Le Festival du scoop et du journalisme a fêté sa 25ème et dernière édition à Angers. Suite à la suppression de la subvention municipale, le festival va probablement déménager à Lille. En attendant, cette année encore, le palmarès est une belle vitrine de la vivacité du journalisme audiovisuel « à la française ».
« Le rafiot de l’enfer », un fantastique documentaire vidéo tourné par Daniel Lainé et David Geoffrion, diffusé sur France 5 a remporté le Grand Prix Jean-Louis Calderon, le Prix du public et le Prix des détenus de la maison d’arrêt d’Angers.
Le Prix Jean-Louis Calderon
Pour la jeunesse, rappelons que Jean-Louis Calderon fut grand reporter à Europe 1 avant d’être écrasé par un char à Bucarest lors de la révolution en Roumanie qu’il couvrait pour La Cinq , cette éphémère chaine de télévision concédée à Berlusconi par François Mitterrand.
Ce même prix Calderon a été gagné par le photographe Corentin Fohlen de Fédéphoto pour son reportage particulièrement spectaculaire « La lutte finale des chemises rouges en Thaïlande ». En reportage à Haïti, le photographe n’était pas présent à Angers. Il n’y a pas de Prix du public, ni de Prix des détenus pour la photographie.
Coup d'oeil dans un jury marathonien
Présidé par Marie-Laure Augry, le jury a visionné 80 reportages photo et 40 films vidéo: un véritable marathon. Contrairement au « Prix Bayeux-Calvados des correspondants de guerre », votre serviteur n’a été autorisé à assister qu’à une heure de projection et s’est donc contenté des extraits diffusés lors de la soirée de gala animée par David Pujadas.
Seuls les trois extraits du « Rafiot pour l’enfer » m’ont permis de me faire une bonne idée de la qualité de ce sujet réalisé par un des photographes historiques de l’Actuel de Jean-François Bizot. Pour la photographie, les projections des séries d’images permettaient une meilleure appréhension de la qualité du travail.
Le Prix spécial du jury a récompensé le documentaire vidéo « France Telecom: les apprentis sorciers? » de Bernard Nicolas et Jacques Massard expliquant la politique « managériale » d’Orange visant à dégouter les anciens fonctionnaires des PTT. En photo, le jury a choisi « Etat d’armes » de Gwenn Dubourthoumieu avec une mention spéciale à « Buffer Zone » de Mila Teshaieva.
Pour le prix du documentaire vidéo c’est un sujet de Thalassa/France 3 qui l’a emporté : « Nigéria : les forçats de la lagune » de Philippe Lespinasse avec une mention spéciale à « Métal hurlant » de Huaqing Jin. En photo, Arno Brignon du collectif « Du grain à moudre » a décroché la timbale avec « 31100 » un reportage N&B sur la cité du Mirail à Toulouse, sujet qui l’occupe depuis plusieurs années.
L’enquête scientifique du photographe Eitan Haddok a été primée pour le reportage « A l’aube du lithium en Bolivie » sujet produit pour « Le Monde Magazine », le prix allant pour la vidéo à « Tchernobyl, une histoire naturelle ? » de Luc Riolon. Dans cette catégorie une mention spéciale a été attribuée au reportage photo « Le Solar a décroché la lune » de Francis Demange. Un sujet consacré à l’avion sans carburant du savant et aventurier Picard, digne héritier d’une lignée de « professeur Tournesol ».
« Le Scoop»: documentaire, actualité, enquête...
Peu de choses à dire, sur le prix de l’actualité en vidéo qui est allé à « Chine: le pays des enfants volés » d’Elodie Pakosz et Vincent Reynaud. Par contre la couverture du tremblement de terre d’Haïti en janvier 2010 par Frédéric Sautereau, ex-gérant et membre du collectif « L’œil public », devenu freelance, mérite incontestablement son prix. On a pu voir ses photos publiées notamment par Libération.
J’ai été moins convaincu par le prix du jeune reporter photo remis au tout jeune et très timide Julien Pebrel, autre membre du nouveau collectif « Le grain à moudre » pour un sujet réalisé en 6x6 sur le «Haut-Karabagh, Etat fantôme»… Par contre en télé « Un petit air de famille » de Cécile Tartakovsky et Marie-Claire Denis a véritablement crevé l’écran, comme la jeune journaliste Cécile Tartakovsky dont c’est seulement le deuxième « long » (sujet).
Tout comme « La juge et l’affaire des dioxines » de l’obstinée investigatrice Clarisse Feletin, sujet en pleine actualité. Pour ma part, je regrette infiniment que « Sans blessures apparentes » de Jean-Paul Mari n’ait pas mérité une mention de la part du jury. Mais les enquêtes qui touchent la profession mettent toujours mal à l’aise « les professionnels de la profession ».
Il n’a pas été question non plus du documentaire de Pierre Carles « Fin de concession », une enquête « gonzo journalistique » sur la privatisation de TF1. Le film a été présenté en avant-première au festival « Échos d'ici et d'ailleurs » à Labastide-Rouairoux, le 16 octobre 2010 et est sorti confidentiellement en salle.Un groupe angevin de fans du film a tenté une prise de parole pendant la soirée de clôture du festival en déployant une banderole et en voulant remettre une « laisse d’or » à David Pujadas. L’intervention n’a pas été comprise par le public et a suscité le courroux de l’organisation qui a peu goûté l’humour contestataire.
Le prix de la Presse Quotidienne Régionale: merci la photo !
Le prix de la Presse Quotidienne Régionale, qui consiste à choisir la meilleure Une de la PQR à la date du 8 septembre 2010 est allé au « Télégramme de Brest » avec une belle maquette tirant très bien partie d’une belle image de l’Agence France Presse qui reste malheureusement anonyme. « Le télégramme » n’a pas jugé utile de faire mention du nom du photographe, et je n’ai pas retrouvé la photo (recadrée ?) dans la base de l’AFP.
« Le Scoop » offre de belles expositions, mais souvent déjà vues ailleurs, en particulier à « Visa pour l’image - Perpignan». Faute de moyens financiers, il y a peu de production. Espérons que les nordistes seront plus généreux pour permettre de monter des expositions plus « scoop ».
J’ai néanmoins découvert avec plaisir l’exposition de François-Régis Durand, récent lauréat du « Grand prix Jeunes talents SFR » décerné à « Paris Photo » où le choix d’images était très restreint. A Angers l’exposition plus généreuse permettait d’apprécier le travail de cet étonnant photographe qui néanmoins ne se revendique pas journaliste ! J’ai été impressionné par de grands tirages sur les « Lieux d’énergies » de Luca Zanier. Avec ces images de centrales nucléaires, j’ai retrouvé l’ambiance des BD de mon enfance.
D’une façon générale, la photographie m’est apparue, un peu, le parent pauvre de ce festival, ou pour être plus précis et plus juste, venir en illustration d’un festival très axé télé. De la même façon que la photo intervient souvent comme « illustration » ou « portfolio » dans la presse et non en tant que reportage en soi. Hormis celles accrochées sur les grilles du parc de la Préfecture, les très nombreuses expositions sont toutes alignées dans le hall du Palais des congrès: un espace vaste mais peu propice tant par sa disposition intérieure, que pas sa situation dans la géographie urbaine. « En dehors des soirées de débats, il y a peu de visiteurs » confiait une anonyme angevine néanmoins concernée.
Malgré la présence dans le jury d’Alain Mingam, ancien photographe et directeur des rédactions de Gamma puis de Sygma, de Patrick Weiss directeur de l’agence Visual et d’un représentant d’Associated Press, les femmes et les hommes de télévision dominent. La présidente du jury Marie-Laure Augry n’est pas en cause, mais il m’a semblé étonnant qu’elle ne soit pas accompagnée d’un(e) co-président(e) directement impliqué(e) dans le photojournalisme.
Une équipe de bénévoles, beaucoup d'amis pour quel avenir ?
« Couvrant » pour la première fois ce festival, je n’étais pas touché par la vague de nostalgie qui éclaboussait toutes mes consoeurs et confrères. Vingt-cinq ans de festival, c’est autant de grands moments journalistiques, de « scoops » - comme on disait jadis -, et de petits souvenirs de bonnes blagues de journalistes, de fêtes entre confrères et néanmoins amis … Bref, malgré l’arrivée du froid hivernal, la chaleur régnait entre festivaliers et membres de l’association organisatrice.
Qui plus est, la malheureuse – pour rester poli – décision du maire d’Angers, a semé le trouble et l’inquiétude dans l’impressionnante bande de bénévoles qui entoure Danielle et Alain Lebouc à l’origine de la manifestation. Tout le monde faisait contre mauvaise fortune, bonne figure: mais l’avenir dans le Nord …
Si Alain Lebouc semblait tout à fait rassuré par la présence de Philippe Vasseur, ancien ministre et président de l’école de journalisme de Lilles, les autres s’inquiétaient d’un inévitable virage dans l’organisation de ce festival. Et il est vrai, que le déménagement de ce festival entrainera inévitablement un repositionnement de la manifestation.
Totalement innovant en 1986, lors de sa fondation, le « Festival du scoop et du journalisme » n’est plus seul sur le marché des festivités liées aux différentes formes de journalisme. Sa dénomination même date. « Scoop » si le terme reste usité, par et pour, le grand public, il a quelque peu perdu de sa force dans la profession avec la multiplication et la mondialisation des supports. Festival du journalisme ? Mais alors, il faudrait que le festival s’ouvre vraiment à l’écrit, au son et aux médias interactifs… Festival du journalisme d’images ? En réalité, la tonalité actuelle est plus celle du journalisme audiovisuel, à l’image de la soirée d’ouverture animée par Arlette Chabot et celle de clôture sous la houlette de David Pujadas – et son fan’s club -, que des autres médias.
Alain Lebouc et son équipe vont devoir avec les gens du Nord renouveler le concept, l’élargir ou le recentrer, mais en tout cas l’ouvrir si ce n’est au monde, du moins à l’Europe. Espérons qu’ils seront épaulés par de solides et généreux sponsors pour que « Le Scoop » de Lille ne soit plus (en) d’Angers.
Michel Puech
Reportage photo Geneviève Delalot
Pour prolonger
- Le site officiel du festival du scoop et du journalisme
- Le palmares complet
- « Le rafiot de l’enfer » sera diffusé sur France 5 aux dates suivantes : Le dimanche 02 janvier 2011 à 16h25, le vendredi 14 janvier 2011 vers 16h30, le mardi 25 janvier 2011 vers 10h15, le samedi 29 janvier 2011 vers 22h00 et le lundi 31 janvier 2011 vers 23h40. Tony Comiti Productions
Du coté des photographes
- Le reportage de Corentin Fohlen de Fédéphoto
- Julien Pebrel et Arno Brignon du collectif Du grain à moudre
- Le reportage de Frédéric Sautereau
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A l'oeil , blog du Club Mediapart,
s'intéresse essentiellement au photojournalisme, à la photographie comme au journalisme, et à la presse en générale. Il est tenu bénévolement par Michel Puech, journaliste honoraire (carte de presse n°29349) avec la collaboration de Geneviève Delalot, et celle de nombreux photographes, journalistes, iconographes et documentalistes. Qu'ils soient ici tous remerciés.Tous les textes et toutes les photographies ou illustrationssont soumis à des droits, en particulier, d'auteurs. Aucune reproduction même partielle n'est autorisée hormis le droit de citation conformément à la loi française. Pour d'éventuelles reproductions veuillez prendre contact. Vous pouvez retrouver A l'oeil sur Facebook, et sur le site de Michel Puech.
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