« Entre sauver de la banqueroute un Etat souverain et protéger les milliards des blanchisseurs russes, le choix est vite fait ». Voilà le genre de platitudes auxquelles nous habituent les élites européennes. S’ensuivent, pour bien asseoir ces banalités, des amalgames entre les dépôts des banques chypriotes et les fortunes en milliards des oligarques russes. Ces derniers, majoritairement séjournent à Londres, à New York ou à Moscou, et n’utilisent Nicosie que comme un chainon, certes bienveillant, pour investir à travers le monde ou rapatrier en Grande Bretagne, aux Etats-Unis ou en Russie leurs fonds issus d’activités aussi bien « intégrées » que frauduleuses. Mais, comme aux comptoirs de bistrot, plus c’est gros et mieux ça passe, d’autant plus qu’il y a toujours des médias qui, à la manière du poivrot de Wolinski, n’y trouvent rien à redire, approuvant (et perpétuant) les contre-vérités et les approximations à l’infini.
C’est en effet bien plus compliqué (et révélateur des incapacités institutionnelles) de contrôler réellement les flux des capitaux suspects, de contrôler les dérives du système financier dont elles profitent, et de séparer la paille du grain. Quand bien même et par miracle, on arrive à prendre les fraudeurs la main dans le sac, les banques trouvent toujours un moyen de se blanchir. Et plus ces banques sont puissantes, plus facilement elles s’en sortent, s’arrangeant avec les Etats et leurs justices en payant des amendes ridicules, à des milliards de kilomètres des gains que leurs malversations leur procurent. Si enfin, elles sont réellement « exposées », c’est toujours les autres qui paient, la plupart du temps les citoyens contribuables ou, comme dans le cas chypriote, leurs clients. La raison pour laquelle l’Euro group, la BCE et les pays membres - Allemagne en tête -, poussent à cette solution à Chypre est justement le fait qu’elles ne peuvent pas faire la même chose pour les systèmes financiers des pays comme la Grande Bretagne, la Chine, l’inde, le Canada ou les Etats-Unis, « trop puissants pour être poursuivis ». Les accusations faites à Nicosie ne seraient pas différentes, à la virgule près, si vraiment on voulait s’attaquer aux effets pervers de la finance mondialisée. Avec une différence de taille : le pourcentage des fonds douteux (50 000 milliards) de ces pays est autrement plus important que les 25-30 milliards qui transitent par les comptes chypriotes. Faute de s’attaquer au vrai problème, on s’attaque à l’épiphénomène… Dernière remarque : il se dit, à l’Euro group à Paris ou à Berlin que les « avoirs » des banques chypriotes sont trop importantes par rapport au PIB de Chypre. Pas plus qu’à Monte-Carlo, ou au Luxembourg. Enlevez donc à ce dernier pays le statut in shore - offshore des entreprises installées (dont les cigarettiers américains), enlevez la part de la City au PIB britannique et vous ne serez pas loin des résultats que l’on reproche à Nicosie. Mais sur ce, motus et bouche cousue …