Dans un billet précédemment publie sur ce blog[1], je me posais la question de savoir quel a été le crime le plus grand commis au Rwanda en 1993 par la communauté internationale. En effet, deux crimes perpétrés cette année-là ont, à mon sens, permis la commission du génocide de 1994. L’un de ses crimes a consisté en l’abandon du peuple rwandais dont tout le monde savait depuis 1990 qu’il était menacé d’un génocide. Le second crime a été de pousser les feux de l’agression venant d’Ouganda, dont il avait été établi depuis la même date qu’elle portait en elle les germes d’une riposte sous forme de génocide.
Par coïncidence, relisant les articles du Monde publiés la semaine dernière, je constate que je ne suis pas le seul à me poser – sous cette forme ou sous une autre – la même question. En effet, un haut fonctionnaire de défense, responsable à cette époque de la Direction des Affaires Stratégiques (D.A.S.) a éprouvé le besoin de nous expliquer très récemment[2] dans cet excellent quotidien que : « Rien ne justifiait qu’on tienne le régime rwandais à bout de bras ». Dont acte : selon lui, la menace d’un génocide annoncé ne justifiait pas qu’on continuât à protéger ce pays.
Un document controversé puis manipulé.
On ne s’étonne pas vraiment de cette prise de position si on se souvient que ce haut-fonctionnaire est celui qui a signé la note reprise par monsieur de Saint-Exupéry lors de sa dernière tentative de manipulation publiée dans le n° 39 – été 2017 – de sa revue XXI[3]. Celle-ci annonçait en toute modestie que « Patrick de Saint Exupéry exhume une note manuscrite de l’Elysée sur le Rwanda [4]».
Or, si Saint Exupéry brandit une petite partie d’une « note » - prétendument tirée des archives de l’Elysée où elle n’aurait pas été déclassifiée - il apparait rapidement que – comme beaucoup de prétendus scoops des blancs-menteurs[5]- ce papier, cité très partiellement après avoir été dument expurgé, est connu de tous depuis longtemps. En effet, rédigée le 13 avril 1995 sous le timbre de la Direction des Affaires Stratégiques (D.A.S.) du Ministère français de la Défense, ce document, qui n’est pas une simple « note » mais un petit élément d’un dossier beaucoup plus complet - a été controversé aussitôt que diffusé dans les bureaux du ministère.
En février 1995, un peu moins d’un an après le génocide et trois ans avant la tenue de la Commission parlementaire française, le directeur se la D.A.S. semble s’être autosaisi et a produit, sans avoir consulté ses subordonnés chargés de la section Afrique[6], un volumineux document intitulé modestement « Evaluation politico-militaire de la crise rwandaise ». Il s’agit d’un ambitieux dossier présenté par une note de synthèse[7] de sept pages auxquelles s’ajoutent une page de proposition et deux pages indiquant les ouvrages consultés. Ces deux dernières sont particulièrement instructives quant à l’aspect partisan du travail effectué[8]. Cette synthèse est suivie par - pas moins de - neuf annexes « présentant un caractère de partialité et ternissant l’image de marque des français, vont à l’encontre d’une analyse objective de la crise » selon un observateur avisé de l’époque. L’annexe 3, entre autres, consacre quatre pages au « rapport de la Fédération internationale des droits de l’homme [9] du printemps 1993, où les ONG détaillent la planification des massacres de 1992 sur les Tutsi par les autorités rwandaises.[10] »[11]. D’ailleurs, dans l’interview donnée à SERVENAY le 16 mars 2018, l’un deux signataires de cette note confirme que sa « première alerte sur le Rwanda » a été précisément le dit rapport.
Prudemment, ménageant l’avenir, cette note de synthèse tente en conclusion d’affirmer qu’ils « n’entendent pas donner des leçons mais essayer de tirer quelques éléments de réflexion » dans le but, prétendent-ils, de mieux gérer la nouvelle crise qui - en 1995- aurait pointé chaque jour davantage au Burundi voisin.
Le 7 mars 1995, la Direction du Renseignement Militaire (DRM), outrée par la découverte de ce dossier réalisé par la DAS sans aucune consultation, a relevé[12] les « oublis » que la DAS semblait avoir volontairement commis en négligeant les sources n’apportant pas d’éléments favorables à sa démonstration. La DAS aurait même volontairement oublié de nombreux faits allant à l’encontre de ce qu’elle souhaitait démontrer. Mettant en évidence la partialité, et même certaines erreurs de ce travail, la DRM écrivait : « Le dossier constitue une étude très générale qui ne prend pas en compte le contexte existant au moment du déclenchement de la crise. Les informations qu’il contient révèlent une approche partisane du dossier rwandais passant sous silence des faits importants. Il peut constituer le sujet d’une réflexion plus approfondie mais ne doit pas être considéré comme une base suffisante pour appréhender une autre crise ».
Le 12 avril 1995, une réunion s’est tenue entre ces deux directions (DAS et DRM) du même ministère de la Défense. Un officier ayant participé à cette réunion de travail a été amené à dire que CONESA et RUFFIN manœuvraient pour impliquer au maximum les militaires et dédouaner les politiques. CONESA aurait cependant reconnu que les documents produits depuis plusieurs années par la DRM sur le Rwanda avaient été « oubliés »[13]. Il aurait de plus reconnu que la chronologie jointe à son dossier ne reflétait pas la réalité et devait être corrigée. La réunion aurait conclu que ce dossier DAS serait revu par la DAS elle-même qui, avant parution, le transmettrait pour avis aux différents organismes concernés. Les participants ont cependant regretté qu’une telle réunion n’ait pas eu lieu avant la première parution du dossier.
Mais ce dossier DAS ne semble pas avoir été revu ni amendé. Il semblait tombé dans les oubliettes jusqu’à ce que, en 2017 et 2018, St Exupéry puis Le Monde l’exhument très, très partiellement avec l’esprit partisan que l’on constate.
Une source secréte mais constante et influente bien que conttroversée
Ce dossier de la DAS, controversé dès 1995, manipulé par St-Exupéry en 2017 revient donc à la surface une fois de plus en 2018 et sert de justificatif pour expliquer que la France a cessé en 1993 de s’opposer à la prise de pouvoir par la force de M. Kagame dont elle savait bien, comme tout le monde, qu’un coup de force du FPR ne s’effectuerait pas sans un fleuve de sang.
Circulant manifestement en sous-mains depuis de longues années, ce dossier n’a pas été sans influence sur l’attitude de certains membres de la Mission d’Information Parlementaire française qui s’est tenue trois ans plus tard, voire même a orienté les dépositions de certains témoins appelés à s’exprimer devant elle.
Il n’a pas été non plus sans influence sur les commentaires beaucoup trop orientés d’une certaine presse commentant la publication du Rapport Mucyo,
Mais une source fragile si on veut bien l’analyser
Des aveux réitérés des signataires (Cf. supra), ce dossier a eu pour source essentielle, voire unique[14], les thèses émises le 21 janvier 1993 par le Rapport de la Commission Internationale d’Enquête sur les Violations des droits de l’Homme au Rwanda depuis le 1° octobre 1990. Or qu’en est-il de ce rapport ?
Une source manipulée
Si j’en crois son manuscrit non encore publié, Monique MUJAWAMARIYA[15], que je recevais régulièrement dans mon bureau de Kigali dès l’été 1992, est à l’origine de la rédaction de ce rapport. Activiste des droits de l’Homme à Kigali, veuve d’un officier de l’armée rwandaise à qui elle avait été mariée sans qu’on sollicite beaucoup son avis, elle avait une dent très acérée contre le président Juvenal HABYARIMANA dont son mari aurait été proche. Elle revendique d’avoir provoqué la venue de cette commission d’enquête pilotée conjointement par la FIDH[16] et Africa Watch, c’est-à-dire par Jean CARBONARE et Aliyson Des FORGES. Par la suite, le premier viendra faire son show larmoyant sur France 2 au journal de Bruno MASURE pour mieux vendre le dit rapport auprès de l’opinion publique française avant de devenir, après la « victoire » , conseiller du sieur Kagame à Kigali. Aliyson Des FORGES, ayant pris conscience beaucoup plus tard d’avoir été manipulée, sera interdite de séjour au Rwanda par Kagame avant de périr étrangement, elle aussi, dans un accident d’avion survenu aux Etats Unis.
Car l’essentiel de ce rapport, scandaleusement partial voire militant, rédigé après un très bref séjour au Rwanda de cette autoproclamée « commission d’enquête », ne présente pas d’autre preuve de ce qu’il avance que le faux témoignage de Janvier AFRIKA. Or il est aujourd’hui admis, mais je l’avais affirmé dès 1993 pour avoir enquêté à Kigali même sur ses allégations, que Janvier AFRIKA était une taupe du FPR. On observera d’ailleurs que comme beaucoup de témoins gênants pour le général-président-à-vie Kagame, Janvier AFRIKA a disparu corps et biens depuis de nombreuses années, juste après avoir reconnu qu’il agissait en 1993 pour le compte du FPR.
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Le fil conducteur de cette manipulation apparait clairement : élaborée à Kigali, par des ONG produisant de faux témoignages fournis par des agents du FPR, elle s’est répandue en France via les membres de ces ONG dont la FIDH, corédactrice du rapport de 1993 qui en a assuré la diffusion et l’exploitation dans notre pays.
Pris pour argent comptant par la DAS qui y a trouvé tous les arguments « utiles » à la « démonstration » qu’elle éprouvait le besoin de présenter « spontanément» aux décideurs du Ministère de la Défense, l’influence de la FIDH est restée très active en France, même si ses thèses trouvent de moins en moins d’écho à l’étranger. Elle a été la cheville ouvrière des poursuites et des procès menés en France contre un certain nombre de rwandais dans les années 2015-16. On constate à la lecture des articles de XXI et du Monde qu’elle reste très agissante et très influente en 2018, sans avoir jamais fait son autocritique quant aux sources qui, à l’origine mais peut-être encore aujourd’hui[17], lui ont été servies sur un plateau par le FPR.
Il serait cyniquement amusant, s’il ne s’agissait de tant de crimes, de constater que cette même FIDH s’est lamentée en Août 2017 dans un rapport intitulé " LA DÉMOCRATIE MISE SOUS TUTELLE AU RWANDA COMMENT LE FPR PÉRENNISE SA CONFISCATION DU POUVOIR ET L’ACCAPAREMENT DES RICHESSES"[18]devant les dérives graves dans l'exercice du pouvoir de son poulain, Paul KAGAME qu’elle a contribué à mettre au pouvoir puis à l’y maintenir en discréditant et déstabilisant son prédécesseur
Il aura donc fallu vingt-trois ans à la FIDH pour arriver à prendre la mesure de la dictature terroriste et criminelle installée à Kigali depuis 1994 !
[1] https://blogs.mediapart.fr/michel-robardey/blog/170318/rwanda-ce-que-france-savait-et-veut-oublier
[2] Le Monde du 16mars 2018- propos recueillis par David SERVENAY
[3] Publication pour laquelle le dit St-Exupéry a sollicité en 2018 un administrateur judiciaire
[4] On ne sait pas cependant si ce monsieur est celui qui, chargé de trier les archives à déclasser, aurait laissait fuiter des confidences que Saint Exupery a rapportées à Propos recueillis par Claire Meynial - Publié le 27/06/2017 à 17:29 | Le Point Afrique - : « Deux hauts fonctionnaires les explorent et un peu plus de 80 documents sortent, qui n'ont aucun intérêt. Et tout s'arrête là. Quelques mois plus tard, dans un cercle restreint, l'un des deux raconte son exploration des archives et sa stupeur devant ce qu'il a découvert. Il transmet à la suite son avis, et la boîte de Pandore est refermée. »
[5] Malagardis avait de la même façon exhumé partiellement et présenté dans Libération, de manière partielle voire mensongère, un document qu’elle prétendait rédigé par la Minuar et concernant des imaginaires missiles Mistral (référence : mon article dans Afrique Réelle).
[6] Le Colonel MOURGEON, responsable de la section Afrique à la DAS et dont le nom a été apposé après coup en tête de ce papier, n’a pas été consulté .
[7] Note n°109/DEF/DAS/SDQR/PC/CD du 24 février 1995, faiblement classifiés « Confidentiel Défense ».
[8] On y retrouve la quintessence des « blancs menteurs » tels que les décrira plus tard Pierre Péan : Verschaeve ; Breeckman ; Destexhe ; Prunier, etc..
[9] On ne cite pas les autres ONG signataires dudit rapport, ce qui pourrait indiquer que c’est la FIDH qui a fourni le dit rapport et aux éléments au rédacteur.
[10] On étudiera plus loin le crédit qu’il faut accorder à ce rapport.
[11] En conclusion, cette fiche de présentation du rapport de la DAS cite bien évidemment le sieur Carbonare, décrit comme « l’un des auteurs du rapport ». On oublie de préciser que Carbonare était devenu entretemps conseiller du gouvernement de Kagame.
[12] Note n° 607/DEF/DRM/SDE/AFMOC/CD du 7/02/1995
[13] Note n° 949/ DRM/SDE/AFMO/CD du 13/04/1995
[14] Il est à craindre que les productions de la DGSE ait eu la même source à cette époque)
[15] https://fr.wikipedia.org/wiki/Monique_Mujawamariya
[16] Aujourd’hui Monique Mujawamaria est un peu fâchée avec la FIDH depuis que , en septembre 1994, elle a dénobcé les crimes commis par les troupes de Kagame lors du génocide : https://www.youtube.com/watch?v=xgVWCHXBHXE
[17] On ne peut que s’interroger sur la manière doint , partie civile à certains procès, elle bénéficie de l’aide du gouvernement de Kagame, en particulier pour tout ce qui concerne la recherche de « témoins »
[18] https://www.fidh.org/IMG/pdf/rwanda699fraout2017web.pdf