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Billet de blog 5 avril 2010

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Un photographe à la tête du troisième fonds mondial ?

Mardi 6 avril 2010 à 14h30, le tribunal de commerce de Paris a rendu son jugement dans l’affaire Eyedea (Gamma, Rapho, Keystone, etc.). A l’issue de l’audience du 30 mars dernier, il ne restait qu’un candidat repreneur : François Lochon, 54 ans. C'est à ce photographe, qui fait toute sa carrière à l’agence Gamma depuis 1975 que le tribunal a confié l'avenir de ce groupe d'agences photogaphiques. Récit de la dernière audience.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Mardi 6 avril 2010 à 14h30, le tribunal de commerce de Paris a rendu son jugement dans l’affaire Eyedea (Gamma, Rapho, Keystone, etc.). A l’issue de l’audience du 30 mars dernier, il ne restait qu’un candidat repreneur : François Lochon, 54 ans. C'est à ce photographe, qui fait toute sa carrière à l’agence Gamma depuis 1975 que le tribunal a confié l'avenir de ce groupe d'agences photogaphiques. Récit de la dernière audience. 

Un photographe sauve 30 millions de clichés

Mardi 30 mars 2010, tous les représentants des salariés et des photographes se rassemblent, en fin de matinée, au Tribunal de Paris. Tout le monde connaît le chemin depuis l’été dernier, début des opérations de redressements judiciaires.

Simple audience de procédure le matin, pour reporter de quelques jours la fin du redressement judiciaire de telle façon que les salariés ne perdent pas six jours de solde. Le jugement ne sera en effet connu que le mardi 6 avril 2010. Une date dont je vous ai dit la signification pour l’équipe de l’agence Rapho. (Voir billet précédent).

Verdoso Media : absent

Ce mardi 30 mars à 14h 30, le Président Roche ouvre l’audience de la 6ème Chambre du Conseil pour entendre les propositions des candidats repreneurs. On sait déjà depuis le week-end, que l’offre de Verdoso Media ( Franck Ullmann et Renaud de la Baume) ne sera pas présentée au tribunal. Deux raisons s’y opposent : d’une part Franck Ullmann a siégé - certes quelques mois seulement - au conseil d’administration d’Eyedea en tant qu’actionnaire, mais d’autre part son offre stipule que les « salariés protégés » ne font pas partie du plan de reprise (Voir avant dernier billet), ce qui n’est pas admissible par le tribunal. Il reste donc trois candidats en course à l’heure où s’ouvre l’audience.

Maître Valliot, administrateur judiciaire, commence par rappeler au tribunal les circonstances, les tenants et les aboutissants de cette complexe affaire. Il rappelle la vente par Hachette Filipacchi Medias (HFM) de son « pôle photographique » à la société par action simplifiée Green Recovery. Il rappelle que le groupe Eyedea n’a un chiffre d’affaires que de 7 millions d’euros avec 65 salariés et que toutes les sociétés du groupe sont déficitaires. Il rappelle que la société Green Recovery s’est assurée les services de Stéphane Ledoux comme Pdg. « Ce dernier attendait de ses actionnaires un réel effort…/…Green Recovery a mis 800 000 euros en fonds propres et 1,2 million en compte courant, mais a constitué une fiducie-sûreté. »

Maître Valliot explique alors au tribunal qu’HFM (Groupe Lagardère) a fait un prêt de 6 millions d’euros à Green Recovery pour le groupe Eyedea, créance ensuite cédée pour 0,10 centimes d'euro, mais néanmoins étrangement maintenue au passif du groupe Eyedea ! La fiducie est donc venue, non pour sécuriser la société Eyedea, mais pour assurer l’argent que les actionnaires avaient déjà mis dans la société. Or fait remarquer l’administrateur judiciaire « On s’attendrait à ce que des associés jouent leur rôle en prenant quelques risques. »

« Les Green » sur le gril

« Ensuite les associés se sont essouflés » poursuit Maître Valliot « Ils ont donc rappelé Verdoso Media ». Cette société avait été candidate au moment de la vente par HFM à l’époque où Bertrand Eveno était Pdg de ce « pôle photographique »…

Green Recovery « appelle Verdoso Media à la rescousse pour mettre 1 million d’euros… » poursuit Maître Valliot « Mal lui en a pris, car cette fiducie-sûreté est suspecte. Elle a été constituée pour sécuriser un argent ancien… »

Maître Valliot dresse ensuite, avec chaleur et compétence, un portrait de ce groupe d’agences et de photographes. Il faut souligner ici, l’énergie avec laquelle Maître Valliot, son collaborateur Florent Hunsinger et l’ensemble de l’étude ont travaillé pour comprendre cet imbroglio juridique, mais également pour apprécier l’aspect humain et patrimonial de cette affaire proprement exceptionnelle par l’ampleur du fonds photographique. Un fonds que l’expert mandaté évalue à 1 million d’Euros pour Keystone et à 5 millions pour Gamma.

Maître Gorrias, liquidateur judiciaire, succède à Maître Valliot à la barre pour, comme liquidateur, faire le sombre tableau : « un passif qui s’élève à 35 millions d’euros auquel il convient d’ajouter 10 millions d’euros pour des tiers et, possiblement un passif réclamé par des photographes - de plus en plus nombreux - au titre de perte de documents et dédommagements divers pour 48 millions d’euros… »

Maître Gorrias évoque également ce fonds de 30 millions de photographies dont il ne voit pas très bien quel serait le sort en cas de liquidation. « Il n’y a pas, dans cette affaire, les moyens de le stocker pour l’évaluer. »

Le « truc » : légal ou non ?

L’ambiance, si je puis dire, va se tendre considérablement, car après les exposés de Maître Valliot et de Maître Gorrias, il est clair que la fiducie est la principale clé de cette affaire, comme souligné dans nos précédents billets.

Si la fiducie est valable, nous sommes en présence d’un groupe d’agences de photographies sans photographies ! Dès que Maître Valliot a eu connaissance de cette fiducie, il a assigné au fond la société Green Recovery, mais cette procédure ne sera pas tranchée avant un an, ou deux…. On va donc chercher Maître Serge Pelletier, du cabinet Brunswick, qui est dans les parages.

Maître Pelletier, avocat de Green Recovery, ne se laisse pas démonter par l’attaque de Maître Valliot auquel il réplique « Votre argumentation n’est pas logique, vous dites à la fois que la fiducie est nulle et en même temps que le fonds Keystone n’est pas dedans. »

Maître Valliot : « Elle est nulle pour deux raisons : parce que Keystone-France a été fusionné avec le groupe Hachette Fillipacchi Photos (HFP) et qu’ensuite ce groupe HFP est devenu Eyedea SA. Donc votre fiducie étant sur Eyedea-Illustration, elle ne peut inclure le fond Keystone. »

Et d'ajouter: « Elle est également nulle parce que conclue le 2 juillet 2009, alors que l’entreprise était en incapacité de paiement depuis le 24 juin et que le règlement judiciaire est du 30 juin 2009 !»

Maître Pelletier : « Pas du tout le redressement judiciaire d’Eyedea-Presse est du 2 juillet ! »

Maître Valliot : « Il s’agit d’une simple erreur d’écriture et je demande au tribunal de bien vouloir faire rectifier cette date par le greffe. »

Maitre Gorrias, mandataire judiciaire ne se voit pas du tout hériter de millions de photos dont il ne pourra jamais savoir lesquelles sont à vendre, lesquelles sont à rendre aux photographes… Il monte donc logiquement à l’attaque de Maitre Pelletier : « Si vous ne retirez pas cette fiducie-sûreté, sachez que non seulement Maître Valliot a engagé une procédure au fond, mais que je me chargerai bien volontiers de la poursuivre. »

Maître Valliot conclut le vif échange en s’adressant à Maître Pelletier :

« Le tribunal a de la mémoire et il saura ne pas oublier. »

Les repreneurs à la barre

Philippe Bigard, qui fait une offre limitée au fonds Keystone et à cinq salariés, est très aimablement présenté par l’administrateur judiciaire Régis Valliot. A vrai dire, ce Monsieur venu d’Annecy a été apprécié de tous. Que ce soit le personnel d’Eyedea, les photographes ou Maitre Valliot, tous sont tombés d’accord pour dire que son offre était raisonnable, sensée mais hélas comme allait le conclure le procureur Lécué : « Il s’agit d’une offre liquidatrice ».

Et dans la première partie des débats, le tribunal a compris qu’en fait une liquidation en l’état était quasi impossible sans attenter gravement au patrimoine photographique national.

Sortie de Philipe Bigard, entrée de François Lochon. Maître Valliot explique que François Lochon était associé à Bertrand Eveno mais que ce dernier a rejoint l’offre d’Abaca press, que cet ancien photographe et actionnaire de Gamma (avant HFM) est prêt à mettre 100 000 euros pour la cession, apporter 800 000 euros en compte courant (il a déposé des chèques certifiés auprès de l’administrateur judiciaire) et qu’il présente une offre certes atypique, mais pleine d’enthousiasme. « C’est un homme du métier. »

François Lochon précise qu’il a évalué les besoins en trésorerie à 500 000 euros et que le reste va servir à numériser des photographies avec l’aide de la Réunion des Musées Nationaux (RMN). Soit. Il explique qu’il fait ça « pour sauver les gars, et qu’on va faire la paix des braves dans une société en guerre. »

« Je me suis rapproché de Green Recovery avec mes moyens. J’ai racheté à Green Recovery et à Verdoso Media leurs droits en échange de 500 000 euros au titre de leurs participations dans la future société. »

Le coup de poker de François Lochon

Maître Gorrias bondit littéralement de son banc : « Quelle merveilleuse affaire pour un fonds de retournement. Ils y vont. Ils se plantent et trouvent encore le moyen de faire un nouvel accord avec le nouveau repreneur ! »

Voilà qui ne plait guère à Monsieur le Procureur : « Nous sommes à la limite du pénal. » commente-t-il. Le tribunal se concerte à voix basse.

Le Président : « Monsieur Lochon, vous ne pouvez pas présenter une offre avec les anciens actionnaires de la société. Etes-vous prêt, en dépit de la fiducie, à maintenir votre offre en votre seul nom ? ».

La salle retient son souffle. Pas longtemps, car un François Lochon flamboyant rétorque très vite : « Oui je la maintiens. ».

Le Procureur : « Monsieur Lochon s’engage à reprendre les sociétés sans l’accord avec les Green Recovery et fait son affaire de la fiducie. » Madame la greffière note.

Xavier Zimbardo, représentant le groupe Fight for foto, qui depuis deux mois se bat jour et nuit pour mobiliser les photographes des agences, fait des bonds sur le banc. Il est prêt à applaudir, mais heureusement retient son congénital enthousiasme. Mohamed Lounes, secrétaire du Comité d’entreprise sourit. Mais il reste une offre qui n’a pas la faveur des deux hommes.

Bertand Eveno, Jean-Michel Psaila et Bruno Cassajus font leur entrée. Bertrand Eveno explique leur projet. « Une offre de professionnels avec une agence qui fonctionne » commente Maître Valliot, mais le tribunal, qui siège maintenant depuis plusieurs heures et a bien compris le mécanisme diabolique de la fiducie-sûreté, a hâte d’aller au fait : « Maintenez vous votre offre en dépit de la fiducie ? » C’est non, et les trois compères se retrouvent vite dans la salle des pas perdus.

Il reste à savoir si Maître Gorrias, liquidateur judiciaire demande une liquidation. Dans certains cas, la liquidation permet de payer des dettes…

Mais Maître Gorrias, a lui aussi bien l’affaire en main, il ne sera pas long, il dit rapidement « Je suis favorable à la conservation de ce fonds photographique ».

Le juge commissaire : « Il ne nous reste donc comme seule offre que celle de Monsieur Lochon. Jugement le mardi 6 avril 2010 à 14h30 ».

Le 3 février dernier, dans la salle des pas perdus, je rencontrais pour la première fois, mais pas la dernière, Maître Valliot. (Voir précédent billet) Il me dit : « Dans l’affaire Libération, ce n’était pas simple et j’ai fait l’impossible. Là, il faut faire un miracle ». Nous saurons demain, au lendemain des fêtes de Pâques, si à la place d’un miracle, l’administrateur judiciaire a permis une résurrection de ces agences historiques.

Michel Puech

Lundi 5 avril 2010 - 23h 00 - Tous droits réservés pour le texte et les photographies.

Lire tout le dossier de l’affaire Eyedea

Déclaration de Xavier Zimbardo, du Comité de vigilance "Fight for foto" (FFF)

Mardi 30 mars 2010 - Communiqué

« Monsieur le Président, Monsieur le Procureur, Honorables membres du Tribunal,

Tout d'abord nous vous remercions pour la bienveillance avec laquelle vous avez bien voulu, en tant que représentant des photographes et des personnels réunis dans le Comité de Vigilance FFF, nous accueillir en cette enceinte pour cette audience qui est pour nous de la plus vitale importance.

Avant toute autre considération, il est essentiel de mesurer l'importance du jugement que vous allez porter aujourd'hui. L'affaire qui nous amène ici n'est pas d'abord d'importance économique. Le chiffre d'affaires de notre entreprise n'est pas si élevé par rapport à nombre d'autres entreprises dont vous êtes amenés à déterminer l'avenir. Elle n'est pas non plus d'abord d'importance sociale. Le personnel qui risque d'être licencié se compte au plus à quelques dizaines de personnes. Le sort de chacun évidemment est grave. Mais on ne peut pas comparer avec des problèmes sociaux comme ceux posés par exemple par Continental.

Et pourtant, l'affaire que vous allez juger est sans doute une des plus importantes qui aura été jugée en ces murs dans les 10 dernières années. Son importance est médiatique, culturelle, patrimoniale, historique. Les agences dont vous allez juger la survie ou la liquidation ont été construites par ceux qui nous ont précédés avec pour but la liberté d'expression, d'information, le souci de conserver une mémoire authentique, le désir aussi de créer de grandes et fortes œuvres. Et ces agences, malgré la crise du marché que nous avons déjà évoquée, malgré la révolution numérique, auraient pu fonctionner avec succès si elle n'avait pas eu à subir un lot de malchances successives, voire de graves maladresses, et de possibles malversations. (…)

Non seulement les fonds sont un trésor dont il est hors de question d'envisager la dispersion, mais les savoir-faire des personnels sont précieux, exceptionnels. On pourrait comparer leurs connaissances à celles de l'équipage d'un grand navire sur lequel j’eus l'honneur de naviguer, le trois-mâts Belem. Ses marins incomparables, quand ils redescendaient de la grand-vergue de 34 m avec une audace acrobatique, s’exclamaient avec fierté : « Gabier, c’est un métier ! ». Notre groupe d'agences appartient tout autant à l'histoire de France, au destin de l'Europe, au patrimoine de l'humanité, mais il n'est pas comme le Belem un musée vivant. C'est une entreprise qui peut être dynamique, qui ne demande qu'à se développer et à s'adapter à de nouvelles conditions d'existence.Pour cela, il aurait fallu et il va falloir écouter l'avis des personnels, tenir compte des auteurs. Les personnels ont conçu avec leurs chefs de service un livre blanc : celui-ci est une analyse remarquable des faiblesses de leur agence et des moyens à mettre en œuvre pour y remédier. Le document auquel ils ont abouti est un audit d'une rare pertinence. La future direction pourrait s'appuyer à la fois sur ce livre blanc, mais aussi et surtout sur la clairvoyance du personnel à tous les échelons. Ce sont tous ces travailleurs qui connaissent le mieux la machine dans ses moindres secrets et qui peuvent la faire fonctionner à plein régime si on accepte de leur faire confiance. De même, nous, les photographes, nous avons mis au point ce forum sur Internet qui a permis de mettre au jour de nombreuses pièces inconnues du dossier, et qui nous permettra demain de contrôler la bonne marche de la société, d'apporter nos suggestions, de nous sentir solidaires et de participer à la force spirituelle de cette entreprise.

Ces agences, avec leurs nouveaux outils de transparence, avec leur capacité de se rassembler, ont un véritable avenir. Vous ne devez pas le leur interdire.

Une autre alternative s'offre à vous : vous pouvez changer le cours du destin. Vous avez le pouvoir d'ouvrir une porte sur l'espoir. Avec l'offre généreuse faite par François Lochon, vous pouvez éviter la liquidation, sauver les fonds, nous permettre de construire un bel avenir à une œuvre qui ne doit pas, qui ne peut pas finir.

Vous avez su nous écouter et étudier ce dossier compliqué avec une rare patience. Notre confiance est en vous pour que survive ce patrimoine sans pareil et nous sentons qu'en votre sagesse vous saurez faire le bon choix.».

L'appel de Fight for foto (FFF)

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« A l'oeil » ?

« A l’œil » s'intéresse essentiellement au photojournalisme, à la photographie comme au journalisme, et à la presse en général. Il est tenu par Michel Puech, journaliste honoraire (carte de presse n°29349) avec la collaboration de Geneviève Delalot, et celle de nombreux photographes, journalistes, iconographes et documentalistes. Qu'ils soient ici tous remerciés.

« A l’œil » est ce qu’il est convenu aujourd’hui d’appeler un blog. C’est en réalité une collection d’articles (reportages, enquêtes, billets d’humeur, etc.). Créé en août 2008 sur le site du Club de Mediapart, il dispose également de son propre site www.a-l-oeil.info qui reprend, outre les archives des publications dans le Club Mediapart, celles de La Lettre de la Photographie et de plusieurs autres publications auxquelles Michel Puech a collaboré. (Libération, Le Monde, La Croix, Le Courrier Picard, VSD, etc.)

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