Je subissais, hier, au grand Q, les tirades formatées de Quatremer sur l’Europe. Mais je résistai à l’idée de fermer la télé en me disant que ce discours, lisse et lénifiant est celui des fonctionnaires de l’UE - cette bulle sourde et aveugle -, qui se plaisent à penser qu’ils sont là pour le bien de tous. Beaucoup de mes amis tiennent ce discours et ils continuent à être mes amis. Ce n’est pas un crime, plutôt une malédiction, d’être submergé d’idées reçues accompagnées s’un salaire conséquent, d’une carrière à laquelle ils emploient les trois quarts de leur temps, couronnée par une retraite sonnante et trébuchante pimentée de travaux d’expertise surpayés. C’est un monde à part, cloisonné, ouateux, propre en soi, routinier, avec son charabia, ses rythmes, mené par des bureaucrates aisés, qui n’ont d’autre souci que de mettre leur progéniture sur les rails de leur propre calvaire doré. Longtemps j’ai amusé cette sensation de vide, ce non-sens qui me permettait de vivre aisément tout en sachant que tout cela ne rimait à rien, que l’essentiel de mes expertises était enfoui dans des tiroirs hermétiques, apprécié mais oublié à l’instant même où il esquissait l’ombre d’un doute sur « les politiques à mener » ou sur les « succes stories » à propager.
Comme toute structure fermée, l’UE pense avant toute chose à se perpétuer, sacrifiant au passage les raisons même de son existence. C’est drôle d’écouter les bureaucrates parler de la bureaucratie européenne, de son immobilisme, de sa tiédeur, de son incapacité de décider, tandis qu’en réalité, le problème (décliné à l’infini par les intéressés) n’est pas la bureaucratie mais plutôt son idéologie messianique, le culte de « la libre concurrence non faussée », qui l’est pourtant et de manière flagrante, dès lors qu’on s’extrait de ce magma aboulique. Le drame de l’Union Européenne est de rassembler de plus en plus au parti communiste soviétique, avec ses bureaucrates protégés, ses technocrates « apolitiques » adulés et son polit bureau planant dans une irréalité surréaliste lui permettant de répéter, avance camarade, le parti est derrière toi.
Pourquoi faire ? Pour qui ? Comment ? Des questions interdites, maudites, balayées avec dédain, puisque l’UE est une évidence, et qu’on n’interroge pas de l’évidence comme on ne doute pas du Saint Esprit.
Il a raison Quatremer de dire que les chefs d’Etat européens font transiter les décisions désagréables par le Conseil, se cachant derrière des décisions aussi collectives qu’irresponsables. Mais il a tort quand il ne voit que cela. Il a tort sur la Commission sur la Banque Centrale sur Eurogroup, qui fonctionnent dans la pure tradition idéologique des fondateurs : c’est la techné qui a le dernier mot, la politique est une affaire trop sérieuse pour la laisser aux mains des politiques. Cette maladie infantile, qui a comme source la défiance du peuple - et de ses représentants sous (son) influence -, a permis le développement d’une bulle de compétences gérée par des incompétents insensibles habitant hors de la cité et de ses besoins. Un Versailles qui fuit Paris, ne générant que de la colère. Celle justement que les fondateurs voudraient sans effet. D’où le résultat. Le postulat européen étant que l’Europe avance à travers ses crises. Et si cette avance était en fait un recul ? Voici encore une question interdite…