Le ciel et immense. Immaculé, limpide, d’un bleu métallique, presque palpable, écrasant. Sur terre, la poussière. Rouge et ocre. Envahissante, piquante, tourbillonnante. Des chemins qui ne sont pas des chemins, des routes incertaines, se perdant dans un nulle part et dont seuls les habitants du coin savent donner une signification. Ici, on ne calcule pas la distance entre les hameaux mais entre les puits. Ici, Podemos et Syriza sont loin et Boko Haram un absent omniprésent. La faim n’est pas une donnée statistique mais une réalité quotidienne que l’on trompe ou l’on affronte avec mille stratagèmes, quelques plaintes et pas mal d’arnaques. Ici pourtant, les pieds dans la poussière et les yeux rivés à l’immensité céleste, on se dit que les voix des indignés du monde entier se retrouvent, comme un écho lointain, comme une apparition biblique, comme un tourbillon follet inspirant les derviches tourneurs. Dans ce nulle part, le monde s’explique. A la chinoise d’abord. Nous sommes entrés dans l’année de la chèvre, et il faut prendre exemple sur cet animal doux et docile pour aller de l’avant, dixit le Parti Communiste Chinois. Mais ici, les chèvres sont encore plus faméliques que les hommes, inquiètes et belliqueuses, presque inutiles : pas de chair, pas de lait. Ne reste que leur agilité frondeuse et leurs cornes, enfin utiles. C’est presque oxymore de parler d’ici du discours halluciné du premier ministre français, qui justifie un acte antidémocratique au nom de la responsabilité envers la nation et face à l’immobilisme et l’irresponsabilité de tous ceux qui ne veulent pas cautionner la régression du quotidien, l’usurpation de leur dimanche, l’allègement des règles et de leur portefeuille. Son ministre de l’économie pastichant, lui, De Gaule : les millionnaires parlent aux fauchés. Ici, comme en France, on ne écoute pas le premier ministre. Surtout pas quand il parle d’union nationale, et s’habille des loques de Charlie pour fustiger le terrorisme. Car, sur cette terre poussiéreuse du Nigéria, comme en Egypte, comme en Guinée, comme en Côte d’Ivoire, comme au Cameroun, bien avant les terroristes il y avait des espoirs que l’Europe, la France, la Grande Bretagne, les Etats Unis ont assassiné, choisissant en outre comme meilleur ami la matrice avérée de tous les rejetons islamistes. Où, de Nouakchott à Riyad, ils travaillent main dans la main avec émirs et scheiks pour exfiltrer les matières premières, enrichissant rois moyenâgeux et présidents cleptocrates, appauvrissant et en volant le futur aux populations irresponsables qui osent, encore, espérer l’inespérable.
Ce qui nous ramène à Podemos et à Syriza. Voilà donc, au cœur de l’Europe, des nègres qui n’acceptent pas le sort qu’on veut bien leur octroyer. Qui pensent qu’affamer une population n’est certainement pas la bonne voie. Que le sacrifice est un choix personnel. Ils veulent bien se sacrifier pour le bien de leurs enfants, que ces derniers aient à nouveau des choix, mais qu’ils ne sont plus du tout d’accord d’être sacrifiés comme des chèvres, pour le bien-être des banquiers, la quiétude des eurocrates et le culte du marché.
Il y a une réflexion à mener sur la violence. Celle des sales de réunion aseptisées qui réduisent le citoyen en facteur statistique. Celle des chancelleries qui se perdent dans des contradictions sans fin, celle des exécutifs qui monologuent manipulent, montrent des moulins à vent qu’ils nomment Sarazins, tandis qu’ils discourent sur l’égalité des chances. Celle du monologue autoritaire des puissants. Celle de l’instant, de l’urgence, des médias qui soustraient aux citoyens le choix, le droit de réfléchir, le libre arbitre. Sans cette réflexion, on finira par s’y habituer à celle des djihadistes utilisée comme épouvantail (même les corbeaux s’y habituent), quitte à participer à des messes cathartiques, aussi éphémères que vidées de leur sens, chaque fois que les victimes seront bien de chez-nous. Car celles d’ici, les victimes anonymes et quotidiennes, il y a longtemps qu’ils ne font plus partie que du fait divers.