Nous ne sommes pas encore réduits, madame, à prendre pour modèles les peuples que vous vantez écrivait Savary, - alors ministre de police -, à madame de Staël, pour justifier l’interdiction de son livre sur l’Allemagne. C’était en 1814, et pour le ministre il s’agissait de s’introduire par la grande porte du pouvoir dans la querelle entre « romantiques » et « classiques ». Un siècle plus tard, en 1934, Emile Henriot, amusé, écrivait : de quelque étiquette qu’on les couvre, pour les classer, il y a des œuvres vivantes parce qu’elles sont vraies ; c’est tout. Le reste est exercice de style. En 2014, le pouvoir s’insère dans le conflit israélo - palestinien, en faisant la même chose : il choisit son camp et interdit que l’on manifeste pour l’autre. De la sorte il nous dit : nous ne sommes pas encore réduits, chers citoyens, à comparer la violence de l’Etat à celui des peuples et encore moins à celle de leurs organisations. Cette fin de non recevoir génère bien entendu bien plus de violence que la bataille d’Hernani. D’autant plus que, pour citer Sophocle, du fâcheux comportement rien ne peut naître que de fâcheux. Il en est ainsi pour le mur érigé en Israël, comme pour les diatribes d’un premier ministre français qui fait la promotion de ses bâtisseurs. Pourquoi s’étonner alors (ou en faire semblant) quand une manif dégénère ou, qu’un peuple prenne les armes. Certes, les mouvements fondamentalistes - que les dirigeants d’Israël ont pris grand soin de mettre en selle -, se sont radicalisés. Les décennies de camps, d’exil, de souffrances, de dédain et de privations en auraient fait de même pour quiconque. Tout est bruit pour qui a peur, écrivait (encore) Sophocle. La pub a très bien compris cela, qui a abandonné le désir au profit de l’effroi. Comme les gouvernements n’on plus rien à proposer de positif, d’encourageant, de lumineux ils en font de même. Si vous n’employez pas ce produit pour vos chiottes, une armée de bactéries tueuses va vous assaillir disent les uns. Si on laisse des irresponsables manifester l’ordre sera bousculé, ça sera l’apocalypse, disent les autres. Et des parlementaires israéliens - dont personne n’ose censurer le propos – en font la synthèse : les palestiniens sont des bactéries… Cependant, pour revenir à un autre dramaturge grec, Eschyle, que de luttes infligées aux Grecs et aux Troyens, que de membres rompus de fatigue, de genoux qui heurtent la terre, de lances brisées aux premiers rangs des batailles. Et il conclue : Maintenant, ce qui est fait est fait, ce qui était fatal est accompli. Ni offrandes sacrées, ni libations, ni larmes n'apaiseront la colère implacable des Dieux De nos jours la violence se décline de manière polymorphe. On sait désormais que rester sourd aux aspirations des peuples c’est de la violence, qu’une chambre d’un gris impeccable en génère parfois autant qu’un mur décrépit, que Stone et Charden (pour les uns) ou les Queen (pour les autres) diffusés dans les supermarchés, c’est de la violence aussi. La logique du marché c’est de la violence, comme le salaire des PDG des fonds spéculatifs, les promesses non tenues de l’exécutif, la condition sociale du chômeur, ou le mépris - accompagné de quolibets malveillants ou de remarques sexistes - envers les femmes. C’est évidement dans les intentions de ce billet de confondre les torchons et les serviettes, car désormais, il n’existe pas de petite offense, comme il n’existe plus de hiérarchie dans les objectifs de la gouvernance. En d’autres termes, les promoteurs du chaos qui nous gouvernent s’occupent de fauves futilités, croyant encore et toujours ordonner. Apollinaire le disait autrement :
Poisson pourri de Salonique
Long collier des sommeils affreux
D’yeux arrachés à coup de pique
Ta mère fit un pet foireux
Et tu naquis de sa colique.