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Billet de blog 13 avril 2025

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Ne tirez pas sur les VPP (Victimes Porteurs Passifs)

Alors que l'information circule à grande vitesse, la confiance envers les médias traditionnels s'effrite. Entre réseaux sociaux, chaînes d’info en continu et presse en ligne, les lecteurs jonglent avec les sources, peinant parfois à distinguer le vrai du faux. Comment les médias peuvent-ils regagner cette confiance perdue ?

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Illustration 1
Désinformation : Quand le journal "Le Monde" tire dans les plumes des oiseaux migrateurs © Michel debailleul

Assez ! Le titre du Le Monde du 11 avril 2025 m’a mis hors de moi.

"Grippe aviaire : comment le virus a conquis la planète grâce aux oiseaux migrateurs."

Un titre pareil, c’est un scandale. C’est une insulte à l’intelligence, un affront à la rigueur scientifique, et une démonstration flagrante de la façon dont les médias, consciemment ou non, manipulent l’opinion publique en désignant des boucs émissaires faciles pour masquer les véritables responsables.

J’ai immédiatement repensé à un autre article du même journal, publié en 2018 :

"Près de 80 % des espèces d’oiseaux migrateurs menacées d’ici à 2050 par le changement climatique".

Là, les oiseaux étaient des victimes. Et sept ans plus tard, ils sont désignés comme propagateurs du virus aviaire — pire encore, comme vecteurs actifs de pandémie planétaire ?!

Ce retournement est aussi incohérent que dangereux. Il reflète un mécanisme de narration à géométrie variable, où la même réalité est habillée différemment selon le contexte médiatique et les peurs dominantes du moment.

En 2018, c’était le climat.

En 2025, ce sont les pandémies.

Le ton change, les coupables aussi. Mais les vraies causes, elles, restent tues.

Le ton change, les coupables aussi.

Mais les vraies causes, elles, restent tues.

La vraie pandémie, c’est l’élevage industriel

Les oiseaux migrateurs, souvent accusés à tort de propager la grippe aviaire, ne sont en réalité que des victimes collatérales du modèle agricole industriel.

Qualifiés de "porteurs passifs", ces oiseaux n'ont aucune responsabilité dans la mutation et la propagation du virus.

Ce ne sont pas les oiseaux, mais bien les élevages de masse, la surpopulation animale et l’hyper concentration géographique des volailles qui favorisent l’apparition de nouvelles souches virales !

Pendant des années, les efforts pour développer des vaccins évolutifs ont été ignorés.

Plutôt que d’investir dans des solutions préventives, l’industrie a préféré réagir dans l’urgence : abattages massifs, isolements à la chaîne, et destruction en catastrophe des cheptels, sans jamais remettre en cause le fond du problème : notre modèle de production alimentaire.

(Un exemple concret de cette dynamique est l’épidémie de grippe porcine H1N1 en 2009. Ce virus, issu de la recombinaison de souches provenant de porcs, de volailles et d’humains, a été largement lié aux pratiques d’élevage intensif. Dans des fermes où les porcs sont élevés en forte densité, les mutations du virus sont facilitées, ce qui augmente le risque de transmission à l’homme. Selon l’OMS, cette pandémie a causé environ 1,4 milliard de cas dans le monde et environ 18 500 décès – source : OMS, CDC.)

Manipulation par le cadrage : le poids des mots

Ce changement de ton entre 2018 et 2025 illustre à merveille la manière dont l’information est cadrée.

On ne parle pas différemment des oiseaux parce que leur rôle a changé — Ce rôle n'a jamais existé ce sont des  VPP (Victimes Porteurs Passifs)

On en parle différemment parce que le climat politique, sanitaire et médiatique a changé.

En 2018, l’urgence climatique dictait les titres : les oiseaux étaient les héros silencieux du ciel, victimes d’un monde détraqué par l’homme.

En 2025, alors que la peur d’une nouvelle pandémie hante encore la planète, les oiseaux deviennent suspects. Cette bascule n’est pas neutre.

Elle est orientée.

Elle est dangereuse.

Elle montre à quel point les médias peuvent être influencés par les peurs collectives et, plus grave encore, par les intérêts économiques dominants.

Le rôle des lobbies industriels

Les lobbies de l’agriculture industrielle ne sont pas en marge de cette affaire : ils en sont les chefs d’orchestre silencieux. Depuis des décennies, ils influencent les décisions politiques, orientent les fonds de recherche, imposent leurs choix aux politiques sanitaires. Et surtout, ils s’assurent que jamais, jamais, leur modèle ne soit remis en question.

En désignant les oiseaux migrateurs comme boucs émissaires, ces groupes échappent à la responsabilité.

Mieux : ils trouvent dans le virus une occasion de renforcer leur contrôle sur la chaîne de production. Bio-sécurité, surveillance génétique, confinement total : des mesures qui accroissent la centralisation du pouvoir industriel, au détriment de la biodiversité et de la transparence.

Conclusion : C’est le système qu’il faut changer, pas les oiseaux

Ce type de titre reflète une manipulation délibérée ou une négligence coupable.

Qu’il s’agisse d’une pression des lobbies, d’un manque de rigueur journalistique, ou d’une simplification sensationnaliste, le résultat est le même :

Une déresponsabilisation totale de l’humain, et une stigmatisation des espèces sauvages.Il est temps de remettre les faits au centre.

Il est temps de dire que les oiseaux migrateurs sont des Victimes Porteurs Passifs (VPP), et non les détonateurs de nos pandémies.

Il est temps de reconsidérer notre rapport à l’agriculture, à l’élevage, à la nature.

Il est temps d’arrêter de tirer sur les oiseaux.

Ils sont des êtres vivants, libres, qui ont leur place dans cet écosystème.

Ils ne sont pas à nous,

ils font partie du vivant, au même titre que nous, des habitants de la planète !

                                                                                                                                                  Michel Debaillleul

                                                                                                                                                  Géophysicien ULB

https://www.lemonde.fr/planete/article/2025/04/11/grippe-aviaire-comment-le-virus-a-conquis-la-planete-grace-aux-oiseaux-migrateurs_6594044_3244.html

https://www.lemonde.fr/climat/article/2018/10/22/la-majorite-des-especes-d-oiseaux-migrateurs-menacees-par-le-changement-climatique_5372967_1652612.html


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