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Billet de blog 26 septembre 2013

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Pendant cinq jours, les médias mondiaux se sont fixés sur Nairobi. Au cafouillage opérationnel s’y est ajouté le cafouillage médiatique, fleuri par des « experts » discourant sur les Shebab, la corruption kényane, la veuve noire, et pour le plus de frissons, des salafistes américains et britanniques faisant partie du commando.

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Pendant cinq jours, les médias mondiaux se sont fixés sur Nairobi. Au cafouillage opérationnel s’y est ajouté le cafouillage médiatique, fleuri par des « experts » discourant sur les Shebab, la corruption kényane, la veuve noire, et pour le plus de frissons, des salafistes américains et britanniques faisant partie du commando. Tout au long de cette litanie, qui me rappelle la promotion des navets nouveaux du cinéma, à la quelle nul ne peut échapper, pas un mot sur Mombassa et la région côtière kényane, pourtant en opposition radicale et confessionnelle au pouvoir central, comme si, la « maladie fondamentaliste » était par définition exogène et n’avait rien à voir avec cette division flagrante du territoire, aussi vieille que la colonisation britannique. Pas ou peu de rappels aux attentats de Dar El Salaam et de Nairobi, marquant pourtant une entrée en scène fracassante de Ben Laden. Et tandis que les médias mondiaux s’interrogeaient sur le nombre de victimes européennes, au même moment, en Iraq, en Afghanistan, au Pakistan d’autres attentats, d’égale violence létale passaient aux pertes et profits de l’information. Car celle-ci est accroc au nouveau (même si ce ne l’est pas), aux victimes occidentales (même quand elles sont issues de la diaspora alothrisque), et rien ne l’ennuie plus que d’analyser à travers les attentats quotidiens l’échec occidental partout où elle a déployé ses armées pour y mettre de l’ordre. La concentration de l’information n’est pas un phénomène nouveau. Le tsunami en Indonésie avait éclipsé toute autre information, tout comme le séisme à Haïti. Mais qu’en est-il des conséquences, du suivi de ces désastres ? Il faudra encore un « scandale » pour parler de la reconstruction du Port aux Princes, et la destruction de la vie économique sociale et politique indonésienne de l’ouest indonésien n’est en aucun cas un « sujet », sauf si « des fondamentalistes » en profitent. Si l’on observe la courbe des infos « Syrie », on constate aussi que dès lors que le cataclysme des bombes n’est plus de mise, ce pays disparaît des écrans télé, comme - et depuis longtemps – la Libye où, si l’on veut savoir comment va le monde qui résulte de nos actions, il faut y être et témoigner de cet énième désastre. Dans un long article, paru en 2009 (Interpréter temps et espace, prévoir les crises) j’écrivais : Si le monde s’est globalisé, il a éclaté au moins autant que ceux qui en rendent compte. C’est dire à quel point, une information qui voit le jour est le résultat de filtres subjectifs et surtout d’un « consensus de perception », d’un compromis et d’arrière-pensées. (…) Une fois ainsi « donnée », « l’information - compromis » devient un sujet d’information et d’analyse supplémentaire, s’enrichit de nouvelles variantes, des nouveaux protagonistes s’en emparent, lui donnant l’intérêt qu’ils veuillent bien, celui qui leur propre intérêt. Vendre de l’humanitaire, des nouveaux logiciels de contrôle ou de perception, vendre des nouvelles peurs, de nouveaux espoirs, des subventions, des aides au développement, des armes, de l’audimat, des journaux, des services de protection, des analyses géopolitiques, des politiques, etc. La « perception » devient un objectif en soi, détermine des nouveaux marchés et, dans ce dessein, doit se focaliser, se concentrer, gagner du temps et de l’espace (télévisuel par exemple) pour atteindre la pérennité relative nécessaire à une exploitation. Ainsi, la surexploitation compétitive de l’événement crée de la démesure… La focalisation excessive sur un événement a un prix, n’est pas neutre, engendre des actions et des dividendes. C’est là, sans doute, la première contradiction issue d’une globalisation de l’œcoumène et des multiples acteurs qui en rendent compte. Or, cette focalisation sélective empêche l’anticipation. Elle engendre un regard et une action « paniques » (au sens que lui donnent les auteurs du « théâtre panique »), qui valorisent des archétypes enfouis dans l’inconscient collectif de nos sociétés, considéré comme une « valeur forte et pérenne », sensée pouvoir perpétuer et cultiver l’intérêt. Ainsi, la garantie principale de la durée de l’information devient justement l’exceptionnel, c’est-à-dire quelque chose qui en soi est éphémère… Or, sans un monde d’information ouverte, s’amputer d’une variable, c’est courir le risque d’être accusé de manipulation. En d’autres termes, l’information oblige. Le temps des empires coloniaux qui menaient des guerres lointaines loin du regard du reste du monde est définitivement révolu. Si l’espace s’est fragmenté au niveau de la perception, il est devenu audible, tout comme les analyses endogènes qui s’y produisent. Cependant la confusion des temps, des espaces, des interrelations complexes entre eux, l’autonomie d’analyses nouvelles des périphéries sont pratiquement occultés par la presse. En conséquence, l’information, en concentrant ses lumières sur un fait et en les déplaçant dès que ce fait entre dans le « temps long » fait exactement le contraire de ce à quoi elle devrait servir. Pour le dire simplement elle désinforme.

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