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Billet de blog 29 janvier 2016

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Les matrices du désenchantement

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Sans trop chercher, on débusque les matrices du désenchantement général, de la frustration, de la colère. En premier lieu, le mépris chez les gouvernants de la parole donnée à leurs peuples et en conséquence l’offense permanente faite la démocratie elle même. Depuis près d’un demi siècle, de Paris à Athènes, de Madrid à Berlin, sur l’ensemble du continent européen, entre chose promise et chose faite le hiatus est de plus en plus grand, et il s’accélère. Les citoyens, mithridatisés, ne croient plus personne si ce n’est les pubs de voitures ou d ‘analgésiques, c’est dire à quel point la parole politique est dépréciée, et les fameux principes ou valeurs - mis en avant par les élites comme un cache sexe - dévaluées. 

Ce sont des menteurs, des fabulateurs mais sont-ils efficients ?  Leur entrée aux lieux du pouvoir leur donne une image de la réalité telle quelle, qui vaut la peine de se parjurer au nom de l’efficacité, du résultat ?  Non plus.  Plus on se trahit et on trahit les citoyens, et moins on réussit à combattre ou juguler les problèmes au nom desquels on a été élu.  On a beau de saucissonner les fondamentaux, à corporaliser  les désirs des uns et des autres, on a beau d’inventer des nouveaux moulins à combattre, on a beau de confondre communication et publicité, de se projeter - comme toute église décadente qui sacrifie l’ici aux calandres grecques paradisiaques  -, à trafiquer données et calculs, rien n’y fait : la justice sociale, la justice fiscale, la baisse du chômage, l’augmentation des salaires, la préservation des services élémentaires de l’Etat de droit, se transforment en chimères, en mirages fuyants d’un futur permanent.

Entre temps cette soi disant inefficacité - en réalité très sélective - endosse deux paramètres : en se globalisant elle génère du désordre partout dans le monde dont le citoyen est prié de payer la note, sans fausses notes et au prix fort. Il finit par comprendre que de même que l’on ne peut pas régler la peste du chômage sans s’attaquer au virus de la financiarisation de l’économie, de même on ne peut pas résoudre le problème du terrorisme sans affronter sa source : tant que tant que les pays du Golfe, la Turquie ou le lointain Pakistan seront exonérées de responsabilité (tout comme les milliardaires et autres financiers le sont pour l’impôt) et perçus comme des alliés, les refugiés iraquiens, syriens, afghans ou kurdes continueront à affluer, tandis que les seconds couteaux continueront à ensanglanter nos rues et nos théâtres.  

Au nom de la parole donnée à des traités et des accords inégaux, parole extorquée par des flagrants chantages,  les peuples européens assistent médusés à la démolition de leur propres sociétés, dès lors qu’ils décident de mettre un frein à la folie structurelle de la pensée néolibérale et la logique de la dette. En Irlande et à Chypre (mais,  bien sûr, pas au Luxembourg) l’Etat était soi-disant trop faible par rapport à ses banques et leurs dettes. L’Europe - Procruste s’en charge et les normalise, comme jadis les chars russes normalisaient Prague ou Budapest.  Quand à la Grèce, ou le problème semblait inversé, l’Etat doit sauver les banques européennes trop exposées (euphémisme pour indiquer qu’elles ont honteusement spéculé avec la dette grecque), quitte à disparaître en s’alignant à ses voisins balkaniques sous l’influence des mafias bulgare et albanaise.  Dans cette Europe, être mafieux c’est mieux qu’être démocrate Peu importe d’où vient l’argent, pourvu qu’il rejoigne la cuve commune des opérateurs financiers et leur Mecque luxembourgeoise. Comme au bon vieux temps du colonialisme, les clercs de l’Eglise euro et les habitués de Davos  font comprendre par la force, par la dette, par le chantage que la démocratie est un luxe auquel seuls les bons élèves, riches et bien pensants de la mondialisation y ont droit.  

Depuis un des pays les plus pauvres du monde, où prédateurs et voleurs de vies abusent sans vergogne d’un peuple affamé il et aisé d’observer les faits et gestes d’une communauté de nantis aussi insoucieux du malheur qu’ils procurent que du précipice vers le quel ils courent allègrement. Par contraste, elle me fait penser aux vers de Seféris :

Il faut pourtant considérer vers quoi nous avançons

Non pas comme le veut notre douleur, nos enfants affamés

Ni le gouffre de l’appel des compagnons de l’autre rive…

Ne restons pas idiots, c’est à dire seuls et isolés, enfermés dans la solitude de nos désirs fragmentés. Osons en finir avec l’insouciance des nantis et du sort qu’ils nous réservent.   

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