« Je suis venu ici pour voir autre chose que ce que tout le monde voit à la télévision, pour voir des photojournalistes qui travaillent avec leur vision… » A plus de 80 ans Mister Klein a l’œil vif et la langue bien pendue. (Suite du billet précédent)
« Je n’ai pas encore vu les expositions mais j’ai vu la projection d’hier soir (ndlr : mercredi 1er septembre 2010).J’ai été un peu déçu par cette passion pour documenter les bidonvilles du monde entier avec si peu de recul. »
William Klein regarde l’assemblée des confrères journalistes avec un petit sourire amusé. Sylvie Grumbach dont le 2ème bureau gère toutes les relations presse du festival de Jean-François Leroy n’apprécie guère. Du coup, le maître en remet une couche qui va énerver Yann Morvan, en reportage pour Photographie.com, et en amuser.
« Je lui ai donné F8 au 1/125ème »
Klein reprend : « Ça m’a fait penser à une vieille blague : celle du touriste qui revient de Naples et dit à son ami : j’ai vu un type qui avait deux moignons à la place des bras et des mains. Il mendiait…
Qu’est-ce que tu lui as donné ? lui demande son ami.
Je lui ai donné F8 au 1/125ème. »
William Klein rit doucement de sa provocation.
« J’y ai pensé hier soir… Mais c’est vrai que je n’ai pas vu qu’une projection… Hier soir, en tout cas, il y avait bidonvilles sur bidonvilles. »
« Et, il y a quelque chose qui m’a gêné… Il n’y a pas beaucoup de recul dans l’approche des photographes sauf dans le dernier sujet projeté, celui de l’espagnol. (ndlr : Apocalipsis un livre d’Alvaro Ybarra Zavala / Getty Images)
« Je n’ai pas senti … Je n’ai pas compris l’intérêt des photographes d’accumuler la misère. Comme une certaine jubilation à photographier la misère… Dans la misère, dans la déchéance, les catastrophes, on trouve le choléra, la malaria, toutes les maladies… Et les photographes ! »
Question : Est-ce qu’une photo peut changer le monde ?
« Je rigole… ça dépend de quelle société de quel monde ? A un moment autour de la révolution russe, les gens comme Rodchenko ou le groupe qui a fait « L’homme à la caméra » ont essayé …. Je ne sais pas si ils y sont arrivés. » Nouveau sourire.
« La petite fille brûlée par le Napalm, tout le monde l’a vue, et si les gens n’ont pas une répulsion de la guerre après ça…Cette photo a changé un peu les mentalités. »
Question: Vous photographiez de très près. Quel est la bonne distance pour prendre une photo ?
« La bonne distance est 1m75. » répond du tac au tac, le maître.
« Ce n’est pas vrai, que je ne fais que des photos très près. Capa dit si la photo n’est pas bonne c’est que les gens ne sont pas assez près… Je crois qu’il a raison. Moi je n’aime pas donner des leçons. Il y a quelques photographes qui sont des donneurs de leçon… Comme Depardon… Et ça me fait chier.
Ça dépend de l’objectif et de ce que je veux montrer…. Je peux travailler dans la rue comme si j’étais en studio. Dans ce cas, je me mets assez près et, du coup, on me regarde ! »
Une consoeur reprend la parole, William Klein remarque « Vous avez déjà fait trois interventions. C’est votre dernière question. »
« Je n’ai jamais pensé à quelle photo était la meilleure de mon point de vue. La aussi ça dépend des époques. »
« Il y a une photo qu’on me demande beaucoup. Je reçois des coups de fil de Norvège d’Amsterdam, de Finlande : nous faisons un numéro sur la violence. Vous avez une photo d’un petit garçon qui pointe un pistolet sur vous… »
« On peut dire que cette photo là m’est associée, mais ce que j’ai fait ces dernier temps, c’est de montrer la photo d’à coté et la planche contact. Sur ce contact là où il y a le garçon au pistolet - on dirait un délinquant -, mais sur le contact, la photo à côté : c’est trois gosses qui sont morts de rire. Ils pensent : qu’est-ce qu’il fait ce con avec son appareil photo ? »
« C’était une espèce de mise en scène. C’est moi qui ai demandé au garçon de pointer son pistolet… »
Viva, une petite histoire d’agence
« Créée en février 1972, ses géniteurs, huit photographes “génération 68” ont tous la trentaine passée et le regard affûté : Alain Dagbert, Martine Franck, Hervé Gloaguen, François Hers, Richard Kalvar, Jean Lattès, Guy Le Querrec et Claude Raymond-Dityvon. Plus coopérative d’auteurs-artistes qu’agence de presse, le groupe Viva cherche à prolonger les acquis hérités de son aînée, l’agence Magnum (1947), et à se démarquer des trois agences - Gamma (1967), Sipa (1969) et Sygma (1973) - qui dominent le monde de l’image de la presse illustrée à coups de cadences infernales et de clichés “chocs”. » écrit Aurore Deligny dans la thèse qu’elle a consacrée à cette agence pour sa période principale (1972-1982)
Elle ajoute : « A la fois réinventer une nouvelle façon de construire des images sans chercher à uniformiser les élans novateurs. Sur les traces des William Klein (qui soutiendra d’ailleurs l’agence Viva dans son entreprise en lui laissant ses archives en distribution) et Robert Franck ../…. »
Il se trouve, qu’en 1982, l’agence de La Compagnie des Reporters, dont j’étais le directeur-gérant a fait un accord avec Christiane et Claude Dityvon, les dirigeants de Viva, au terme duquel, la Compagnie des Reporters assurait la continuité de l’organisation et de la diffusion des photographes de Viva.
« J’héritais » donc, de plusieurs dizaines de photographes encore actifs et de centaines de milliers de tirages et de diapositives de dizaines d’autres photographes dont William Klein. Contacté, il me confirma qu’il avait déjà retiré la distribution d il e son matériel à l’agence Viva à la fin des années 70. Il exigea la restitution des documents lui appartenant, ce que les archivistes iconographes, Marie-Christine Biebuyck et Kada Mekdoul, entreprirent de faire avec le sourire. « Il venait avec sa femme, trés grand seigneur, pour reprendre les photos de retour des journaux - se souvient Marie Christine Biebuyck - Il était très séducteur.» Mais, il ne restait plus de grands tirages, mais quelques boites de 20x30 qui lui furent remises.
Le lecteur ignore peut-être que rendre au photographe ses tirages n’a jamais été aisé. A cette époque argentique, une agence peut stopper la distribution des œuvres d’un photographe, mais beaucoup d’épreuves distribuées au fil des années, ne reviennent – quand elles reviennent – que lentement à l’agence. Ces opérations durent des années.
Pour être exact, je dois dire qu'à l’époque j'ai tenté de faire revenir William Klein sur sa décision de ne plus être diffusé par cette nouvelle agence Viva-La Compagnie des Reporters. Ainsi, pour la victoire de Noah au tournois de tennis de Roland Garros, il avait accepté de donner une photo pour un sujet collectif d'une bonne dizaine de photographes de Viva et de La Compagnie des Reporters. Mais ce ne fut qu’un coup, mais une belle image qu'il fit de la tribune officielle, évidement.
J’avais le maitre sous la main, je ne résistai pas à exercer ma professionnelle et historique curiosité :
Question: Début des années 70 vous avez été diffusé par l’agence Viva avec Martine Franck, Hervé Gloaguen, Claude Dityvon, Guy Le Querrec, etc. Ma question concerne une courte période de votre vie mais importante dans votre rapport au photojournalisme… Quelle était votre attitude et votre positionnement par rapport à l’agence Viva ?
« Je n’ai jamais travaillé avec Viva. Je connaissais Pierre de Fenoyl qui a formé l’agence Viva. L’ambition était de faire un autre Magnum, et il y avait de bons photographes là dedans : Hervé Gloaguen, Martine Franck et d’autres… C’est une opération qui a foiré. Un peu trop difficile de faire un autre Magnum ! Ils n’ont pas réussi. »
Relance de la question: Mais vos photos ont été diffusées par Viva !
Par amitié, à un moment donné, un photographe m’a demandé s’il pouvait prendre mes archives pour l’agence. C’était une époque où les archives n’étaient pas encore considérées comme aussi précieuses qu’aujourd’hui. Il y avait deux à trois cents boites de photos, des vintages. Ils ont transporté toutes ces boites dans un bureau. C’était une opération un peu idiote. Toutes ces photos aujourd’hui valent beaucoup d’argent. Et moi j’ai balancé deux trois cent boites pour une agence qui s’appelait Viva … Et qui ne vivait pas tellement».
Lui, William Klein,à Perpignan, pour ce Visa 2010 était bien vivant. Si ses oreilles sont défaillante, ce n'est pas le cas ni de l'oeil, ni de la langue.
Michel Puech
Retour de Perpignan, le mardi 7 septembre 2010
Précisions historiques
Pierre de Fenoyl (1945-1987) fut archiviste et photographe à l'agence Delmas (1961), a l'agence Holmès-Lebel (1962). Il devient iconographe pour les Editions Rencontre pour une collection dirigée par Charles-Henri Favrod. Archiviste d’Henri Cartier-Bresson (1965 -1966) il fut aussi directeur des archives de l'Agence Magnum-Photos, Paris avant de devenir responsable de la documentation et de l'iconographie aux Editions Rencontre. Il est le fondateur de l'agence VU (Boubat, Richard Kalvar, Guy Le Querrec, Hervé Cloaguen, Claude Raymond-Dityvon, William Klein), Vu qui deviendra VIVA. Cette agence Vu n'a aucun lien avec l'actuel agence VU'.
Les archives de William Klein diffusées par l'agence Vu, sont regroupées ensuite avec celles des autres photographes dans l'atelier de Klein rue Falguière. C'est là que débute l'activité de l'agence Viva qui va ensuite se déplacer rue Charles V à Saint-Paul, puis rue Saint-Marc près de la Bourse. C'est là que William Klein en récupéra la plus grande partie de ses archives fin des années 70.
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s'intéresse essentiellement au photojournalisme, à la photographie comme au journalisme, et à la presse en générale. Il est tenu bénévolement par Michel Puech, journaliste honoraire (carte de presse n°29349) avec la collaboration de Geneviève Delalot, et celle de nombreux photographes et journalistes. Qu'ils soient ici tous remerciés.Tous les textes et toutes les photographies ou illustrations de ce blog sont soumis à des droits d'auteurs. Aucune reproduction même partielle n'est autorisée hormis le droit de citation conformément à la loi française. Pour d'éventuelles reproductions veuillez prendre contact. Vous pouvez retrouver A l'oeil sur Facebook, et sur le site de Michel Puech.
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