A quelques semaines de l’élection présidentielle française, les droites européennes boudaient François Hollande, anxieusement solidaires d’un président en perte de vitesse et déjà condamné : les citoyens européens, quel que soit le pays, quel que soit la couleur politique des gouvernants, prenaient un malin plaisir à sanctionner tout chef d’Etat ou de gouvernement qui avait capitulé devant le marché, qui l’avait perçu comme une évidence, un ça va de soi, un sens unique. Autiste aux analystes, toujours les mêmes, qui s’agenouillaient devant le totem néolibéral, les peuples européens exigeaient de l’intelligence, du courage, de la révolte pour justement contester cette « fatalité », refusant un suicide collectif annoncé. La chute de la maison Sarkozy, c’est aussi l’échec de tous les stratagèmes, de toutes les diversions visant à éloigner les citoyens du seul enjeu qui vaille : celui de la dette. Nicolas Sarkozy fut le champion de ces ruses : il parla émigration, frontières, identité nationale. Tel un Don Quichotte parti en guerre contre les moulins imaginaires, il chercha des nouveaux nés à l’âme criminelle, chassa des « pauv’ cons », terrassa la racaille banlieusarde avec le Kärcher, fustigea le laxisme européen, bombarda certains dictateurs pour faire oublier qu’il les trouvait, quelques mois auparavant, maniables et surtout généreux. Malgré ce savoir faire - reconnu de tous - pour déplacer les problèmes, offrir des mirages et terroriser la ménagère, il perdit, lui aussi. Le président élu à sa place n’a ni la force d’Hercule, ni la volonté d’un Titan, ni même la méthis d’Ulysse. Il se définit comme « normal » mais, malgré cette normalité, il propose, enfin, quelque chose de différent. Il parle croissance, identifie la finance comme ennemi principal, et s’engage à contester la fatalité du marché. Ce n’est pas le Pérou, mais c’est déjà quelque chose, une brèche faite à l’uniformisation et l’iniquité boursière, et cela, manifestement, a suffi. Mieux vaut, se dit le peuple français quelqu’un qui identifie le problème et s’engage à négocier, ne serait-ce qu’à la marge, plutôt que capituler, en faisant payer tous les autres le prix de la capitulation. En Grèce, la capitulation a déjà eu lieu. Le peuple, subissant la loi d’airain du marché et de ses colporteurs politiques (dont l’ex - président français) sait que dans son cas, négocier c’est capituler. Que le marché, Merkel ou la Troïka ne s’attardent pas sur les détails et les résultats de cette capitulation. Que la déchéance, la pauvreté, le chômage des autres leur importent autant qu’une vieille paire de chaussures oubliée dans un débarras. En conséquence, le chaos économique, social et existentiel qu’ils ont crée dans ce pays a trouvé son expression politique : les gardiens du temple capitulards se sont effondrés, et la fureur populaire s’est exprimée par une multitude de partis, dont la presse n’a retenu que l’émergence du parti neo-nazi, sans doute attirée par son côté authentiquement fasciste et parce que faire peur reste son dada favori. Or, de ce magma politique émerge un autre parti, de gauche, arrivé second en multipliant ses voix par quatre et que tout le monde s’empressa d’identifier comme radical. Mais SYRIZA est radical par rapport à qui ? à quoi ? Comparé aux radicaux valoisiens ou au Pasok défloré, séduit par les mirages de la Troika, puis abandonné certes, il l’est. Tout au mieux, pourrait-on dire que la radicalisation inhumaine des mesures imposées au peuple grec, le sentiment de perte de souveraineté, les dictats et autres pronunciamientos de la part des partenaires européens, les chantages, ont radicalisé l’ensemble de la société grecque et que SYRIZA, en exigeant un Etat de droit juste et efficace, en refusant la fatalité du marché, en exigeant un audit de la dette, paraît comme révolutionnaire. C’est les temps qui ont changé, pas lui. En ce sens, il envoie un message : ce qui vous paraît « normal », allant de soi, évident ne le sera plus, tant que vous laissez le marché imposer sa loi. Pour le président Hollande, ce message il est primordial qu’il l’entende. Lui qui se veut normal, apaisant et consensuel doit anticiper cette radicalisation des possédants, se préparer à une transformation révolutionnaire : bientôt, si les règles et le fonctionnement du marché ne sont pas radicalement mises en cause, pour rester normal, il lui faudra se radicaliser. La préservation de l’Etat de droit, la croissance, la solidarité nationale deviendront des objectifs rebelles. Raison de plus pour entendre Alexis Tsipras, le président de SYRIZA. Et de ne pas l’ostraciser, comme l’ont fait les dirigeants européens avec lui-même. Face à une assemblée de gouvernants souriants se voulant charmeurs, que François Hollande veuille bien écouter les Cassandre, qu’elles soient grecques, espagnoles ou irlandaises. Elles racontent ce qui est en train de se passer, et pas ce qu’il voudrait qu’il se passe. Qu’il entende aussi ce qu’a à dire le Front de Gauche : il fait partie de l’équation, de la solution et pas du problème.
Les élections à venir en Grèce, dans moins d’un mois, feront de SYRIZA le partenaire obligatoire de la solution européenne. En Italie, en Irlande, en Espagne, les citoyens indiquent clairement que la capitulation à la fatalité du marché ne fait plus partie de leurs options. Et en Allemagne, les citoyens soit disant « satisfaits » de leur chancelière lui infligent défaite après défaite. Le président français devra bientôt assumer les paroles de Benjamin Constant : Le gouvernement est stationnaire, l’espèce humaine est progressive. Il faut que la puissance du gouvernement contrarie le moins qu’il est possible la marche de l’espèce humaine…