Un appareil photo pour les aveugles !

"Touch Sight" est un concept d'appareil photo numérique, conçu par la designer Chueh Lee de la société Samsung Electronics China, il a reçu un des Trophées d'Or décernés par IDEA, un organisme qui a pour mission de promouvoir l’importance de l’excellence du design industriel sur la qualité de la vie.

En deux mots, comme le montre la photo, il s'agit d'un appareil numérique (APN) sans viseur, mais dont la forme du boitier épouse le front afin d'assurer une visée dans l'axe. Il disposerait de la possibilité d'enregistrer trois secondes de commentaire vocal à chaque prise de vue afin que le déficient visuel puisse ensuite s'y retrouver dans ses images Le projet - car il ne s'agit encore que d'un projet - prévoit la sortie d'images en 3D permettant d'imprimer en relief les photos réalisées.

« Le concept nous a tout de suite paru enthousiasmant, car il ouvre de nouvelles possibilités de communication entre les malvoyants et leur famille ou leurs amis. Le nombre de détails pris en compte, l’approche visuelle et les supports de présentation très complets ont permis de hisser sans problème ce concept dans la catégorie supérieure de ceux que nous avons eus à juger. » a déclaré Thomas Garvey, maître de conférences à l’École de Design de l’Université de Carleton (Canada) et membre du jury de l’IDEA.

Par contre, dans les groupes de discussion sur la cécité et la malvoyance qui se sont développés ces dernières années via Internet, l'enthousiasme n'est pas toujours aussi grand :

« Je voudrai qu'on m'explique comment on peut prendre une photo digne de ce nom lorsqu'on est aveugle. Comment mettre en page un paysage qu'on ne voit pas, comment apprécier les mille teintes qui peuplent la nature, comment ressentir l'émotion dans un regard d'enfant, comment saisir sur le vif un instantané inoubliable. » s'exclame l'un, tandis que l'autre dit que de ne plus voir de photo "ça me fait chialer" !

Photographie et cécité, photographie et malvoyance, voilà bien des concepts antinomiques en apparence. Mais les apparences...

Couverture du dernier livre d'Evgen Bavcar

Il y a une vingtaine d'années, j'étais alors l'heureux "picture editor" réputé "bien voyant" de l'Agence de photo Viva, la Compagnie des Reporters, je fus invité à une exposition d'un photographe aveugle... Je ricanais : en voilà un qui a trouvé un bon moyen de faire sa pub ! J'étais idiot et ignorant de ma propre déficience visuelle.

Il s'agissait du remarquable travail d'Evgen Bavcar, un slovène né en 1947, aveugle, philosophe, photographe qui dit justement : "Il faut distinguer le visuel, ce que voient nos yeux, du visible, ce que voit notre esprit." Et des photographes aveugles ou malvoyants, il en existe plus qu'on ne le croit de par le monde.

Ainsi Yutaka Meijo, l'un des 23 jeunes photographes d'une école pour aveugles de Yokohama (sud de Tokyo), dont les photos attirent de plus en plus l'attention du public. Il explique qu'il retient sa respiration pour que l'appareil photo reste bien en place, et attend juste un instant avant d'appuyer sur le déclencheur. Pour déclencher, il fait confiance uniquement à ses oreilles et à son intuition.

"Je prends des photos en me basant sur le son", a expliqué - à mon confrère Shingo Ito de l'AFP - ce jeune homme de 18 ans qui a perdu la vue à l'âge de 7 ans. Il prend des photos de ses deux amis malvoyants qui jouent au ping pong avec une balle munie d'une clochette à l'intérieur.

"Sur une table sont étalées des centaines de petits bouts de photos qu'Amancio a patiemment découpées. Une chaise, une église, une jeune fille de profil, une paire de chaussures, une table, une vache, un camion, un nuage... Et autour de la table, quelques personnes touchent les morceaux de photos, en suivent le contour du bout des doigts, devinent ce que représente la silhouette découpée. Tous sont aveugles et Amancio est leur professeur de photographie. " m'écrivait ma consœur, Myriam Guillemaud, qui me savait intéressé par le sujet, mais ne trouva pas de magazine pour publier l'histoire.

Myriam me raconta cette expérience menée à Buenos Aires par un photographe professionnel et me montra leur travail. Le résultat de ses élèves était très étonnant. Se mêlaient des images d'une qualité artistique indéniable, à des "photos de famille" ou l'on pouvait voir le chien-guide de l'aveugle photographe, ou sa maison et son jardin...

Et ces photographes aveugles et amateurs, étaient peut-être les plus heureux : ils pouvaient, enfin, comme tout le monde, envoyer la photo de leur chien à leurs amis ! N'est ce pas ce que vous faites vous même ?

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