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Billet de blog 12 sept. 2009

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Adieu Willy Ronis l'humaniste !

 Il était né au début du siècle dernier, en août 1910 et il avait fêté ses 99 ans avec une grande exposition organisée par les « Rencontres d’Arles ». C’était le dernier de cette vague de photo-reporters qualifiés d’humanistes. Un nom qu’il méritait bien, tant sa courtoisie et sa gentillesse frappaient ceux qui le rencontraient.

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Il était né au début du siècle dernier, en août 1910 et il avait fêté ses 99 ans avec une grande exposition organisée par les « Rencontres d’Arles ». C’était le dernier de cette vague de photo-reporters qualifiés d’humanistes. Un nom qu’il méritait bien, tant sa courtoisie et sa gentillesse frappaient ceux qui le rencontraient.

Il marchait et photographiait encore quand en 2002, il avait tenu à être présent pour le « pot » de départ de Mark Grosset, alors directeur de l’agence Rapho, « démissionné » par l’énarque de service du groupe Hachette Filipacchi. « Comment ne serais-je pas là ? » m’avait-il dit.

Il avait rejoint l’agence Rapho à la fin des années 40 et était un ami de la famille Grosset dont Raymond, le père, avait relancé l’agence en 1947 avec, notamment, Robert Doisneau.


« Si il y a deux mots qui s’applique à Willy Ronis, c’est rigueur et fidélité. » déclare au téléphone Stéphane Ledoux, le patron du Groupe Eyedea dont fait partie Rapho. « C’est une nouvelle très triste pour la photographie et pour l’agence Rapho a laquelle, il est resté fidèle toute sa vie. »

Son premier appareil photo, Willy Ronis le prend en main en 1926 et commence à photographier Paris. Il faut dire que son père d’origine russe a un petit studio de photographe de quartier. Il y travaille, sans aucun enthousiasme, à partir de 1932. Mais le portrait en studio n’est pas son affaire. La photographie non plus d’ailleurs. A la mort de son père en 1936, il devient photographe illustrateur indépendant et « couvre » les conflits sociaux. C’est l’année de sa première parution dans « Regards », un magazine proche du PCF concurrent du célèbre « Vu ».

Le voilà photographe, un peu malgré lui, mais content de pouvoir par cet exercice rencontrer des gens et découvrir des paysages. Il photographie la montagne qu’il aime - en particulier les Vosges et les Alpes - et les nuits de Paris qui donnent lieu à sa première exposition à la Gare de l’Est. En 1937, il achète un Rolleiflex, se lie d’amitié avec Robert Capa et Chim. Photos sociales mais aussi reportages touristiques l’amènent en Grèce, en Yougoslavie, en Albanie…

D’origine juive et étrangère (père russe, mère lithuanienne), « Avec la promulgation des premières lois antisémites il doit renoncer a ses activités de photographe; En décembre il travaille la nuit comme manoeuvre dans une minoterie. En juin 1941 à Loches, il passe la ligne de démarcation dans des conditions difficiles et manque d'être arrêté. La douzaine de personnes qui l'accompagne est interceptée par une patrouille allemande. Plus jeune, plus rapide, il s'enfuit. Il est le seul a ne pas être arrété. Planqué, il voit les allemands repartir avec sa bicyclette, il a perdu son sac, mais il est libre. Il vit d'expédients sur la Cote d'Azur passant de la tournée théatrale avec la bande à Prévert au studio de Sam Levin à Toulon. » (source 1)

Willy Ronis réfugié un temps à Nice s’emploie comme aide décorateur aux studios de cinéma de la Victorine, puis peint des bijoux avec Marie-Anne qu’il épousera en 1946 et dont le « nu provençal » deviendra une icône.

Revenu à Paris en 1944, il travaille pour « Point de Vue », « L’Ecran français », « Regards », « L’Illustration », » Le Monde Illustré » tout en réalisant des commandes notamment pour « Air France ». Membre à part entière de l’agence Rapho depuis 1946, les années 50 le voient travailler pour « Vogue ». En 1953 première exposition au Musée d’Art Moderne de New York avec Brassaï, Doisneau et Izis. La Biennale de Venise de 1957 le consacre. Il a également une activité d’enseignant aux écoles IDEEC, Estienne, Vaugirard et publie en 1951 aux éditions Montel « Photo Reportage et chasse aux images », dont il écrit le texte et qu’il illustre de ses photographies. Cet opuscule sera également édité en italien sous le titre « Il manuale del perfetto fotoreporter » ( Ed Quinti, 1953).

En 2002, alors qu’une signature de son dernier livre avait été organisée pour le personnel de l’agence Rapho, j’avais choisi de lui faire dédicacer ce petit fascicule, trésor de ma bibliothèque que j’avais déniché grâce à Jean-Louis Rochelois, un bouquiniste passionné. En voyant l’objet Willy Ronis avait levé les bras en l’air : « Ca alors ! » Et le prenant en main il me dit « il est en meilleur état que le mien » avant d’écrire la dédicace suivante : « A Michel, cette vieillerie restée chère à mon cœur. »

Les années 60 le voient exposer au Musée des Arts Décoratifs à Paris avec Doisneau, Frasnay, Lattès, Pic et Janine Niepce. Il part en reportage pour Alger sur le premier Festival panafricain et dans les pays de l’Est : Berlin-Est, Prague, Moscou. Il quitte en 1972 Paris pour Gordes puis l’Isle-sur-la-Sorgue dans le Vaucluse.

Bien qu’il reçoive le prix Nadar en 1981 pour son album « Sur le Fil du Hasard » et qu’il soit exposé de nombreuses fois, la fin des années 70 et les années 80 sont financièrement très difficiles pour Willy Ronis. En 1983 il réalise un acte important et aux conséquences multiples : il fait donation de son œuvre à l’Etat (Ministère de la Culture) avec effet « post-mortem ».

Cette donation va lui permettre d’obtenir un petit appartement pour revenir s’installer à Paris, mais aura comme conséquence qu’au lendemain de son décès ses droits d’auteurs ne seraient plus perçus par l’agence Rapho avec laquelle il aura collaboré toute sa vie ! « Nous sommes en négociation avec le Patrimoine » confie Stéphane Ledoux du Groupe Eyedea « car Willy Ronis a fait part à qui de droit de son souhait que l’agence Rapho conserve un rôle dans la diffusion de son œuvre. »


Pour un photographe « ce sont les 70 premières années les plus difficiles » avait l’habitude de dire en substance Robert Doisneau. A partir des années 90, la situation de Willy Ronis s’améliore en même temps que l’âge le rejoint. Il continuera à travailler jusqu’en 2005, où il fera en septembre une émouvante exposition à la galerie « Camera Obscura » de nus féminins, dont ceux de ses dernières prises de vue.

Très gêné pour se déplacer, il raccroche alors ses boitiers. Diminué physiquement par une insuffisance rénale, il garde une vivacité d’esprit et une mémoire étonnante. « Pour l’exposition d’Arles, comme d’habitude je suis allé chez lui chercher les négatifs » raconte son tireur Hervé Hudry « Alors que je lui montrais une épreuve de petit format pour qu’il m’indique où trouver le négatif, il regarda le numéro de référence et me dit : c’est une erreur, elle n’a pas ce numéro. … Et, il avait raison. ».

Michel Puech

Paris 12 septembre 2009

La reproduction sur tous supports de ce texte et des photographies qui l’illustrent est rigoureusement interdite sans autorisation des auteurs.

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Source et remerciement

  • « La photographie d’actualité et de propagande sous le régime de Vichy » Françoise Denoyelle – Editions du CNRS
  • « La photographie humaniste » Edition de la BNF
  • Remerciement à Philippe Charliat, photographe diffusé par l'agence Rapho, pour l'utilisation du portrait de Willy Ronis.

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