Michel Puech (avatar)

Michel Puech

Journaliste honoraire

Abonné·e de Mediapart

434 Billets

0 Édition

Billet de blog 8 octobre 2008

Michel Puech (avatar)

Michel Puech

Journaliste honoraire

Abonné·e de Mediapart

Les « Paris » de Yann Layma

Cette semaine apparaît dans les librairies un grand et lourd coffret contenant le dernier travail du photographe Yann Layma : un Paris en couleur, vu par un homme qui s’est senti pendant cinq ans, « comme un chinois dans la ville ». A voir absolument et à se faire offrir bientôt. L’occasion, pour moi, d’une nouvelle amicale rencontre…

Michel Puech (avatar)

Michel Puech

Journaliste honoraire

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Cette semaine apparaît dans les librairies un grand et lourd coffret contenant le dernier travail du photographe Yann Layma : un Paris en couleur, vu par un homme qui s’est senti pendant cinq ans, « comme un chinois dans la ville ». A voir absolument et à se faire offrir bientôt. L’occasion, pour moi, d’une nouvelle amicale rencontre…

in Paris de Yann Layma, Ed. de La Martinière ( octobre 2008)

Paris en livres, Paris en images, le Paris des photographes est le plus souvent dans notre inconscient culturel collectif, un Paris en « noir et blanc », le Paris de Brassaî, celui de Doisneau, ou plus récemment, celui d’Amadou Gaye. Bien sur, un autre Yann, Arthus-Bertrand nous a donné un « Paris vu du ciel » en couleur ; bien sur, il y a également le très original « Paris vu des clochers » de Michel Setboun, mais sur les rayonnages des librairies, si la France s’affiche en couleur, Paris se découvre souvent en N&B.

Voilà donc à l’initiative des yeux et des cœurs d’Hervé de la Martinière et de son complice Benoit Nacci, le pari que relève en 2003 un Yann Layma peine revenu de Chine : mettre en couleur cette ville où – soit disant – les passants et les chats sont tous gris.

Il lui faudra cinq ans de chasse aux lumières, de traque aux ombres et d’esquive des mauvaises humeurs parisiennes pour aboutir à cet ouvrage au format imposant de la collection 24x36. Cette collection, dont il s’agit du troisième volume, se présente sous la forme d’un coffret qui a exactement la taille des boites d’archives des agences Rapho, Magnum ou jadis Viva, des boites en carton qui sont, pour tous les professionnels de la photographie, un symbole de l’époque de l’argentique. Belle idée.

in Paris de Yann Layma, Ed. de La Martinière ( octobre 2008)

91 rue Saint-Honoré, passage des Antiquaires

« Tu vois, je suis installé à côté de la Compagnie des Reporters » me dit Yann Layma en m’accueillant dans son bureau, « ma cage » précise-t-il dans un sourire. Ces premiers mots d’accueil me vont droit au cœur, car l’éphémère Compagnie des Reporters (1980-1986), où je le rencontrais la première fois, avait effectivement son premier bureau à deux pâtés de maisons de là, dans la même rue Saint-Honoré.

« C’est central ! Pour ce livre : idéal, dès que je voyais la lumière devenir intéressante, que mon ombre s’allongeait, je filais. D’ici, je pouvais être en quelques minutes à Notre-Dame de Paris… ». Les photographies de l’ouvrage en témoignent : la lumière qui éclaire les angelots du fronton de la cathédrale est tout simplement divine. Celle qu’il capte avec ses Leica sur les bords de Seine où il saisit un saxophoniste répétant les pieds dans les algues, étonnante ; comme ce ciel noir au dessus du Forum des Halles… Yann aime la lumière et la couleur. « Je n’ai jamais fait de photographies en N&B. J’ai toujours fait des diapos. Et je continue. Ce livre sur Paris est réalisé uniquement avec des pellicules argentiques Fuji ».

in Paris de Yann Layma, Ed. de La Martinière ( octobre 2008)

Yann Layma est un des photographes les plus étonnants que j’ai rencontré jusqu’alors. La première fois, c’était donc à La Compagnie des Reporters qui comme son nom l’indique rassemblait une poignée de photographes et de rédacteurs décidés à faire du reportage dit « Magazine ». Il venait là, avec son amie Anne Georget, aujourd’hui réalisatrice de documentaire, me présenter un projet, non de reportage, mais de vie : photographier la Chine ! Rien de moins.

A la chasse au dragon

L’empire s’entrouvrait à peine à l’époque. Et il avait 18 ans ! Il était encore étudiant et n’avait réalisé que de petits reportages… Qu’à cela ne tienne, il me dit qu’il apprenait le mandarin à l’école des langues orientales, le commerce international, et allait partir à Taiwan poursuivre ses études. Dans les agences de photos, les picture éditeurs voient défiler toutes sortes de pérégrins, mais celui là avait, dans le regard un air si déterminé, pour tout dire un peu illuminé. Je le trouvais étrange et peu sympathique, en vérité. Mais il m’intrigua. Je fis donc les accréditations qu’il souhaitait. Il collabora une paire d’années à notre Compagnie et le monde tourna.

Plus de vingt ans passèrent, quand nous nous revîmes en 2004. D’une grande muraille de 600 000 photographies prises en Chine pendant plus de vingt ans de séjours, les Editions de La Martinière avait sélectionné 230 clichés pour constituer ce qu’on appelle une somme : « Chine » publié en 2003, et dont une sélection de 108 images fut installée à l’initiative du Sénat d’octobre 2004 à février 2005 sur les grilles du jardin du Luxembourg dans le cadre de « l’Année de la Chine » à Paris.

La Chine de Yann Layma est un travail digne de ce pays continent Yan Lei, c’est son nom en chinois est reconnu par ses pairs photograhes chinois. Je contemplais ce travail époustouflant quand un gardien m’apprit que le photographe était « dans le bistrot en face ». Yann avait évidemment comme moi, vieilli, mais son regard restait le même, avec une douceur plus humaine, plus chaleureuse. Il me raconta un peu de sa vie qui est à la hauteur de son travail, proprement hallucinante.

« Je suis né en 1962 à Lannion, en Bretagne, sur le bord d’une rivière où les bateaux me donnaient l’envie et le goût du voyage. J’ai été élevé dans une mouvance de liberté. J’ai grandi dans des camps naturistes. C’est là, au bord d’une mare qui était un peu mon jardin secret, que j’ai rencontré un prêtre, inspecteur d’académie et grand entomologiste. Je l’ai rencontré alors qu’il avait 65 ans et moi, j’avais 7 ans. A mon grand étonnement, je le voyais exulter d’avoir capturé un papillon blanc... Il a commencé à m’expliquer sa science et son matériel et j’ai été piqué par la passion. Pendant dix ans, il m’a appris à apprendre, et surtout à me servir de mes yeux. Et j’ai fait de l’entomologie jusqu’à 17 ans. J’ai fait trente fois plus d’expositions d’entomologie que de photographies. J’ai arrêté net à la suite d’un incident à la douane américaine. Je venais de passer des semaines en jungle pour attraper des papillons et divers insectes rares. En transit dans un aéroport, le douanier a considéré que tout cela n’était que poison, et a tout mis à la poubelle. Je me suis dit plus jamais ça. »

in Paris de Yann Layma, Ed. de La Martinière ( octobre 2008)

« 20 ans, Monsieur le Président. »

« En 1979, peu avant que je pousse la porte de la Compagnie, j’ai eu une crise. Je n’ai pas dormi pendant dix jours. Et j’ai eu la vision d’une vie à photographier la Chine et à apprendre la langue et la culture de ce pays. C’était un appel soudain. Cela ne m’a jamais quitté. Le médecin qui m’a soigné, qui me soigne toujours et qui est un ami m’a offert des appareils photos. J’ai passé le bac et commencé à apprendre le chinois. »

Après un séjour à Taiwan et un autre au Japon, Yann Layma revient à Paris où la chance lui sourit. « Anne Georget connaissait la secrétaire de François Mitterrand et nous lui avons fait part de notre désir de photographier le Palais de l’Elysée de fond en comble… Elle nous a arrangé un rendez-vous avec le Président pour exposer le projet. Il m’a regardé et m’a demandé :

- Vous avez quel âge ?

- Vingt ans, Monsieur le Président

- Alors c’est d’accord. »

Le scoop fait le tour du monde, d’innombrables pages dans d’innombrables magazines, et avec cet argent Yann part s’installer à Pékin en 1985. « Austérité, le vide, interdiction de parler aux étrangers… C’était l’époque de l’hésitation entre les conservateurs et les progressistes. La Chine n’était pas celle qu’elle avait été, et pas encore celle d’aujourd’hui. »

Mais, pendant son séjour en Chine, Yann Layma doit faire face à des crises d’exaltations et de désespoir de plus en plus terribles. Au point, que pendant plusieurs années, il se fait attacher la nuit pour éviter les tentatives de suicides. Il dort ficelé dans sa baignoire. Il ne comprend pas ce qui lui arrive. Tout va pourtant apparemment bien pour lui : les commandes de magazines, notamment de Géo sont nombreuses…

Rapatrié sanitaire en 2001 il se retrouve interné à l’Hôpital Saint-Anne. Mais, enfin, il peut mettre un nom sur ses maux : la maladie bipolaire anciennement appelée maniaco-dépressive. Un an de formation à Saint-Anne, de nombreuses lectures, l’assistance amicale de son médecin vont l’aider à dompter son dragon. Mais en 2002, lorsqu’Hervé de La Martinière l’appelle pour lui dire : « Nous aimerions faire un beau livre avec votre travail sur la Chine », c’est le début d’une renaissance. Il vit alors dans un « placard de 13m2 à Neuilly» que lui prête des amis. Il n’a plus d’argent et interdiction formelle de voyager en raison des troubles que peuvent lui procurer les décalages horaires. Il doit avoir une vie simple, réglée ; éviter les stress et les émotions fortes. Une ordonnance sévère pour un photojournaliste, coureur de monde.

in Chine de Yann Layma, Ed. de La Martinière (2003)

« Je continue à photographier avec mon cœur »

Son énorme livre « Chine », aboutissement de sa « mission », connaît un succès formidable : plus de 100 000 exemplaires sont vendus et le remettent à flot financièrement et moralement. Nous sommes en 2003 et Hervé de La Martinière et Benoit Nacci vont lui donner, à nouveau la possibilité de s’exprimer en lui commandant ce travail en couleur sur Paris. « Il y a longtemps qu'Hervé de La Martinière et moi avions envie d'un beau livre en couleur sur Paris » me confie Benoit Nacci. « Nous avions même fait travailler des iconographes sur le sujet, mais nous n'étions pas satisfait. Il n'y avait pas de cohérence. Yann avec sa manière discrète de travaillé sait capter la moindre lumière. Il se passe toujours quelquechose dans ses photos. »

Pourtant ce pari là n’est pas gagné d’avance. « De 2003 à 2006, je perds l’équilibre dans la rue. Je tombe. J’ai des spasmes. Je passe même un mois en fauteuil roulant, mais je m’oblige à sortir pour photographier Paris. Je dégage de l’électricité… Et les réactions des gens sont souvent agressives : insultes, crachats. Un jour, alors que je photographie des fleurs dans un jardin public près d’un bac à sable où jouent des enfants, huit policiers me tombent littéralement dessus sous le prétexte que je photographie des enfants. Je vais passer une nuit d’enfer au commissariat avec des humiliations, des insultes… Un policier me dira même : « Vous les photographes vous volez l’image des gens ! » Les réactions des parisiens m’ont d’autant plus choqué, qu’en Chine j’avais l’habitude de me promener et de photographier à ma guise… Les gens étaient souriants. Ici…» Pourtant un des traits qui le caractérise, souligne Benoit Nacci avec qui il collabore pour ses livre, c'est que « Lorsqu'on regarde ces photos, on sent qu'il aime les gens »

Depuis deux ans, Yann Layma a gagné un pari. Il arrive à vivre plus tranquillement « j’ai beaucoup appris sur ma maladie et cela m’aide à conduire ma vie. La maladie bipolaire touche beaucoup les créateurs. De nombreux artistes, peintres, sculpteurs, écrivains, poètes ont montré des symptômes de cette maladie qui touche un pourcentage non négligeable de la population. »

Surmontant ses envies de se jeter sous les rames de métro, dans la Seine à chaque traversée de pont, Yann a pendant cinq ans photographié cette ville où il se sentait étranger. Pourtant « Paris est la plus belle ville du monde, et je le dis alors que j’ai voyagé dans 65 pays ! »

Enfin, ce « Paris » là aussi est gagné ; et, comment ! L’ouvrage, magnifique, est dans toutes les librairies et Yann Layma, plus tranquille, plus serein s’apprête à repartir pour une nouvelle aventure, un nouveau défi : un long métrage tourné en Inde. « Ce sera une histoire d’amour entre de jeunes voyageurs, dans un endroit de l’Inde que je considère comme le plus beau du monde. Je vais rompre la solitude du photographe en travaillant avec une petite équipe pour faire un long métrage de fiction et un documentaire.»

Bonne route l’ami !

Michel Puech

Tous droits réservés

Debut des années 80, à la Compagnie des Reporters.

(de gauche à droite) :Monique Salaber, Jacques Loic, Sergio Gaudenti, Michel Puech, Yann Layma, Jean-Luc Cormier, Anne Georget.

Pour aller plus loin

- Site personnel de Yann Layma (www.yannlayma.com)

Avant son départ, ceux qui voudraient se faire dédicacer son dernier livre, ou acheter des tirages argentiques signés sont les bienvenus chez lui, dans sa « cage » 91 rue Saint-Honoré – Paris.

- Archives photographiques diffusées par l'agence Getty Images.

- Pour comprendre la maladie bipolaire : Association d'aide aux personnes atteintes de troubles bipolaires (maniaco-dépressifs) et à leur entourage. http://www.argos2001.fr/

Bibliographie

- Paris (Collection 24x36) - Publication octobre 2008- Editions de La Martinière

- Pékin - collection Géo ville - par Ollivier Stéphanie et Layma Yann (2008)

- Chine de Yann Layma et Collectif (2003)

- Chine par Yann Layma, José Frèche, Anne Loussouarn, et Catherine Zittoun

- Guédapa au royaume des singes par Frédéric Fougea et Yann Layma (1991)

Interviews

- Photographie.com – Diaporama et interview sonore de Céline Chevallier

- « For intérieur » par Olivier Germain-Thomas interview sonore pour France Culture.


Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.