47 700 Euros, c’est la somme totale remise à Bayeux, aux reporters primés. Un argent qui est, comme on le sait, le nerf de la guerre, mais aussi celui indispensable pour « couvrir » les nouveaux conflits, à une époque où les patrons des journaux, des radios, des télévisions ont le porte-monnaie de plus en plus frileux. Et pourtant à Bayeux ce qu’il y avait le plus, c’est du courage et des talents !
Madame la première adjointe à la municipalité de Bayeux, responsable – entre autre – de la Culture a, avec tact, beaucoup insisté. « Vous savez, nous avons un million de touristes qui viennent chaque année à Bayeux. Papa et les garçons vont voir les plages du débarquement, et maman et les filles vont voir la tapisserie ! »
Ils ont tort les garçons, car la tapisserie de Bayeux est sûrement le plus ancien reportage de guerre, en tout cas le plus complet pour l’époque. Cette toile de lin raconte la conquête de l'Angleterre par Guillaume, duc de Normandie, exactement comme on le fait aujourd’hui en bande dessinée, en photographie ou en télé. C’est un vrai reportage où l’on retrouve les règles de l’éditing d’un bon « news magazine » photo !
La doublette de Véronique de Viguerie
La photo, justement, est l’un des prix les plus disputés de cette 17ème édition du « Prix Bayeux-Calvados des correspondants de guerre », et c’est par lui, que le jury termina ses délibérations. Au menu, dix sujets réalisés entre juillet 2009 et mai 2010. On passe du Kirghizistan avec les manifestations sanglantes d’avril dernier à Bichkek à l’Afghanistan et à Haïti. Deux sujets sur les émeutes de Bangkok, ou trop de reporters ont été tués, blessés ou malmenés. Autre sujet très fort, « la guerre de la drogue » au Mexique, et puis l’Iran et le Nigéria.
C’est Véronique de Viguerie qui l’emportera pour le prix photo du jury des professionnels et pour le prix du public décerné par les 150 bayeusins qui se pressaient dans la Halle aux grains, siège des ultimes délibérations.
Née en 1978, Véronique de Viguerie a une longue carrière derrière elle. Habituée de l’Afghanistan où elle fit après un accrochage mortel de « nos troupes » un reportage stupidement controversé sur les talibans meurtriers, Prix Canon de la femme photojournaliste en 2006 à « Visa pour l’image – Perpignan », Véronique photographie depuis 2007 pour Getty images et effectue des commandes régulières pour le Figaro Magazine, Paris-Match, Géo Magazine, Stern, Newsweek, Marie-Claire, Grazia, etc.
Son sujet « La guerre du pétrole » réalisé au Nigéria en juillet 2009 est l'un des trop rares témoignages sur cette région très dangereuse du monde. Et c’est la raison du choix des professionnels. Le public a lui été plus sensible à l’esthétique des images … On est dans des couleurs hyper saturées, de véritables tableaux de peinture, avec un « léché » que l’on retrouve très - trop ? - souvent dans la production Getty images. Un débat complexe sur lequel j’aurai l’occasion de revenir.
Juste derrière Véronique de Viguerie, la deuxième place revient à Olivier Laban-Mattéi pour un reportage sur « L’élection présidentielle iranienne de 2009 » réalisé pour le compte de l’Agence France Presse (AFP) qu’il vient de quitter. Laban-Mattéi est l’un des espoirs les plus prometteurs de la nouvelle génération, et vous n’avez pas fini de voir ses photographies, ni d’entendre parler de lui.
Guillermo Arias d’Associated Press a obtenu la troisième place avec « Guerre contre la drogue » au Mexique. Ces trois reportages auraient tous mérité le premier prix de l’avis de nombreux membres du jury. Mais il fallait trancher et Véronique de Viguerie est repartie de Bayeux avec les 3000 euros offerts par la Ville de Bayeux pour le prix du public, 7600 euros du prix photo et le dernier modèle de chez Nikon.
De quoi produire un nouveau reportage, car ne l’oubliez pas, tous ces prix ne sont pas que flatterie pour les égos, ils sont aujourd’hui indispensables aux reporters pour travailler des sujets réputés « peu vendeurs » !
Parlant de la photographie, deux mots sur les expositions visibles à Bayeux, jusqu'à la fin octobre. Une belle rétrospective de Magnum en extérieur a tellement été appréciée, qu’un spectateur a dérobé la magnifique photographie de Steve Mac Curry.
A ne pas manquer dans l’espace « Le Radar » l’exposition de Jérôme Delay, d’Associated Press, sur la « La guerre sans fin » au Congo (RDC). Au rez-de-chaussée, Jérôme Delay a fait un clin d’œil à la tapisserie de Bayeux, mais la partie la plus émouvante est le premier étage consacré aux enfants. Impressionnant.
Alfred Yaghobzadeh, une « figure » de l’agence Sipa Press expose « Iran by Alfred 1979-2009 » à la Halle Saint-Patrice : une série d’images de ses débuts en N&B, pendant la révolution qui amena Khomeyni au pouvoir, jusqu’aux manifestations de 2009 en couleur avec des verts bien vert et du sang bien rouge… Là encore, il faudrait peut-être que les photographes veillent à ne pas suivre de trop près les progrès techniques fulgurant des laboratoires …
La presse écrite et la télévision format court, au top
Dix articles en compétition nous plongent au cœur de l’Afghanistan, de l’Irak, du Pakistan, du Congo et d’Israël. La qualité des enquêtes et de l’écriture sont au rendez-vous. Je ne sais comment le jury s’est départagé, car personnellement, ils m’ont tous bluffé.
Christophe Boltanski du Nouvel Observateur a remporté le premier prix avec un reportage sur « Les mineurs de l’enfer » de la mine de Bisié (Région du Nord Kivu à l’est de la RDC) où il est allé fin janvier 2010, en compagnie d’un photographe, Patrick Robert, et d’un journaliste de la RTNC, Primo Rudahigwa. En deuxième position, Anthony Loyd pour The Times Magazine et en troisième Jean-Marie Hossatte de Blue Press Agency pour le Monde 2.
Vous pouvez lire, voir, écouter tous les reportages sur le site officiel de la manifestation, y compris le très amusant prix radio « Le facteur de Kaboul : l’homme sans adresse » de Florence Lozach d’Europe 1.
Pourtant, il faut signaler que les sujets radio s’éloignaient un peu de l’objet du prix : la correspondance de guerre. Le jury n’a difficilement présélectionner que six reportages contre dix pour toutes les autres catégories. Dès lors une question se pose : pourquoi les radios envoient de moins en moins d’envoyés spéciaux sur les conflits ? Il y a là une carence sur laquelle les patrons des rédactions concernées devraient se pencher.
Mon coup de cœur : Danfung Dennis !
Terminons par la télévision où les longs formats ne m’ont pas ébloui, mais où dans les « courts », j’ai eu, comme de nombreux membres du jury un vrai coup de cœur pour le reportage « La guerre d’Obama » de Danfung Dennis qui a fort justement emporté le prix du jury professionnel et celui de la Fondation Varenne décerné par des lycéens de Basse-Normandie. Il y a là une écriture nouvelle. Un décalage entre le discours officiel et les images. Une maîtrise de la prise de vue remarquable. (A voir absolument sur le site du Prix Bayeux)
Danfung Dennis a débuté une carrière de photojournaliste indépendant à Pékin en 2005 en travaillant pour des organisations internationales. Il faut préciser qu’il est diplômé de l'Université privée américaine Cornell, en économie appliquée et gestion d'entreprise. Dès l’année suivante, en 2006, il se lance dans la couverture de la guerre en Afghanistan et en Irak. Ses reportages photo sont publiés dans Newsweek, TIME, The New York Times, The Times, The Sunday Times, The International Herald Tribune, The Washington Post, USA Today, The Guardian, Rolling Stone, The Sunday Times Magazine, The New York Times Magazine , Le Washington Post Magazine, Le Figaro Magazine, Financial Times Magazine, Jones Mère, L'Express, Der Spiegel et le Wall Street Journal … Un palmarès époustouflant.
Depuis 2009, avec l’apparition des appareils photo professionnels capables de faire des séquences vidéo de qualité, Danfung se repositionne en misant sur le nouveau marché de la production de films documentaires réalisés avec ce type de matériel. Un marché que l’on dit plein d’avenir avec les web-documentaires …
La télévision publique américaine PNBS (Une sorte d’Arte US) a ouvert son site web à l'automne 2009 avec le documentaire de Danfung primé à Bayeux. La diffusion a suscité une vague de commentaires, de protestations et même une enquête du Pentagone. ITV, BBC, CBS et d’autres télévisions sont intéressées par son travail. Mais pas encore nos télévisions françaises …
Le « court » que nous pouvons voir aujourd’hui rend impatient de visionner le long métrage de 90 minutes qu’il réalise actuellement sur l’Afghanistan. Ce qui est frappant dans ce travail, c’est l’assimilation, le mixage d’un savoir-faire de photojournaliste et la maîtrise d’un film hollywoodien…
Danfung n’a que 27 ans ! Un reporter à suivre de près.
Michel Puech Issy-les-Moulineaux le 14 octobre 2010
Précédent billet sur le sujet : Presse: Bayeux, les rapporteurs d’horreurs à l'honneur
Pour aller plus loin
• Le site officiel du Prix Bayeux-Calvados avec tous les reportages à lire, voir, écouter.
• Le site officiel de la tapisserie de Bayeux
Remerciements à Alain Mingam qui m’a introduit auprès du comité d’organisation du Prix Bayeux-Calvados des correspondants de guerre, à Aurélie Viel et à toute l’équipe Communication du Prix Bayeux pour leur gentillesse et leur disponibilité, aux élus de la municipalité et du département particulièrement concernés par le développement de cette manifestation. Un remerciement tout particulier aux chauffeurs bénévoles qui m’ont évité des marches à pied fatigantes. A tous merci.
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s'intéresse essentiellement au photojournalisme, à la photographie comme au journalisme, et à la presse en générale. Il est tenu bénévolement par Michel Puech, journaliste honoraire (carte de presse n°29349) avec la collaboration de Geneviève Delalot, et celle de nombreux photographes et journalistes. Qu'ils soient ici tous remerciés.Tous les textes et toutes les photographies ou illustrations de ce blog sont soumis à des droits d'auteurs. Aucune reproduction même partielle n'est autorisée hormis le droit de citation conformément à la loi française. Pour d'éventuelles reproductions veuillez prendre contact. Vous pouvez retrouver A l'oeil sur Facebook, et sur le site de Michel Puech.
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