Un couple d’homosexuels « dans son intimité » photographié en Russie par le danois Mads Nissen de l’agence Scanpix est le grand lauréat d’un World Press où 20% de la production a été éliminée pour cause de manipulation de l’image.
A l’heure où à une portée de canon de la zone interdite de Tchernobyl se joue l’avenir immédiat de l’Ukraine : guerre ou paix, à l’heure où l’Etat islamique fait un barbecue avec un pilote jordanien, où Boko Haram viole, pille, massacre, à l’heure où le monde est pris d’une folie meurtrière, quelques semaines après le massacre de la rédaction de Charlie Hebdo, le photo club d’Amsterdam prime une belle image bien posée, bien cadrée d’une scène d’homosexualité !
A croire que ces dames et messieurs du World Press Photo ont souhaité donner un argument de plus à Poutine pour alimenter ses diatribes sur la dégénérescence de l’occident. Entendons-nous, je n’ai rien contre les homosexuels mâles, femelles ou transgenres. J’ai autant d’intérêt pour la sexualité de mes contemporains que pour leurs religions. Rien à foutre ! Qu’ils prient ou baisent qui bon leur semble, c’est leur affaire. L’humanité misérable a d’autres soucis !
Entendons-nous, je n’ai rien non plus contre Mads Nissen qui est un excellent photographe maintes fois récompensé et qui démontre avec cette image ses compétences, et les capacités de son boitier en basse lumière. Le reportage de Mads Nissen est magnifique. Le problème n’est pas le travail du photographe, mais celui du jury.
Pour être précis je dirai même DES jurys, car l’an dernier avec la photo de John Stanmeyer (agence VII) représentant des migrants téléphonant au clair de lune, c’était déjà l’esthétisme qui était primé.
N’étant pas à Amsterdam, c’est sous la compétente plume d’Olivier Laurent, journaliste à Time que je lis cet étonnant commentaire de Pamela Chen, membre du jury et « editorial director » (sic) d’Instagram: « Aujourd'hui, les terroristes utilisent des images graphiques pour la propagande. Nous devons répondre avec quelque chose de plus subtil, intense et réfléchi. Nous étions à la recherche d'une image qui sera la question demain, pas seulement aujourd'hui. L'image gagnante montre ce qu’un photographe professionnel peut faire dans une situation de vie quotidienne. »
« You don't need to go to war to enter the Pantheon of #photojournalism »
Joint au téléphone, Patrick Baz, directeur photo à l’AFP pour le Moyen-Orient s’exclame « Où est-il écrit que le World Press doive récompenser une photo de guerre ? L’actualité mondiale a ses catégories. Il y a des gagnants, les meilleurs ! Le World Press n’est pas une agence de presse, ni un magazine. Nous avons primé un travail qui résume tout, l’amour, la guerre… C’est un vote unanime ce qui est rare au World Press. »
Il est exact que dans les catégories « News », les sujets de l’année ont été primés comme le montrent les images ci-dessus, mais, comme chaque année, ce que la presse mondiale retiendra de cette 58ème édition du World Press c’est LA photo lauréate et non les photos primées dans les innombrables catégories.
Il y a donc un message dans le choix du jury du World Press, et ce message ne s’adresse pas au public mais aux professionnels. Patrick Baz le résume d’un tweet : « You don't need to go to war to enter the Pantheon of #photojournalism » et ajoute au téléphone « Il y avait cent photographes à Gaza, tu trouves ça normal ? »
Et, là, nous sommes au cœur du sujet, les photo-éditeurs des magazines et des agences de presse sont effrayés par le nombre de jeunes photoreporters qui se lancent sur les terrains de guerre sans expérience, sans assurance et sans garantie financière alors que les risques de blessures, de prise en otage ou d’assassinat sont de plus en plus importants.
La guerre en Syrie avec ses décapitations de journalistes a fait réfléchir les rédactions. Cela se traduit par une plus grande prudence des éditeurs. Il est très difficile aujourd’hui pour un apprenti reporter de placer ses photos s’il est parti sans accréditation, et il est encore plus difficile d’en décrocher une !
D’un autre côté, la maîtrise de la propagande audiovisuelle de l’Etat islamique avec ses vidéos barbares dévalorisent les images des professionnels. Les bourreaux sont toujours mieux placés que les journalistes pour mettre en boite leurs horribles faits…
Et, du coup, les professionnels qui arrivent à être les témoins d’assassinats individuels ou de masse deviennent vite suspects aux yeux même des professionnels. Au Prix Bayeux Calvados en octobre dernier, le jury des pros avait été scandalisé par la projection d’une décapitation faite par un photographe turc. On avait pu entendre le terme de « collabo » prononcé par des confrères. Et pourtant, le jury du public avait, lui, primé ce reportage !
En mettant en avant la photographie de ce couple d’homosexuels, le jury du World Press a visiblement voulu, une fois de plus, rappelé que le photojournalisme n’est pas qu’une histoire de sang et de bang-bang, mais ce message destiné aux pros, ne marque-t-il pas également un divorce entre le ressenti des photo-éditeurs et le public ?
Après tout, ce divorce est déjà inscrit dans la désaffection du public pour les journaux et magazines et son engouement pour les réseaux sociaux et l’info en continu.
Michel Puech
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