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Billet de blog 26 février 2025

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L’arme du patriarcat c’est la violence, son bouclier le silence

Le scandale de Bétharram a réveillé en moi des souvenirs de violences physiques. Voilà mon témoignage. Cela se passe dans une école privée à La Brède, en Gironde, dans les années soixante-dix.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Comme tout le monde en France, je m’intéresse au scandale de Bétharram. Comme tout le monde je suis choqué, mais pas surpris, d’apprendre qu’un homme politique catholique, de droite, implanté de longue date dans le secteur où les faits ont été commis prétende ignorer qu’il avait été informé en temps et en heure de ces violences. Même si sa propre femme le savait. Même si ses propres enfants le savaient peut-être aussi. Même si on l’en a averti dès son premier mandat politique local. Même et surtout si lui-même a été victime des mêmes violences… 

La chape de plomb posée depuis des années par les hommes politiques, les enseignants, les surveillants, les prêtres, probablement dans toute la France, sur les violences faites aux enfants dans les établissements scolaires, en particulier privés et catholiques mais certainement pas uniquement, est, à mon avis, la même que celle que l’on pose encore aujourd’hui sur les enfants victimes de viol, d’inceste ou de violence intra-familiales ou non.

Le silence de ces hommes de pouvoir et de savoir, de ces hommes au-dessus de tout soupçon, n’a rien de mystérieux. Eux-mêmes victimes des mêmes violences, qu’ils ont sans doute subi et accueilli comme une initiation rituelle, ils ont pris, peu à peu, leurs places dans les parties supérieurs de la pyramide de la violence patriarcale silencieuse. Les places des patriarches irréprochables, tout puissants, qui, sur tous et toutes dans leurs maisons, ont droit de cuissage, de vie ou de mort. Exactement comme deux millénaires plus tôt, le citoyen romain est tout puissant sur sa gens dans sa domus (lire à ce propos Le Sexe et l’Effroi, de Pascal Quignard). 

 La persistance de ce système tient au silence de tous (lire à ce propos Le Berceau des Dominations de Dorothée Dussy, ce qu’elle écrit pour l’inceste vaut à mon avis pour toutes les violences faites aux enfants). 

Le silence des bourreaux qui ne diront jamais rien, n'avoueront jamais rien, même acculés, même pris sur le fait ou démasqué par des preuves irréfutables, car, de toutes façons, la justice exsangue et châtrée de notre république déliquescente les absoudra le plus souvent. 

Surtout donc ne pas avouer. 

Le silence des victimes, qui ne diront rien pendant des années voire des décennies voire jamais tant la terreur et la honte provoquées par les coups et les menaces de leurs bourreaux resteront longtemps présentes en eux. 

Le silence des rares victimes de violences sexuelles qui tenteront de parler presque immédiatement et qui feront face à un déni tellement massif  de la part des adultes les entourant qu’ils renonceront  à parler eux aussi pendant des années, des décennies, toujours. 

Le silence des victimes des violences physiques qui auront évité de parler de peur de prendre d’autres coups de la part de leurs parents, ou, moindre mal, de subir des reproches ou de l’indifférence. 

Surtout donc ne rien dire.

Comment lutter contre cela ? Il existe une  solution et une seule. Dès que l’on peut, partout où l’on peut, comme l’on peut, même si c’est trop tard pour que la justice passe, malgré les obstacles : parler, parler, parler (Voir à ce propos le rapport de la CIIVISE rédigé sous la direction du juge Edouard Durand, ici encore ce qui est dit à propos de l’inceste peut être étendu à toute les violences infligées aux enfants à mon humble avis).

Dénoncer, les viols, les incestes mais aussi les violences physiques. Car toutes ces violences relèvent de la même logique d’emprise patriarcale que le silence recouvre. 

Aujourd’hui je voudrais apporter un témoignage, parler moi aussi. De la violence physique.

Cela se passe dans une école privée à La Brède, en Gironde, dans les années soixante-dix. C’est un établissement géré par une importante association catholique sportive bordelaise, les Coqs Rouges. Cet établissement est divisé en deux parties distantes de quelques kilomètres: une partie collège, Rambaud, une partie lycée, La Sauque. Les deux parties sont pourvues d’un internat. Une précision: dans les années soixante-dix, c’est un établissement qui accueille les mauvais élèves exclus de tous les autres établissements scolaires de gironde, c’est le purgatoire, la dernière étape avant l’enfer: Bétharram. C’est dit comme cela à l’époque. J’y suis élève simplement parce que j’habite à La Brède et que mes parents veulent le meilleur pour moi. En effet, malgré sa réputation d’école pour “fortes têtes”, le niveau scolaire est réputé meilleur que dans le collège du village et dans le Lycée le plus proche. 

 Mon premier souvenir, c’est dans la partie collège, à Rambaud. 

Il y a des pions qui nous surveillent pendant les études, les récréations, au réfectoire, au dortoir pour les pensionnaires. Certains, beaucoup, ont la main leste. Il y a un pion responsable de la discipline pour chaque section: le pion des sixième des cinquièmes, etc… 

Le samedi matin, pour tous les élèves, il y a la dernière étude avant le retour à domicile. Pour les internes c’est le retour au bercail après une semaine sans leur famille. Semaine douloureuse pour la plupart, semaine heureuse pour certains, les “fortes têtes”, dont les parents, souvent des notables bordelais, sont réputés plus sévères que les pions.  L’étude dure deux heures. Les élèves sont regroupés par section dans de très longues salles d’étude avec un bureau pour le surveillant juché sur une estrade à une extrémité de la salle. 

Tous les quatrièmes, dont je fais partie, soit trois ou quatre classes d’une trentaine d' élèves, sont réunis de dix heures à midi, dans un des grandes salles d’étude, dans le plus grand silence, sous la surveillance du pion, la haut sur son estrade. Pendant ces deux heures, il est difficile de travailler. Le pion a devant lui, empilés sur son bureau, les carnets de liaison de tous les élèves. Il va les rendre à chacun d’entre nous. Un à un, nous monterons sur l'estrade à l’appel de notre nom pour recevoir de ses mains notre carnet. 

Pour la majeure partie des élèves c’est une formalité, pour une minorité c’est une autre paire de manches. toutes les “fortes têtes” et les cancres sont humiliés en public par la lecture détaillée de leurs mauvaises notes de la semaine; Si de surcroît, ils ont une mauvaise note de conduite, le tarif est une gifle voire une paire de gifles. Ces élèves savent ce qui les attend. Certains cherchent à parer les coups. Cela donne l’occasion au pion de s’amuser: approche, approche te dis-je, enlève tes lunettes, EN-LE-VE TES LU-NET-TES, prends ce carnet, etc… Soudain, avec ou sans lunettes, le carnet à la main ou pas, les gifles tombent.  Pour beaucoup de ces élèves battus cela s’arrête là, pour certains d’entre eux ce n'est pas fini: à la maison ce serait pire quand ils rentreront. Et nous pouvions en voir parfois les stigmates le lundi matin à leur retour. Parfois, il n’y a pas de coups mais une simple humiliation: le carnet de correspondance est jeté à la tête de l’élève ou par terre - Ramasse! - avant même qu’il atteigne l’estrade. C’est un moindre mal.

J’ai eu droit à ma gifle. En quatrième. Par un autre pion et pas en étude. Je n’étais pas mauvais élève mais bavard. Mis en rang avant de rentrer au réfectoire il fallait se taire, je ne me suis pas tu assez vite. J’avais une otite à l’oreille droite. J’ai dit au pion  “pas sur l’oreille droite, s’il vous plaît”. Il s’est fait un plaisir de ne pas m’écouter. Quinze jours après, j'étais à l’hôpital avec une méningite bactérienne. La gifle avait fait diffuser les bactéries de mon oreille à mes méninges. J’ai passé un mois à l’Hôpital des Enfants de Bordeaux, si je me souviens bien. J'ai su bien plus tard que j’avais failli mourir. C’est mon médecin de famille qui m’a sauvé la vie, in extremis, en me faisant une injection intramusculaire de pénicilline avant de m’envoyer à l'hôpital. 

Une autre anecdote sans violence cette fois-ci pour compléter le tableau. Au collège encore, ce pion responsable de la discipline des quatrièmes était étudiant en droit. Un jour en fin d’année scolaire, période plus lâche sur le plan de la discipline, avec un camarade nous cherchions les clés du gymnase pour aller y faire du sport avec d’autres camarades car un cours avait été annulé. Nous la demandons à un pion, un autre colleur de gifles, bien luné ce jour là, qui ne nous frappe pas et nous emmène dans la chambre de ce pion responsable des quatrièmes car il doit être en possession des fameuses clés. Nous le suivons, il frappe à la porte: entrez! Il est assis à son bureau, il écoute un disque. Un enregistrement ancien, ça grésille, une voix masculine rauque scande avec violence dans une langue qui me semble être de l’allemand un discours que je ne comprends pas. Quelques paroles sont échangées sans que la lecture du disque soit interrompue. Nous sortons avec les clés. Dehors, au pion débonnaire: C’était quoi le disque ? Et lui: Un discours d’Hitler…

Il y a d’autres histoires de violence dans ces deux établissements qui traînent au fond de ma mémoire. Parmis elles il n’y a pas de souvenir de violence sexuelle,  je n’en ai pas vu ni ouï-dire. J’étais demi-pensionnaire,  je n’ai jamais entendu mes camarades pensionnaires  me parler de ce qui se passait la nuit. La honte ?  Ou simplement rien ? Qui sait ? 

Je suis sûr que bien de mes camarades de souffrance de l’époque ont bien d’autres histoires et sans doute de pires à raconter. Il faudrait qu’ils le fassent, il faudrait que nous le fassions. Tous. Les élèves de Rambaud et de la Sauque des années soixante-dix. Les  élèves de Bétharram. Les  élèves de qui sait quels autres établissements religieux ou non. 

Nos parents savaient. Ils ne disaient rien. Ils ne faisaient rien. Pour les parents des mauvaises têtes et des cancres ce n'était pas assez. Pour les autres ma foi, ils étaient eux aussi soumis à la loi de la violence silencieuse. Il ne s’est rien passé après ma méningite. Mon père est allé se plaindre auprès du directeur, un professeur de mathématiques qui était un très rares professeurs violents avec les élèves, peut-être le seul je ne sais plus. Le pion a eu un blâme…

Ce pion qui écoutait Hitler et son collègue passagèrement gentil, je sais ce qu’ils sont devenus. Des citoyens honorables. Un des deux est même un élu respecté. Le directeur du collège a été changé d’établissement vers la fin des années soixante-dix et il a fini sa carrière ailleurs. Le directeur du Lycée qui était assez âgé et qui taisait aussi les violences au lycée de La Sauque a été mis à la retraite. Du  pion qui m’a giflé je ne sais rien, j’ai même oublié son nom.  

Personne n’a été inquiété. 

Il m'est difficile d’accepter que tous ces gens restent impunis mais je crains qu’il soit trop tard pour les punir aujourd’hui. De plus, malheureusement je crois que notre système judiciaire n’en a pas les moyens. 

Par contre, il est possible que leurs méfaits soient connus. Il est possible que notre statut de victimes, à nous tous, les anciens enfants battus ou violés soit reconnu. Il est possible que la honte change de camp. Pour cela il nous faut parler, raconter, témoigner. 

J’ai mis beaucoup de temps à me remettre de ces violences, j’ai failli devenir moi-même un mari et un père violent. J’ai passé de longues années en psychothérapie. Malgré cela, il m’a fallu  ce scandale pour me  décider à en parler. Aujourd’hui, je n’ai pas honte, je n’ai pas peur. Je parle et je parlerai encore, ici ou ailleurs.

Le patriarcat ne maltraite pas que les femmes, il maltraite  aussi les enfants des deux sexes, de quelque lignée qu’ils soient, en en battant beaucoup, en en violant certains. L’arme du patriarcat c’est la violence, son bouclier le silence. Pour nous protéger, pour nous battre, parlons.

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