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Professeur du Cnam, titulaire de la chaire Droit du travail et droits de la personne, Lise/Cnam/Cnrs, Avocat (Barreau de Paris), ancien Inspecteur du Travail

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Billet de blog 13 juin 2018

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La législation du travail grecque imposée par l’UE viole la Charte sociale européenne

La législation grecque du droit du travail, imposée par des Décisions de l'Eurogroupe, viole des dispositions de la Charte sociale européenne en matière de salaire équitable et de discrimination des jeunes travailleurs (selon une nouvelle Décision du Comité européen des droits sociaux du Conseil de l'Europe de Strasbourg).

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

En réponse à la Réclamation n° 111/2014, Confédération générale grecque du travail (GSEE) c/ Grèce, le Comité européen des droits sociaux (Conseil de l’Europe, de Strasbourg), donne son appréciation de la législation grecque imposée par des instances de l’UE (« Eurogroupe »).

Sont en particulier relevées des violations de la Charte sociale européenne révisée en ce qui concerne les situations des jeunes travailleurs (de moins de 25 ans et de moins de 18 ans) :

 « Rémunération équitable des jeunes travailleurs de moins de 25 ans (§ 187 et s.)

Le Comité rappelle que pour être jugé équitable au sens de l’article 4§1, le salaire minimum ou le salaire net le plus bas effectivement pratiqué sur le marché du travail doit représenter au moins 60 % du salaire net moyen. L’évaluation se fonde sur le montant net, c’est-à-dire après déduction des cotisations de sécurité sociale et des impôts. Lorsque le montant net est difficile à établir, il revient aux États Parties concernés de mener les enquêtes nécessaires ou de fournir des estimations.

Le salaire net moyen national d’un travailleur à temps plein est calculé par référence au marché du travail dans son ensemble, ou lorsque ce n’est pas possible, sur la base d’un secteur représentatif, tel que l’industrie manufacturière. Lorsqu’il existe un salaire minimum légal national, son montant net sert de base de comparaison avec le salaire moyen net. Dans les autres cas, c'est le salaire minimum fixé par voie de convention collective ou le salaire le plus bas effectivement versé qui sert de référence.

 Le Comité indique avoir examiné les suites données à la décision rendue dans GENOP-DEI et ADEDY c. Grèce, réclamation n° 66/2011, décision précitée, concernant l’article 4§1 de la Charte de 1961, et avoir conclu que la situation n’avait pas encore été rendue conforme à la Charte (Constats 2015, Grèce, publiés en janvier 2016).

Bien que ni l’organisation auteur de la réclamation, ni le Gouvernement n’aient fourni d’informations sur la valeur nette des salaires moyen et minimum, les chiffres bruts qu’ils ont présentés sont suffisamment révélateurs pour permettre au Comité de conclure que le salaire minimum légal, et à fortiori le salaire minimum réduit des travailleurs de moins de 25 ans, tels que fixés par l’acte du Conseil des Ministres n° 6/2012 et par la loi n° 4093/2012, sont manifestement inéquitables au sens de l’article 4§1 de la Charte de 1961.

A cet égard, le Comité note que le salaire minimum brut, primes comprises, correspond à environ 46 % du salaire moyen brut, et le salaire minimum réduit des travailleurs de moins de 25 ans à environ 41 % seulement du salaire moyen brut, ce qui est très en-dessous des seuils établis par le Comité.

En outre, le Comité relève que l’augmentation moindre du salaire minimum des travailleurs de plus de 25 ans confrontés à une situation de chômage de longue durée, au sens de l’article IA, paragraphe IA.7 de la loi n° 4254/2014 contient un élément de discrimination et aggrave encore la situation de ce groupe de travailleurs.

 Par conséquent, le Comité dit qu'il y a violation de l'article 4§1 de la Charte de 1961, au motif qu’une rémunération équitable n'est pas garantie.»

 « Discrimination fondée sur l’âge des jeunes travailleurs de moins de 25 ans (§ 194 et s.)

Comme dans la décision qu’il a rendue dans GENOP-DEI et ADEDY c. Grèce, réclamation n° 66/2011, décision précitée, par. 66, le Comité considère que les arguments de l’auteur de la réclamation reviennent à alléguer d’une violation de l’article 4§1 lu à la lumière du Préambule de la Charte de 1961, qui, s’agissant de la discrimination, est libellé comme suit :

« (…) Considérant que la jouissance des droits sociaux doit être assurée sans discrimination fondée sur la race, la couleur, le sexe, la religion, l'opinion politique, l'ascendance nationale ou l'origine sociale ; (…) ».

Le Comité indique avoir examiné les suites données à la décision rendue dans GENOP-DEI et ADEDY c. Grèce, réclamation n° 66/2011, décision précitée, concernant l’article 4§1 de la Charte de 1961, et avoir conclu que la situation n’avait pas encore été rendue conforme à la Charte (Constats 2015, Grèce, publiés en janvier 2016).

Le Comité note que la situation en ce qui concerne le salaire minimum des travailleurs de moins de 25 ans n’a pas changé et, par conséquent, répète que l’importance de la réduction du salaire minimum, et la façon dont elle est appliquée à tous les travailleurs de moins de 25 ans, est disproportionnée même en tenant compte des circonstances économiques particulières en question.

Le Comité dit qu’il y a violation de l’article 4§1 à la lumière de la clause de non-discrimination contenue dans le Préambule de la Charte de 1961, au motif que la réduction du salaire minimum des travailleurs de moins de 25 ans est excessive et constitue une discrimination fondée sur l’âge

« Rémunération des jeunes travailleurs de 15 à 18 ans (§ 217 et s.)

En application de l’article 7§5 de la Charte de 1961, le droit interne doit garantir aux jeunes travailleurs une rémunération équitable et aux apprentis une rémunération appropriée. Ce droit peut résulter de dispositions législatives, conventions collectives ou autres textes. Le caractère « équitable » ou « approprié » de la rémunération est apprécié en comparant la rémunération des jeunes travailleurs avec le salaire en début de carrière ou le salaire minimum versé aux adultes (de 18 ans et plus).

Le salaire d’un jeune travailleur peut être inférieur au salaire d’un adulte en début de carrière, mais tout écart doit être raisonnable et se combler rapidement. Pour les jeunes de 15 à 16 ans, une rémunération de 30% inférieure à celle des adultes est acceptable. La différence pour les jeunes âgés de 16 à 18 ans ne peut excéder 20 %.

Le salaire de référence du travailleur adulte doit en tout état de cause être suffisant au regard de l’article 4§1 de la Charte. S’il est trop faible, la rémunération du jeune travailleur ne saurait être considérée comme équitable, quand bien même elle respecterait les écarts de pourcentage susmentionnés. 

La rémunération des apprentis peut être inférieure, car ils bénéficient dans le cadre de leur emploi d’une formation professionnelle dont la valeur doit être prise en compte. Toutefois, le système d’apprentissage ne doit pas être détourné de son objectif et servir à employer des jeunes sous-payés. Par conséquent, les périodes d’apprentissage ne devraient pas être trop longues et, au fil de l’acquisition des compétences, l’allocation devrait progressivement augmenter tout au long de la période de contrat : elle doit passer d’au moins un tiers du salaire de début de carrière ou du salaire minimum d’un adulte au commencement de l’apprentissage aux deux-tiers à la fin de celui-ci.

Premièrement, s’agissant des jeunes travailleurs de 15 à 18 ans, le Comité comprend qu’ils perçoivent en général le salaire minimum des travailleurs de moins de 25 ans, en application de l’acte du Conseil des Ministres n° 6/2012 et de la loi n° 4093/2012. Renvoyant à sa décision ci-dessus concernant l’article 4§1 de la Charte de 1961, et compte tenu de que ce salaire minimum se situe bien en-dessous du seuil établi pour les travailleurs adultes, le Comité considère qu’il ne peut pas non plus être jugé équitable au sens de l’article 7§5 de la Charte de 1961.

Deuxièmement, s’agissant des apprentis, le Comité prend note de l’allégation de l’organisation auteur de la réclamation concernant la déréglementation de la protection des travailleurs de 15 à 18 ans employés sur la base de contrats d’apprentissages régis par l’article 74, alinéa 9 de la loi n° 3863/2010. Cette dernière ne fournit ni chiffres précis concernant les allocations versées aux apprentis, ni d’autres arguments touchant à la situation particulière des apprentis, mais le Comité a, dans une précédente décision, observé que le salaire minimum des travailleurs de moins de 25 ans s’appliquait également à un taux de 70% aux apprentis visés à l’article 74, alinéa 9 de la loi n° 3863/2010 (GENOP-DEI et ADEDY c. Grèce, réclamation n° 66/2011, décision précitée, par. 39).

Néanmoins, selon l’article 7§5 de la Charte de 1961, les allocations d’apprentissage peuvent ne représenter, en début d’apprentissage, qu’un tiers du salaire de départ ou du salaire minimum d’un adulte et, dans la mesure où l’organisation auteur de la réclamation n’a fourni ni chiffres ni arguments spécifiques, le Comité considère, compte tenu des informations dont il dispose, que la situation à cet égard est conforme à la Charte de 1961.

Le Comité dit qu’il y a violation de l’article 7§5 de la Charte de 1961, au motif que le salaire minimum des jeunes travailleurs de 15 à 18 ans n’est pas équitable

« Congés payés des jeunes travailleurs de 15 à 18 ans (§ 226 et s.)

En application de l’article 7§7 de la Charte de 1961, l’employeur doit accorder au moins quatre semaines de congés payés annuels aux travailleurs de moins de 18 ans.

Le Comité renvoie à la décision qu’il a rendue dans GENOP-DEI et ADEDY c. Grèce, réclamation n° 65/2011, décision précitée, dans laquelle il a noté que les apprentis visés par l’article 74, alinéa 9 de la loi n° 3863/2010 étaient exclus du champ d’application de la législation du travail et qu’ils n’avaient pas droit à trois semaines de congés payés annuels. Sur cette base, le Comité dit qu’il y a violation de l’article 7§7 de la Charte de 1961.

Le Comité se réfère par ailleurs à son examen de suivi de la décision précitée concernant l’article 7§7 de la Charte de 1961, dans lequel il a conclu que la situation n’avait pas encore été rendue conforme à la Charte (Constats 2015, Grèce, publiés en janvier 2016).

Il ressort des observations de l’organisation auteur de la réclamation que la situation en ce qui concerne l’article 74, alinéa 9 de la loi n° 3863/2010 n’a pas changé. Ceci n’est pas contesté par le Gouvernement.

Le Comité dit qu’il y a violation de l’article 7§7 de la Charte de 1961

OBSERVATIONS FINALES

« § 250.  Le Comité insiste sur ce que les violations relevées ne concernent pas seulement les personnes protégées par les droits qui ont été violés ou leur relation avec l'État défendeur, mais mettent en cause l'intérêt de la collectivité tout entière et les normes fondamentales communes aux États membres du Conseil de l'Europe que sont les droits de l'homme, la démocratie et l'état de droit. »

« CONCLUSION

Par ces motifs, le Comité conclut : (…)

-  à l’unanimité, qu’il y a violation de l’article 4§1 de la Charte de 1961 au motif que

  1. a) une rémunération équitable n’est pas garantie ;
  2. b) la réduction du salaire minimum des travailleurs de moins de 25 ans est excessive et constitue une discrimination fondée sur l’âge ;

-  à l’unanimité, qu’il y a violation de l’article 4§4 de la Charte de 1961 ;

-  à l’unanimité, qu’il y a violation de l’article 7§5 de la Charte de 1961 au motif que le salaire minimum des jeunes travailleurs de 15 à 18 ans n’est pas équitable. (…) ». (http://hudoc.esc.coe.int/fre/#{"ESCDcIdentifier":["cc-111-2014-dmerits-fr"]})

Dans sa Résolution CM/ResChS(2017)9 Confédération générale grecque du travail (GSEE) c. Grèce, Réclamation n° 111/2014, le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe, le 5 juillet 2017, « Eu égard au rapport contenant la décision sur le bien-fondé de la réclamation qui lui a été transmis par le Comité européen des Droits sociaux, dans laquelle il a conclu à plusieurs violations de la Charte de 1961 ;

Compte tenu de la demande du Comité européen des Droits sociaux que le rapport soit rendu public immédiatement du fait que la situation en Grèce exige une attention urgente de la part de tous les Etats membres du Conseil de l'Europe :

1. prend note de la décision sur le bien-fondé de la réclamation qui, conformément à l'article 8 du Protocole additionnel, deviendra publique dès l’adoption de la présente résolution ;

2. invite les autorités grecques à fournir, dès que possible, des informations sur les mesures prises et envisagées afin de rendre la situation conforme à la Charte ;

3. charge le Groupe de rapporteurs sur les questions sociales et de santé (GR-SOC) de reprendre l’examen du suivi du rapport, lors de sa prochaine réunion, sur la base des informations présentées. » (http://hudoc.esc.coe.int/fre/#{"ESCDcIdentifier":["reschs-2017-9-fr"]} ).

Depuis aucun recours n’a été engagé devant la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) de Luxembourg concernant ces questions.

Plusieurs recours seraient possibles devant la CJUE au regard notamment de la violation de dispositions de la Directive n° 2000/78 du 27 novembre 2000 et de la Charte des droits fondamentaux de l’UE interdisant la discrimination liée à l’âge :

  • Recours par la Commission européenne contre les Décisions concernées de l’Eurogroupe (Comité des ministres des finances de l’UE) à l’origine de la législation imposée à l’État grec (violation de dispositions de la Charte des droits fondamentaux de l'UE et de dispositions du Traité de Lisbonne - TUE et TFUE);
  • Recours en manquement par la Commission européenne contre l’État grec ;                                                                                         
  • Recours en interprétation par un juge grec, saisi de demandes de jeunes travailleurs de moins de 25 ans, dans le cadre d’affaires individuelles en droit du travail.

 (Voir déjà pour une étude d'ensemble : http://www.revuedlf.com/droit-social/le-droit-du-travail-en-grece-a-lepreuve-du-droit-international-et-europeen/ ).

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