Michel Koutouzis (avatar)

Michel Koutouzis

Abonné·e de Mediapart

258 Billets

1 Éditions

Billet de blog 25 septembre 2015

Michel Koutouzis (avatar)

Michel Koutouzis

Abonné·e de Mediapart

A propos du « scandale » VW

Michel Koutouzis (avatar)

Michel Koutouzis

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

A propos du scandale VW, quelques morceaux choisis de mon livre « Crime, trafics et réseaux, géopolitique de l’économie parallèle »

…En déclarant qu’il faut « moraliser le capitalisme », les dirigeants du G20 ont participé à la mise en place d’une pensée oxymore œcuménique supposant que le capitalisme peut éventuellement être ou devenir moral : qu’il l’a été dans le passé et qu’actuellement il ne fait que dériver comme un iceberg détaché de sa banquise. Pire encore, cette formule voudrait faire croire qu’il existe au sein de notre système financier des brebis galeuses, et donc « par conséquence » des anges bienheureux et bien intentionnés œuvrant pour le bien commun. Ainsi, pour la première fois de son histoire, le capitalisme abandonne sa raison d’être, c’est-à-dire produire des richesses en stimulant un esprit d’initiative autonome et loin du protectionnisme étatique. Désormais, il se couvre des habits d’une idéologie, pour ne pas dire d’une religion discourant sur le bien et le mal, l’éthique et la morale. Viendra bientôt le temps de la transcendance et du sens de la vie…

... Pourtant, si l’Etat, ses institutions et les rapports de force qu’il installe avec l’économie n’existaient pas, l’ouvrier anglais travaillerait toujours dix huit heures par jour, et la Compagnie des Indes commercialiserait toujours l’opium en obligeant la Chine de le consommer. Si les compagnies européennes n’avaient pas mis en place le premier Cartel pharmaceutique, l’opium et l’héroïne seraient toujours commercialisés par la Turquie, la Serbie ou l’Egypte en toute légalité et non pas à travers les routes trafiquantes, les seules que leur laissa le Cartel pharmaceutique . Depuis la révolution industrielle jusqu’à aujourd’hui l’Histoire ne relate pas autre chose que les variantes diverses opposant un système s’affirmant pragmatique et une Cité voulant imposer des règles et des lois communes. La dérégulation, maître mot du système économique désormais hégémonique, indique tout simplement un déséquilibre flagrant entre l’économie capitaliste et la Cité. Mais imposer moins de règles (ou pas de règles du tout en guise de caricature exotique), limiter le rôle de l’Etat, implique la rentrée dans l’Histoire en tant que partenaire conséquent de tous ceux qui autrement ou ailleurs passaient outre les règles. C’est justement au sein de cet « autrement » et cet « ailleurs », que se fait la jonction entre affaires et « affaires ». En ce sens, le crime organisé fait désormais partie du système, « délocalisant » toute activité qui reste encore contrôlée et profitant de toutes les poches d’exception formelles et/ou informelles que l’économie financière installe pour éviter le peu d’autorité qui reste encore à la Cité. …

... Si le « criminel des élites » doit chercher les limites extrêmes pour affirmer sa différence, c’est que, comme le souligne Denis Salas, il existe bel et bien une invisibilité de la délinquance des élites. Trafic d’influence, corruption, délits d’initiés, délocalisation de l’action criminelle économique, blanchiment d’argent, tous des crimes relativement spécifiques à ce milieu, sont non seulement difficiles et longs à instruire, mais comportent des risques pour l’enquêteur. Ainsi, et malgré le fait qu’en termes de préjudice et de sommes d’argent, les « crimes à col blanc » représentent plus des deux tiers du fait criminel, très peu de ces derniers font partie d’une enquête judiciaire, et, toujours selon Denis Salas, de moins en moins. André Normandeau écrivait déjà en 1970 : « C'est ainsi que les procédures légales et judiciaires élaborées pour des fins de contrôle du monde des affaires ne sont tombées que rarement sous la juridiction des cours de justice criminelle. Ce qui remplace les poursuites pénales se résume à des auditions devant des commissions régulatrices, à des poursuites civiles pour dommages, et à diverses autres procédures en dehors du contrôle d'une poursuite en cour criminelle et d'une condamnation. Les sanctions civiles imposées pour ce genre de « crime » vont des amendes aux mises en demeure de cesser telles ou telles activités, des injonctions aux arrangements. De telles violations civiles sont pourtant des « crimes ». …

... L’addiction à l’argent n’est pas le fait du seul joueur de machines à sous, de roulette ou de loto. L’argent en tant que tel stimule des activités qui, chez un homme d’affaires par exemple, dépassent de loin sa fonction utilitariste. Accumuler, frauder le fisc, prendre des risques exorbitants, chercher à tricher (délit d’initié), mentir font partie intégrante de cette addiction. En effet, la course au profit et les risques encourus (souvent avec une conscience justifiée qu’ils sont minimes), ne se font pas pour garantir une vie paisible et agréable. Bien au contraire. L’accumulation fait fi des vrais besoins et place les gains dans l’aire métaphysique du jeu : anxiété, surproduction d’adrénaline, d’endorphine (en cas de coup bien réussi) se situent loin de l’image de l’homme d’affaires plein de sang froid, bon gestionnaire, et entrepreneur. …

... Puisque le contact avec l’illicite existe d’emblée et se trouve lié au goût du risque, la relation entre « légal et illégal » n’est qu’une question de procédure. De mécanismes de « passage » existant de manière très formelle au sein même des structures bancaires ou fiduciaires et qui, comme Charon, le dieu des enfers, sont chargées de passer l’argent d’un monde à l’autre. Ces deux mondes ne sont pas statiques. Il n’y a pas d’un côté des banques, des institutions de ventes aux enchères, des joailleries, des notaires ou des avocats (pour ne citer que les “lieux” les plus visibles de ce passage) et de l’autre côté le monde glauque des mafieux ou des tripots. Le passage que l’on appelle « blanchiment » a aussi un aspect conquérant En effet, « l’esprit d’entreprise” des passeurs, considère en règle générale le processus de blanchiment comme un outil dynamique d’extension de leurs activités. Pour les trafiquants, blanchir c’est impliquer les représentants du pouvoir et ceux de l’économie formelle dans leurs activités. En ce sens, plus le secteur formel d’une économie et ses institutions est « sous influence » et plus l’acte de blanchiment devient pour le trafiquant un outil « d’achat d’impunité ». Les « poches » du nord dans les pays du sud (comme les places offshore par exemple), irradient, quant à elles, le modèle de permissivité concernant l’argent dans les activités purement trafiquantes. Puisque l’addiction au produit argent fait fi de la différence entre légal et illégal et considère comme une simple procédure le passage d’un monde à l’autre, pourquoi ne pas utiliser cet esprit permissif pour tout autre produit.

... Comme le toxicomane cherche dans des dérives délictueuses le moyen de répondre à ses besoins additifs, le blanchisseur, l’homme d’affaires ou le mafieux, cherche à assouvir son addiction à l’argent par des pratiques criminelles qui répondent à ses besoins de plus en plus importants. La liste de ces derniers est interminable. On pourrait la résumer en une seule expression : le « syndrome de l’école buissonnière ». L’impunité aidant, l’addiction à l’argent se transforme en une attraction prométhéenne. En fait, il ne s’agit plus d’avoir plus, mais de risquer plus en sublimant la notion même d’impunité. Les risques dans cet environnement permissif étant minimes (ce qui n’est pas le cas du toxicomane), la dérive vers l’absolu, qui est la caractéristique essentielle de tout flambeur, prend le pas. Comme la sanction tarde à venir (ou ne vient jamais), le joueur blanchisseur s’installe dans un monde de frustration qui n’a comme seul pendant que le plaisir, de plus en plus cultivé, d’être au-dessus des règles et des lois. …

... On a très mal estimé cet engrenage vers la transgression absolue. Il faudrait donc le comparer, une fois encore, aux drogues. Quand une banque propose l’envoi d’une partie de vos bénéfices vers une offshore pour « éviter la double imposition », elle offre le premier pas vers une dérive additive se situant géographiquement au passage entre légal et illégal toléré. Cette tolérance devient, à la longue, le point de fixation à transgresser. Un toxicodépendant s’installe, la plupart du temps, dans une dépendance cadrée par le produit et éventuellement la « galère » pour y accéder. Il s’agit d’une dépendance stable. Un flambeur s’installe dans une dépendance dérivante où l’argent n’est plus que le symbole, la mesure (ou l’excuse) d’une addiction mutante. Le toxicomane se sent enfermé dans sa différence. Il voudrait accéder à la légalité. L’accroché à des pratiques permissives qui lui procurent de plus en plus d’argent, se sent au-dessus des lois, il se sent libre. Le premier, porte le stigmate d’un être désocialisé, le second croit s’envoler au dessus des règles et des lois. Le plus elles sont strictes, le plus il s’envole.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.