouloir, car en réalité il sert à perpétuer des discours aussi maximalistes que ceux que l’on accuse d’être des terroristes, et qui participent « informellement » à notre propre économie que ce soit pour des activités « intégrées » (bâtiment, services) qu’interdites (trafics, contrefaçon, etc.). Cette partie, dite « informelle », floue et obscure n’en procure pas moins des profits et des dividendes, concentrés à plus de leurs deux tiers dans nos propres pays. Ils sont le fait du crime organisé, européen et international, dont les africains en perçoivent une part (pour une fois non négligeable). Les bandits caravaniers (aujourd’hui considérés comme la « menace terroriste prioritaire ») jouent dans ce trafic leur rôle, et des potentats (plus ou moins à notre solde) « rationalisent » et supervisent leur trafic, et garantissent, entre autres, les « quotas supportables » car, pour paraphraser Emmanuel Kant, on mesure l’intelligence à la quantité d’incertitudes qu’on est capable de supporter. La destruction systématique des sociétés africaines, vendue comme des bonds en avant vers son intégration à la ville - monde et la mondialisation, connaît aujourd’hui des soubresauts qui auraient du, de la part des protagonistes de cette déstructuration structurelle, être au moins attendus. Qu’elles prennent la forme du printemps arabe, des coups d’Etats, de la renaissance fondamentaliste (faute de mieux) de l’atomisation et de l’autonomie de certains de ses acteurs « informels » dans les casernes les ports ou dans les déserts, ces contestations ne sont que le feedback, la fuite contrôlée de vapeur permettant que la cocotte minute n’explose pas. Les considérer comme la menace principale et partir en croisade contre elles, ne fait, comme dit Dominique de Villepin, qu’augmenter le chaos dans la région, c’est à dire qu’il atteigne un niveau d’incertitude que les dirigeants de l’Occident ne peuvent plus supporter. Il propose de faire semblant de laisser l’initiative aux forces africaines, en les « soutenant », comme l’explicite formellement le mandat onusien, ce qui permet d’intégrer le feedback entropique au sein du « connu ». Le président de la république a décidé de partir en guerre, et en sortira quand il pourra, toujours selon Machiavel. L’ancien Premier ministre voudrait que rien ne change sous une forme de fausse autonomie africaine assistée. Tous les deux, cependant, ont tort. Car l’un et l’autre sont les victimes d’une idée et d’une réalité qu’ils ont voulu perpétuer et promouvoir mais qui n’est plus hégémonique. Martin Heidegger insistait sur le fait que l’Histoire est une projection dans le passé que l’homme se choisit. Jusqu’ici, cette Histoire n’était pas projetée de manière égale : celle qui est à nous était à nous, et celle de l’Afrique était à nous aussi. Dès lors que l’histoire de l’autre est niée et le présent continue à être raconté comme une fable qui en découle, il y na des fortes chances que toute version désirant maitriser le chaos de manière unilatérale en génère un autre, complètement inattendu et surtout insupportable…