Clepsydre d’Athènes. L’eau se dérobe. Le choix d’être pareil. De dire adieu à l’insolite, l’inattendu. Pourrir plutôt que mourir. L’écho devient lointain, c’est si lourd d’être différent. Pourtant, la voix cristalline de Calvos - vieille de deux siècles -, me revient, me parle :
Mieux vaut que la mer,
Les vagues s’enflent, qu’elles noient
Sous mes yeux ma patrie
Comme, désespérée, une barque déserte
Et dans les terres, et dans les îles,
Qu’une flamme surgisse,
Se répande, dévore les villes et les bois,
Les peuples, les espoirs…
La tasse de café bien chaude, j’entre au bureau et ouvre la lumière : Cinq heures est-ce la fin incertaine de la nuit ? L’aube timidement annoncée ? En tous cas, c’est l’heure de soi, loin du sommeil et des hommes. Le répit avant le tumulte des formes certaines, éclatantes, l’heure de la pensée, des mots, des limbes, des poètes. Enfin, je le crois. Un bruit feutré puis insistant, un souffle inattendu. Je crois qu’un écureuil (ou un chat peut-être) s’affole au dessus, se vengeant d’être dérangé en dérangeant ma solitude routinière. Puis je la devine : une chauve souris vole comme un éclair, évitant livres et chaises, bureau et bibliothèques. Elle semble affolée, tourne en rond, me semble immense et minuscule à la fois, tant mon regard crie forfait à la saisir. J’ouvre alors portes et fenêtres, croyant lui offrir une sortie honorable. Mais elle tourbillonne toujours, de plus en plus épouvantée. Enfin je comprends : ma lumière c’est son obscurité. Ma routine c’est son enfer. Alors, je cours tout éteindre. Et le noir absolu de mon bureau devient sa journée radieuse. L’aube incertaine l’attire, trouve aussitôt une issue et disparaît dans la nuit. Mais entre temps j’ai enfin pu la voire. Ou plutôt l’imaginer, tant elle frôla ma tête, contourna mon épaule, et, cessant de tourner en rond s’en alla droit devant. Ni grande ni petite. Une banale chauve souris. Une chauve souris magnifique, libre et libérée de ma lumière. Je reste ainsi quelques minutes, profitant de sa lumière. Des formes que l’aube dessine, des sons et des titillements qui l’annoncent. Je me croyais seul et je l’étais. Avec comme compagnie les chants des grenouilles, le sifflement des ailes des oiseaux invisibles, le doux susurrement des feuilles, et l’éclat des étoiles qui disparaissent désormais les unes après les autres. Il fera bientôt jour, et ce monde me dit à demain. Mais il me renvoie à Calvos :
C’est de la liberté qu’Icare a pris les ailes
Et s’il tomba, dieu ailé
S’il eut pour en finir la mer pour tombeau
C’est du plus haut qu’il est tombé
Et devant mourir, mourut libre.
Choisir de comprendre la chauve souris, l’Autre, c’est surtout apercevoir une partie du monde qui nous échappe. Sinon, « Rien ne répondra plus à la pierre que tu lances ; aucun son, aucun émoi. Les arts périront » Et nous avec.
Si cette Europe construit des Labyrinthes, choisir de voler devient une nécessité. Mourir plutôt que pourrir.