

Après avoir publié en avril 2008 « Mai 68, l’histoire en photos » (Editions Scali), Göksin Sipahioglu, fondateur de l’agence Sipa, expose ses photographies à Visa pour l’image dans l’église des Dominicains. Un magnifique endroit digne du pape des agences de photojournalisme. C’est assis sur les pierres du cloître qu’il a accepté de me confier quelques souvenirs.

Quand venez-vous à Paris pour la première fois ? En 1961, je venais de réussir un scoop : photographier l’Albanie d’Enver Hodja, pays totalement isolé du monde. J’ai téléphoné à Paris-Match, ils m’ont dit de venir, ce que j’ai fait immédiatement. Ils m’ont acheté les photos 2000 francs et m’ont conseillé d’aller voir l’agence Dalmas qui m’a demandé combien le sujet m’avait coûté. J’ai dit 1000 dollars. Ils me les ont donnés et je suis rentré en Turquie. En 1965, je suis revenu pour diffuser mon premier sujet sur la Chine, je l’ai confié aux Reporters associés, mais rapidement il y a eu des dissensions internes et Martini est parti fonder l’agence Vizo avec Monique Kouznetzoff qui était alors secrétaire. Je l’avais connue aux Reporters associés. A Vizo il y avait des photographes de talents dont Gilles Caron. Quand, en 1967, je suis devenu correspondant à Paris de deux journaux turcs, l’un du soir l’autre du matin, il faut toujours beaucoup travailler, c’est naturellement à Vizo que j’ai confié mon matériel.
Comment étiez-vous payé à cette époque ?
Oh… De temps en temps Martini, sortait 100 ou 200 francs de sa poche et nous les donnait... En général quand on avait fait une belle parution. C’est avec lui que j’ai fait mes premières pages de couverture. La première en Belgique, puis après Paris-Match et quelques autres publications à l’étranger. Puis Gilles Caron, moi et d’autres avons suivi Monique Kouznetzoff qui partait pour la nouvelle agence Gamma.
Au tout début du mois, j’habitais à Montparnasse et je n’étais pas loin de l’évènement. Phyllis, ma future femme, m’emmenait chaque matin place Saint-Michel dans sa Ford Mustang rouge. Elle me déposait, je photographiais, je faisais des interviews pour la presse et les radios turques. Je rédigeais dans l’après midi. Un somme, une douche, et je repartais pour couvrir la fin d’après midi et la nuit…C’était très fatiguant.
Et dangereux, vous avez été blessé…Oui j’avais écrit un article sur la tactique de la police qui laissait les barricades se monter, les étudiants scier les arbres du boulevard Saint-Michel et, quand tout était bien installé, au coup de sifflet, ils chargeaient… Excellente tactique politique. Mon journal avait fait une manchette là-dessus. Un policier m’a désigné, et un autre a cassé mon flash. Le lendemain, il m’a montré à nouveau du doigt et un CRS m’a tiré une grenade à tir tendu en plein visage. J’étais à trois mètres de lui. Heureusement elle n’a pas éclaté sinon j’étais défiguré. Je n’ai eu que des dents cassées.

J’étais ami avec Jean Bertolino qui avait un contact avec le chef. On a donc pu non seulement rentrer dans la Sorbonne mais filmer – Bertolino travaillait pour la télé – et moi j’ai pu les photographier. Ils étaient fous. Ils buvaient beaucoup, « baisaient » devant tout le monde, se baladaient à moitié nus… (ndlr : le reportage a fait la une de France-soir et marque la fin de l’utopie à la Sorbonne).

Et c’est ainsi que pendant les vingt-cinq années suivantes, Paris sera la capitale du photojournalisme. Avant d’être détrônée par Perpignan !
Michel Puech

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« A l’œil » s'intéresse essentiellement au photojournalisme, à la photographie comme au journalisme, et à la presse en général. Il est tenu par Michel Puech, journaliste honoraire (carte de presse n°29349) avec la collaboration de Geneviève Delalot, et celle de nombreux photographes, journalistes, iconographes et documentalistes. Qu'ils soient ici tous remerciés.
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