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Billet de blog 23 septembre 2012

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Évangile de Tomas

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Un peu fatigué par une promenade besogneuse dans le jardin, je m’assois sur le banc blanc, sous les chênes. Je reprends mon souffle et repose mes os douloureux. Le doux soleil de fin septembre me redonne des forces. Les pensées se dispersent, s’égaillent. Ce banc, qu’il en aurait à raconter ! Des souvenirs me frôlent. D’une pensée à l’autre, je suis conduit vers un livre de Tomas Tranströmer qui porte un titre en forme de jeu de mots : ”les souvenirs m’observent“.

Porté par l’obscurité.
J’ai croisé une grande ombre
dans une paire d’yeux

Pendant un court moment, en fin d’année dernière, je me suis demandé comment un homme quasiment inconnu en France, ayant publié moins de quatre cent pages de poésie — et ce petit livre de souvenirs — pouvait avoir été lauréat du prix Nobel de littérature 2011. Ce n’était pas parce qu’il est suédois, les membres de l’Académie suédoise ne font pas de favoritisme. Les derniers suédois à avoir été consacrés, l’ont été il y a longtemps me semble-t-il.

Je rentre dans la maison, j’extrais de la bibliothèque ”la Grande Énigme“,  un recueil de quarante cinq haïkus et ses Œuvres Complètes, un livre de poche de  350 pages. Avec ”les souvenirs m’observent“, j’ai dans les mains tout ce qu’il a écrit. Je retourne sur mon banc couvert de souvenirs et je relis. ”La Grande Énigme“, quarante cinq haïkus seulement, mais quelle maitrise de la parabole :

Renne en plein soleil.
Les mouches cousent et cousent encore
son ombre sur le sol.

La version originale en suédois sur la page de gauche, semble bien un haïku régulier, 5-7-5 syllabes.

La parabole, la puissance de l’image, l’art consommé d’ouvrir d’autres chemins dans l’esprit du lecteur, voilà peut-être la clé du Nobel. Il manie l’ellipse comme l’acrobate ses cerceaux. Il était dans l’ordre des choses qu’il fouette les mots pour les dresser en haïku et cela dès le début de son travail de poète.

Quand on reprit le fugitif
il avait les poches pleines
de chanterelles.

(Prison, in
Baltiques - Œuvres complètes 1954-2004 – Poésie/Gallimard)

Je tourne la page :

Le fracas des ateliers
et les pas lourds du mirador
déroutaient la forêt.

On est surpris, en France, de ce prix Nobel accordé à un quasi inconnu. Peut-être que le nombril des commentateurs français est très large et profond. Car Tranströmer est quasiment adulé dans les contrées nordiques et anglo-saxonnes. Il est peu prolixe, il produit peu, voilà une bonne explication. Il poursuit professionnellement une carrière de psychologue auprès des estropiés de la vie : handicapés, emprisonnés, toxicomanes… jusqu’à ce qu’un A.V.C. le rende aphasique et hémiplégique en 1990, il a 59 ans. Un poète aphasique ! Quelle ironie ! Le sort joue de ces tours ! Il récupère peu à peu et ses poèmes deviennent encore plus concis, plus aigus.

Les lignes à haute tension
s’étirent au royaume du froid
au nord de toute musique.

Lui-même devient plus sombre, plus lucide sur son devenir. Il continue d’aimer la musique et joue du piano de la main gauche, seulement. Se sent-il pris au piège :

Il écrit, il écrit…
La glu coulait dans les canaux.
Barges sur le Styx.

J’interromps ma lecture. Je rejette lentement la tête en arrière. À travers le feuillage, j’interroge le ciel. Ce soir il n’est ni bleu ni gris. La vie, quoi !

Nous devrons vivre
avec l’herbe apaisée
et le rire des catacombes.

Notez : l’ensemble des œuvres de Tomas Tranströmer est publié chez Le Castor Astral.

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