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Billet de blog 20 janvier 2015

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Où est passée la pensée ?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

On dit souvent que le monde de l’islam est figé. Qu’il manque de théologiens capables d’amener cette religion à un aggiornamento similaire à ceux qu’a connu le monde chrétien.  Inutile de dire en se référant à l’histoire que si au sein du monde chrétien il y en a eu un, cela n’est pas dû aux églises elles mêmes, mais au fait que les société civiles lui ont imposé par leur force intellectuelle un statut limitant son action au sein de la société. L’hiérarchie religieuse, jusqu’à très récemment - et avec quelques exceptions lumineuses -, a toujours été réactionnaire au progrès et conservatrice quant aux mœurs, et c’est pas son rôle durant la guerre d’Espagne ou le sort qu’elle réserva à la théologie de la libération qui le contrediront. L’Eglise du Christ roi a toujours eu un faible pour les monarchies, l’ordre, les puissants, les pouvoirs autoritaires, esclavagistes, à condition, bien entendu, qu’ils n’agissent pas contre elle. Staline non, Poutine, oui.  C’est donc la force intellectuelle des clercs de la Cité qui a progressivement encadré l’institution religieuse et l’a forcée à s’occuper exclusivement de ses affaires, puisque le message christique « rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu », avait, dès les origines, été trahit par la bureaucratie religieuse se pensant pouvoir. Ce pouvoir accaparant le monopole de l’interprétation du bien et du mal, sans brides usait et abusait d’autodafés, de persécutions d’alothrisques, de bûchers d’hérétiques, ou brûlait les icônes représentant Dieu en exterminant ceux qui les adoraient. 

La question donc qui se pose est autrement plus complexe et vertigineuse : Où sont passés les intellectuels ? Non pas les intellectuels en terre d’islam, mais les intellectuels externes à toute religion. Ceux-là même qui on inventé le concept de laïcité, l’on protégé et ont fini par l’imposer.  Où sont passé les libres penseurs, les philosophes, les sages de l’écoumène ? Ceux qui combattent le fait religieux en tant que structure de pouvoir ou élément conservateur et régressif ? Ceux qui ne s’alignent pas discrètement à la réponse sacrée et n’adossent pas les messages des théocrates depuis Riyad, Jérusalem, Rome,  Mumbai ou  Moscou ?  

Malraux disait que le XXIème siècle marquera le retour du sacré. Il avait tort. Il devient celui de la vacuité intellectuelle, des royaumes et des « républiques » théocratiques, du retour sur l’Agora des clercs religieux (que leur message soit « progressiste » ou « réactionnaire »), des intégristes, voire de la coexistence entre le technique et le religieux, ce qu’en Malaisie on appellera, dès les années 1980, « islamisation  de la modernité ».

C’est vrai qu’intellectualiser sur le marché, sur  le néolibéralisme, sur le consensus mou de la défense des acquis, la superstructure européenne ou des valeurs artérioscléroses et malmenées devient mission impossible : mieux vaut partir en croisade pour les imposer ailleurs plutôt que de réfléchir sur leur lente agonie  ici - même.

Ainsi donc, en France, la complexité du monde se résume en la question de la tolérance envers les religions et de celles-ci entre elles. Mais où est passée une petite moitié des citoyens qui se déclarent sans religion ? Eux ne sont jamais offensés ? Leur rôle se résume à subir les dérives du religieux, ses excès, ses discours ? Sont-ils Dieu qui doit inlassablement accepter le retour de la brebis égarée ?  

En fait ce qui mine nos sociétés sous l’apparence d’un sacré intouchable c’est la géopolitique et l’absence de mots pour la décrire : Israël est sanctuarisé, la faute impardonnable de la shoah le protègeant. Le fondamentalisme saoudien, revendiqué en tant que tel par ses rois - clercs est pareillement sacré, le pétrole étant son bouclier.  Pour des raisons plus complexes mais aisément identifiables, les trois pays qui forment un axe  le long des frontières sud de l’ex Union Soviétique (Pakistan, Iran, Turquie)sont aussi relativement intouchables. Il en va de même pour l’Algérie et le Maroc. Enfin, aux pays de l’Asie centrale on observe un essoufflement des empires jadis hégémoniques. Cela  a comme conséquence que les foyers centraux d’une « contestation stratégique globale et polymorphe» restent intacts.  Les interventions, faute de mieux, à la périphérie de ces espaces (Afghanistan, Libye, Géorgie, Ukraine, Iraq, Syrie) au lieu de confiner les problèmes près de leur source les ont globalisé.  C’est qu’entre temps nous sommes passés au XXIe siècle, à la fin de la guerre froide et à la globalisation économique. Ce qui était passablement concevable entre 1950 et 1985, c’est-à-dire les guerres « confinantes » par procuration,  ne l’est plus. Tout simplement par ce que tout conflit aujourd’hui devient global, exportable et autonome à la fois.  

La deuxième variante de l’impasse est politico-économique. Aucun des pays dits occidentaux ne remet en cause la globalisation, même si celle-ci est un mécanisme bien rôdé de transfert criard de richesses des plus pauvres aux plus riches.  Constater que d’ici deux ans un pour cent de la population possèdera plus que les 99% restants n’est pas un simple constat statistique. Cette incapacité d’agir sur le monde et sur l’économie génère forcément de l’entropie. Quand les hiérarchies de l’UE et de ses pays membre conditionnent leur solidarité à la poursuite des « réformes » ils ne sont plus entendus. Tout simplement parce qu’aux pays visés (Grèce, Espagne, etc.) ces réformes ne sont qu’un mécanisme législatif de transfert de richesses depuis les classes moyennes et pauvres vers une oligarchie prédatrice. Pire, cela est parfaitement visible.

Le manque d’anticipation - et donc de politique - a une conséquence dramatique : on agit sur les effets et non plus su les causes. On agit à la marge ou la périphérie des problèmes et non pas sur les problèmes eux-mêmes. Et quand, rarement, on a un certain résultat on crie victoire. On agit par conviction routinière s’éloignant chaque jour un peu plus du réel et de ses indicateurs. En d’autres termes on est ailleurs. Par habitude, discours bien rôdés et lénifiants et en s’éloignant de plus en plus de la culture du résultat et la pratique de la vérification. Pas étonnant que la réalité nous surprenne et nous offense quotidiennement…  

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