Dans son édition du mardi 26 octobre 2010, le Washington Post publie des enregistrements sonores réalisés en mai par Max Becherer, photojournaliste de l’agence Polaris, qui apportent des précisions sur l’un des crimes de guerre les plus graves depuis le début du conflit.
Afghanistan, région de Kandahar, le 2 mai 2010 dans la matinée. Des soldats du troisième peloton, du 2e bataillon, du 1er régiment d’infanterie de l’armée américaine sont en patrouille dans le village de Qualaday.
A un moment, le peloton s'est arrêté près du lieu où, quelques jours plus tôt, les soldats avaient découvert une bombe non explosée près d’une maison. Pendant que le lieutenant Stefan Moye interroge les villageois, d'autres soldats surveillaient les abords. Le mollah Adahdad, non loin de là, a attiré l'attention du sergent-chef Calvin R. Gibbs qui a dit au religieux de suivre d'autres soldats, membres de ce qu’il nomme dans une vidéo son « kill team », son équipe de tueurs. Cette vidéo a été réalisée par un autre soldat de l'unité, Adam C. Winfield, qui a déclaré plus tard que l’afghan n'était pas armé et «semblait sympathique et sans animosité à notre égard.»
Un crime maquillé avec une grenade russe
Pourtant Calvin R. Gibbs a dit aux soldats Winfield et Morlock : « Vous l’emmenez dans le fossé. Vous allez le tirer avec vos armes et jeter une grenade. Et quand il sera « off », je vais jeter cette grenade près de lui. » La grenade en question était une grenade dite « ananas » de fabrication russe que le sergent avait acquise illégalement pour son « kill team ».
Calvin R.Gibbs s’est dirigé vers le corps démembré du mollah, il lui a tiré au moins deux balles dans la tête selon la déclaration de Winfield. En entendant les coups et les explosions, les autres membres des pelotons se sont précipités sur les lieux et ils ont vu le cadavre avec la grenade russe à côté de lui. Ils ont déclaré ultérieurement aux enquêteurs avoir trouvé l'explication crédible.
Le sergent-chef aux ciseaux
Mais, la mort ne marque pas la fin de la violence infligée au mollah Adahdad, selon des documents de l’enquête de l'Armée. Calvin R. Gibbs a ensuite pris la tête d’une équipe de trois soldats pour récupérer le corps du mollah et prendre ses empreintes digitales à sa façon. Il a sorti une paire de ciseaux, du type utilisé par le personnel médical pour couper les uniformes des soldats blessés, et taillé les doigts de l’afghan. Ceci a été attesté par un soldat du peloton, Emmitt Quintal qui a dit avoir été témoin de l'épisode. Il lui aurait déclaré sur le champ qu’il était « un sauvage et un fou », sans parler du fait que Calvin R. Gibbs aurait retiré une dent du cadavre avec des gants chirurgicaux.
En plus de trois chefs d'accusation pour assassinat, Calvin R. Gibbs a été accusé de possession d’os de doigts, d’os de la jambe et d’une dent de cadavres afghans.
Trois jours après cet épisode extravagant de cruauté, le peloton est retourné au village Qualaday, accompagné de Max Becherer. Le photojournaliste « embedded » a alors remarqué que Calvin R. Gibbs était porteur d'une paire de ciseaux médicaux, qu’on distingue sur les photos qu’il a faites du sergent. La paire est logée dans l’encolure de son gilet pare-balles.
Max Becherer, qui est un correspondant de guerre de grande expérience, lui a demandé s'il était infirmier. «Il m'a répondu non, je suis un chef d'équipe », expliquant qu'il avait gardé les ciseaux à portée de main « juste pour être prêt.»
Le silence a entouré cet odieux assassinat, dont tous les détails ne sont peut-être pas encore connus, jusqu'à ce qu'un membre de l'unité, fasse l’objet d’une enquête pour utilisation de haschich. Dans ce cadre, il a averti la police militaire des faits survenus le 2 mai. Une enquête a démarré en septembre alors que le photojournaliste était en vacances. A « Visa pour l’image - Perpignan » la photo du sergent Calvin R. Gibbs marchant dans le champ de pavot trônait sur le stand de l’agence Polaris, « J’ignorais tout de l’affaire à ce moment-là, et je n’avais pas remarqué la paire de ciseaux » confiait Jean-Pierre Pappis, le directeur.
En octobre quand l’affaire a commencé à s’ébruiter lentement dans la presse américaine, Max Becherer était reparti au Caire, puis à nouveau en Afghanistan où il se trouve actuellement « embedded » avec la 101ème division aéroportée de l’armée américaine qui mène une vaste offensive dans la région de Kandahar.
Selon le Washington Post, le photojournaliste n’a jamais été contacté par les enquêteurs de l’armée, alors que son nom apparait évidemment dans l’enquête puisqu’il se trouvait avec ces troupes. C’est le journaliste Craig Whitlock du Washington Post qui a eu vent des enregistrements réalisés par Max Becherer quand le photographe a accompagné les soldats qui retournaient trois jours après les faits tenter d’expliquer au villageois que le mollah et les deux autres afghans tués étaient armés…
« Actuellement » me précise Jean-Pierre Pappis au téléphone « Je n’arrive pas à joindre Max plus que quelques instants, car il est en zone de combat et il y a énormément de restriction. »
« Max Becherer travaille avec moi depuis 2004. C’est un vrai correspondant de guerre, expérimenté qui s’occupe actuellement beaucoup du Moyen-Orient et dont les images se retrouvent dans Time Magazine, le New York Times et plein d’autres journaux. Il a remporté de nombreux prix.»
Des infatigables guerriers de la paix, pour dénoncer les horreurs de la guerre. Leur métier ? Notre information.
Michel Puech avec les informations du Washington Post et de l’agence Polaris Images
Issy-les-Moulineaux le 27 octobre 2010 (révision27/10/10 15h30)
ATTENTION: Les photographies reproduites ici le sont avec l'aimable accord de l'agence Polaris et sont soumises à des droits particuliers et autorisation spéciale pour publication.
Pour aller plus loin
- Le site officiel de Max Becherer
- Le site officiel de l'agence Polaris
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