Dans le camp des retardataires, des incohérents et des nostalgiques, la pensée réactionnaire française - du moins en ce qui concerne les arguments utilisés par toutes ses variantes -, s’identifie bien plus à l’extrême droite de l’Europe centrale et balkanique plutôt qu’à une pensée radicale et certainement innovante (pour les concernés), qui a le vent en poupe aux Pays Bas, en Scandinavie en Suisse ou en Italie. Cette droite mutante, dont le spécimen le plus flamboyant fut Pim Fortuyn, prend à contre pied l’arsenal de la pensée traditionnelle de l’extrême droite transformant tout ce qui était considéré jusque là comme une perversion ou une tare (homosexualité, promiscuité, libertinage, dandysme, hédonisme, etc.,) en « valeurs », en mode de vie à défendre, en particulier face à « l’obscurantisme de l’islam ». Ce dernier est non assimilable tout simplement par ce que ses valeurs, la vision qu’il a de la femme, ses habitudes vestimentaires, son exhibitionnisme religieux, voir son rigorisme militant, etc., sont contradictoires avec la société de tolérance néerlandaise. Inutile de dire que ce discours politique, qui prévoyait l’ostracisme pour tous ceux qui ne s’inscrivent pas dans le cadre de la tolérance made in Nethelands, eut un grand succès. Le lendemain de son assassinat (6 mai 2002), le mouvement de Pim Fortuyn, lui même ouvertement homosexuel, devint le deuxième parti de la Hollande avec plus de 17% des voix au Parlement. Comme en Italie ou en Belgique, en se déclarant « différents » (et sous entendu « meilleurs ») une part des citoyens (et les représentants qu’ils élisent) s’attaquent aux vices et aux carences supposés de tous les autres. Non pas sous des aspects dits « moraux » : les héros de cette révolte, peuvent être frivoles, dépensiers et exubérants, en d’autre termes « berlusconiens ». Mais ils ont une chose en commun : ils sont d’un égoïsme décomplexé, considérant les autres comme des handicapés obscurs qui n’ont pas réussi à devenir libres et riches. Ils considèrent aussi que l’Etat providence en les aidant perpétue leur pauvreté car, abandonnés à eux-mêmes, ils auraient sans doute trouvé une solution. La solidarité, à leurs yeux, devient assistanat, l’équilibre régional un boulet à leur propre prospérité, tous les vices et dérives de l’Etat providence, des plus criants aux plus marginaux, sont transformés en fers de lance dans leur combat anti étatique.
En Padanie ou en Flandre, ceux qui rêvent « d’indépendance » ont déjà intégré l’idée que dans le reste du pays « ce sont des étrangers » au même niveau (et avec les mêmes « tares ») que l’émigré marocain ou albanais. Dans leur tête, la scission est déjà accomplie, reste à trouver les moyens les moins coûteux et les plus appropriés pour y accéder. Le phénomène n’est pas nouveau : il y a déjà trente ans, on parlait du nationalisme piémontais, héritier du savoir faire industrieux inter - alpin incluant des régions italiennes, autrichiennes, suisses et françaises et qui accoucha des hommes politiques comme Umberto Bossi, Jörg Haider, Christoph Blocher ou Charles Millon. Cette droite extrême et moderniste à la fois, a déjà - et depuis longtemps - entériné la mondialisation au sein de laquelle elle s’inscrit aussi bien dans ses aspects financiers qu’éthiques et moraux : la loi du plus fort est toujours la meilleure, pas da quartier, exploitons sans entraves, et, ce qu’elle pense elle l’exprime clairement. Il s’agit bien d’une révolution contre les valeurs morales de Lumières et de l’Etat providence au nom du slogan soixante-huitard : jouissons sans entraves que celles-ci soient culturelles et sociales ou émanant de la bureaucratie européenne. Il y a en effet un autre élément, commun à tous, celui issu du proverbe vivons heureux vivons cachés, qui dans leur cas, se traduit par une volonté paradoxale de bunkérisation de leur Etat (ou province) allant de pair avec une mondialisation de leur économie.
En Europe centrale et balkanique la situation est tout autre. L’élément essentiel du renouveau des droites extrêmes est une nostalgie nourricière de xénophobie, de machisme, d’antimondialisation, de pouvoir fort, nourris aussi bien du passé soviétique que d’un tropisme néo-nazi prévoyant des solutions musclées contre les minorités ethniques (les Roms par exemple) et un antisémitisme rampant. Sans oublier la promiscuité avec des personnalités éminentes de la pègre qui s’aventurent sur la scène politique pour protéger et faire fructifier leurs bénéfices mal acquis comme c’était déjà le cas en Russie, au Caucase et dans les Balkans (Albanie, Kosovo).
C’est donc étonnant de voir qu’en France, les arguments homophobes, ceux qui concernent le mariage des homosexuels, ressemblent plus à ce qui se passe à Belgrade ou à Sofia qu’à Amsterdam ou à Milan. Il est aussi étonnant (voir contradictoire) qu’en ce qui concerne le « mariage pour tous », il se crée une alliance des fondamentalistes de toutes les religions du livre, politique diamétralement opposée à ce qui se passe aux Pays Bas, en Italie ou dans les pays scandinaves. Comme si, la France était plus proche de la nostalgie de l’Est européen que de la modernité mondialiste de ses plus proches voisins…