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Billet de blog 29 août 2013

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Les Grecs, l’Europe et l’irrationnel

Nicos Dimou, un intellectuel athénien, largement connu pour son livre « Le malheur d’être Grec » expliquait hier matin sur le plateau de cette parodie qu’est devenue la télévision nationale, que ce qui arrive à la Grèce n’est pas autre chose que la victoire des lumières et du rationnel sur l’esprit balkanique et sur des mentalités largement couvertes par une église orthodoxe obscurantiste

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Nicos Dimou, un intellectuel athénien, largement connu pour son livre « Le malheur d’être Grec » expliquait hier matin sur le plateau de cette parodie qu’est devenue la télévision nationale, que ce qui arrive à la Grèce n’est pas autre chose que la victoire des lumières et du rationnel sur l’esprit balkanique et sur des mentalités largement couvertes par une église orthodoxe obscurantiste qui, encore récemment, déclarait que la pire des catastrophes qu’ait connu ce pays est justement son adhésion au valeurs du siècle des lumières. Il ajoutait que le pire défaut du Grec consiste à croire que c’est toujours une conspiration étrangère qui est fautive de ses déboires, s’excluant systématiquement de toute responsabilité.

En fait, il parlait de deux choses distinctes faisant semblant de croire que l’Europe est toujours le cœur de l’esprit des lumières aux quelles « le grec » est toujours retissant. La critique faite aux hommes politiques de ce pays, et à la limite à ses citoyens n’est pas loin de la réalité. Il pointe des défauts bien connus qui sont en grande partie le résultat d’une histoire fabriquée au moins depuis la création de l’Etat grec, une sorte d’idéalisation, d’abstraction héroïque du fait historique, au sein desquels le citoyen grec s’y complaît.  Il a par ailleurs raison de souligner l’aspect réactionnaire de l’Eglise Orthodoxe, véritable boulet social, culturel et économique de la société grecque.  Ainsi, la première partie de son raisonnement, un raisonnement d’un bourgeois cultivé (sans connotation négative) et adepte des Lumières, tel que décrit - il y a déjà quinze ans - par Eric Hobsbawm quand il parle d’un monde désormais perdu. (Behind the Times : The decline and fall of the twentieth century avant-gardes. Thames and Hudson, 1998) n’est pas loin de la réalité.  Mais justement, et c’est là le défaut majeur de son raisonnement, l’alternative telle qu’il la conçoit n’existe plus. L’Europe des Lumières, celle d’une bourgeoisie éclairée, toujours Eric Hobsbawm a connu une longue agonie (1914-1950) et, morte désormais, ne produit plus de  la pensée ni de l’art (du moins comme il était encore perçu dans l’entre deux guerres). Hobsbawm souligne, en avance sur son temps, que les seules expressions artistiques encore vivantes sont celles qui ont été phagocytées par le marché (comme l’industrie du cinéma) et celles qui font du corps et du Moi et de l’hygiène le centre de leur recherche (comme la dance). Allant plus loin, Jean Clair (L’hiver de la culture. Flammarion 2011), fait un parallélisme saisissant entre l’art,  ses mécanismes promotionnels et ses musées, avec le marché, indiquant qu’il ne s’agit plus de simples similitudes mais d’une parfaite symbiose.  

L’alternative d’une Europe des Lumières n’existe plus. Ce qui existe est une machine broyant les restes, les vestiges de cette Europe, désormais conquise par l’esprit comptable imposé par le marché et qui s’impose en Grèce donnant pour une fois raison aux phantasmes grecs. Cette Europe, loin des Lumières, est irrationnelle. Le moins que l’on puisse dire, si on ne veut plus raisonner en termes idéalisés du passé, c’est que dans ce cas précis se heurtent deux pensées irrationnelles.

Le grec cependant en a une longue expérience comme le soulignent plusieurs chercheurs et spécialistes du monde Hellénique (Lire entre autres : Les Grecs et l’irrationnel. E. R. Dodds. Flammarion 1977. Les maîtres de vérité dans la Grèce archaïque. M. Detienne. Flammarion 1981. Mythe, mémoire histoire, M. Finley, Flammarion, 1981).

 Par contre les maîtres de l’Europe financiarisée n’en sont que - au mieux - des apprentis sorciers, - au pire -, des victimes de leur irrationalité.  Car, eux aussi, font semblant de croire qu’ils sont toujours les héritiers naturels des Lumières.  Kant disait toute chose a un prix ou une dignité.  Une Europe qui, se croyant rationnelle ne calcule que les prix, soustrait de la dignité en toute chose, Grèce et grecs inclus. 

Le scélérat en Grèce se traduit par atimos, c’est-à-dire, qu’il a perdu son honneur,  sa fiabilité, devenant ainsi chose négligeable.  On est loin, très loin de la chère Europe des Lumières de Nicos Dimou qui semble être la victime d’une histoire fabriquée, abstraitement héroïque et sélective de l’Europe. J’en suis jaloux : il est toujours citoyen d’une Mitteleuropa illuminée ou de Paris, secoué par les débats fougueux sur les impressionnistes…

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