Alors que le redressement judiciaire du groupe d’agences de presse photographiques Eyedea est en cours, les offres de reprise doivent parvenir avant le mercredi 3 mars 2010 à l’administrateur judiciaire, Catherine Loury dit Iliona photographe diffusée par l’agence TOP attire notre attention sur cette petite agence qui a joué un rôle non négligeable, mais un peu oublié, dans l’histoire de la photographie. Témoignage et rappel historique.
Catherine Loury dit Iliona, est née en 1944 au sein d'une famille de russes émigrés. « D'une formation initiale en architecture aux Beaux Arts de Paris, je tire un goût quasi obsessionnel pour la composition des images, les jeux d'ombres et de lumière » précise-t-elle dans un courriel en m’adressant son témoignage sur l’agence TOP.
« Devenu photoreporter à partir de 1971 (DPPI, Gamma), j'intègre en 1977 The Image Bank à New York, sous le pseudonyme d'Iliona, puis l’agence TOP en 1984. Les commandes pour des reportages me permettent, de plonger dans des univers différents et d'alimenter mon stock d'images jusqu’à fin 1992. Aujourd'hui, n'ayant plus l'obligation d'une commande à honorer, cheminant à la frontière entre voyage intérieur et voyage extérieur, acceptant les limites imposées par le choix d'un matériel, simple prolongement d'un regard, j'ai retrouvé le plaisir d'être à la fois spectatrice et actrice. Je ne prends plus des images. Les images me prennent, moi je ne fais qu'appuyer sur le déclencheur… Au bon moment, j'espère.»
Iliona sait aussi appuyer sur le clavier de son ordinateur, pour pousser un cri, d’amour et de rage, devant la situation de l’agence TOP et de tous les autres groupes de photographes réunis sous différentes bannières qui toutes flottent, ou ont flotté, sur les champs de prises de vues, là où se livrent toutes sortes de batailles qui constituent notre Histoire.
« Il faut sauver TOP ! »
Par Iliona /TOP/Rapho/Eyedea
« L’optimisme est l’intelligence de l’avenir » Joël de Rosnay
Printemps 2002, je crois…
- « Allo, Iliona, c’est Cécile Traissac de l’agence TOP…on déménage »
- Encore !!!
- « Oui et on aura moins de place. On va être avec Rapho rue d’Enghien. On a trié vos photos et on aimerait que vous veniez prendre les doublons »
Février 2010. C’est qui ? C’est quoi l’agence TOP ?
Dans tous les comptes-rendus de presse à propos d’Eyedea on ne parle que des marques Gamma, Rapho, Hoa-Qui, etc. TOP est oublié.
Que s’est-il passé entre 2002 et 2010 ? De la rue Saint-Georges dans un fond de cours, à la rue de Verneuil en 1994, l’agence s’était déplacée pour s’installer dans un superbe appartement de la rue des Pyramides, près de la rue d’Alger, chez Rapho.
Accolée juridiquement à Rapho depuis 1977, sous la houlette de Lily Leroux, puis de Françoise Momessin, l’agence dont le chiffre d’affaires progressait régulièrement, s’était taillée une belle réputation acquise au fil de relations tissées avec ses clients par un travail de qualité à tous les niveaux : celui des photographes et celui des personnes et celui des abeilles laborieuses qui archivaient les nouvelles images issues des commandes, ou accueillaient les iconographes, en sachant immédiatement dans quelle boite trouver l’image rare recherchée.
Il y avait environ 400 boites de ce carton vieux rose patiné, rangées sur des étagères. Du travail à l’ancienne, basé sur la mémoire aidée par des listings et des fiches manuscrites mises à jour avec minutie, dans la fierté des photographes représentés.
Rue d’Enghien, au nouveau siège social, dès son arrivée, TOP fut assimilé à Rapho, et tout cela devint dans la tête des gestionnaires un « pôle illustration »..
Francoise Mommessin, sa directrice, avait pris sa retraite. Annie L’Hospitalier fut installée à cheval sur les archives de Rapho et de TOP ; Martine Noël tentait de continuer le département gastronomie, Cécile Schmidt resta à l’indexation des images mais pour les deux agences ; Cécile Traissac fut affectée à la comptabilité. Mais tout ceci n’eut qu’un temps et ne résista pas aux plans sociaux. Licenciements, départs plus ou moins volontaires…
Que restera-t-il de TOP ?
Plus personnellement, je me souviens du choc ressenti en août 2005. Je constatais alors que 20 ans de ma vie de photographe se résumaient à un editing (ndlr : une sélection) de 500 images, fait par mes soins suivant des consignes très strictes mais que j’avais acceptées.
Au final, seulement 160 photos numérisées sur le site aux frais de l’agence, parce que mes reportages faisaient double emploi avec ceux d’autres photographes de l’agence Hoa-qui, déjà en ligne !.../… Voir ce qu’est devenue cette agence que j’aimais tellement me met en colère et me colle la nausée…./… Alors mesdames, messieurs les photographes, il faut sauver TOP prise dans la débâcle du groupe Eyedea.
Iliona (Catherine Loury) 24 février 2010
De « Réalités » à l’agence TOP
De février 1946 à 1978, le mensuel d’actualité illustré « Réalités » a publié les regards de très grands photographes. Anne de Mondenard a été la commissaire d’une exposition à la Maison Européenne de la Photographie (MEP) qui du 16 janvier au 30 mars 2008, a remis en lumière ce magazine et ses photographes.
Jean-Philippe Charbonnier (1921-2004) qui fut « metteur en image » au journal Libération de la Résistance, y collabora de 1950 à 1974. Edouard Boubat (1973-1999) se vit confier dès 1950 par Bertie Gilou, directeur artistique, un travail sur les artisans de Paris. Ils furent rejoints par Michel Desjardins, Alain Valtat, Jean Noël Reichel, Gilles Ehrmann, etc, comme photographes salariés de ce magazine. La place prépondérante de la photographie servie par une mise en page élégante a toujours été la marque de ce mensuel où l’on trouve au fil des numéros, les contributions entre autres d’Henri Cartier Bresson, Robert Capa, William Klein ou Richard Avedon. Excusez du peu.
Durant la période dite des « trente glorieuses », je m’en souviens parfaitement, il était le mensuel « chic » que mon père, marchand de journaux à Troyes, mettait de coté pour sa clientèle de médecins, avocats, dentistes ou journalistes. Une sorte de GEO avant que l’heure des voyages lointains « low coast » soient à la portée de presque toutes les bourses.
La Société d’Etude et de Publication Economique (SEPE) appartenant au groupe Hachette éditait ce magazine et d’autres comme le très connu Connaissance des Arts. Au début des années 70, la « Photothèque Réalités », devenue Agence Top avait pour vocation la revente des reportages des magazines de la SEPE et la diffusion et la commercialisation des photos réalisées par les photographes salariés de la SEPE. Dans le même temps la parution de « Réalités » fut arrêtée et le titre racheté en 1979 par le mensuel « Le Spectacle du Monde ».. La télévision en couleur avait pris le relais pour faire rêver la « middle class » !.
En 1977, l’Agence TOP est vendue à l’agence Rapho fondée en 1933 par Charles Rado, et ré-ouverte en 1946 sous la direction de Raymond Grosset. En décembre 2000, les agences Rapho et TOP rejoignent le Groupe Hachette Filipacchi Media (Groupe Lagardère), devenu Hachette Filipacchi Photos (HFP), puis le groupe Eyedea avec les problèmes que l’on sait, et que vous pouvez suivre sur ce blog.
Samedi 27 février 2010
Tous droits réservés pour les textes et les photographies
Prolonger
- Exposition Réalités - un mensuel illustré des Trente Glorieuses - MEP 2008
- Un livre a été édité par Anne de Mondenard et Michel Guérin – Ed. Actes Sud – MEP 2008
- Rencontre avec Anne de Mondenard vidéo sur le site de l’excellent Photographie.com
- Site personnel de Iliona (Catherine Loury)
Bibliographie
- « La photographie humaniste » sous la direction de Laure Beaumont-Maillet, Françoise Denoyelle et Dominique Versavel Ed. de la BNF 2006
- « Nous Rapho, histoire d’une agence » Document interne 1987
- « Rapho Top, le catalogue » Catalogue de 1600 photographies