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Billet de blog 5 novembre 2021

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COVAX, chronique d’une mort annoncée

Ce n’est pas juste une question d’argent. Près d’un an après sa création, le mécanisme multilatéral de distribution des vaccins COVAX a failli à ses promesses d’équité et d’efficacité pour enrayer la pandémie. Décryptage d’un cas d’école de fausse solidarité.

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Un accès mondial et équitable aux vaccins. Cette volonté d’hier s’est transformée, aujourd’hui, en une promesse non honorée au regard des derniers chiffres : 1,4% de la population des pays pauvres a reçu sa première dose quand on observe, en Europe et aux Etats-Unis, des populations vaccinées à plus de 80%. Autrement dit, 82% de tous les vaccins produits dans le monde, soit 4,5 milliard de doses, n'ont bénéficié qu’aux pays riches. Pourquoi la couverture vaccinale mondiale n’est-elle pas efficace alors que des centaines de millions de doses se périment dans les stocks européens ou américains ? L'Europe et les Etats-Unis disposent aujourd’hui de 500 millions de doses en surplus qu’ils pourraient redistribuer immédiatement. Comment en est-on arrivé à une telle situation aberrante ?

Le protectionnisme mondial l’emporte sur l’approche équitable 

Il y a plus d’un an déjà, durant l’été 2020, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a décidé de prendre les choses en main afin de promouvoir un accès équitable aux doses de vaccins. Sa démarche, sincère, avait pour but d'éviter, à tout prix, un monde à deux vitesses dans la lutte contre le Covid-19.  L'idée était donc de mettre en place un mécanisme collectif et multilatéral pour mener les négociations avec les laboratoires et ainsi empêcher une envolée des prix dans un contexte de crise suscitée par une très forte demande.

Ainsi, COVAX - dont participent 184 pays - a été créé et est codirigé par la Coalition pour les innovations en matière de préparation aux épidémies (CEPI), l'Alliance Gavi et l'Organisation mondiale de la santé (OMS).  Au début de la pandémie, tous les pays étaient initialement concernés par cette initiative, indépendamment de leur revenu.

COVAX s’est rapidement transformé en un instrument d’aide exclusivement dédié aux pauvres. Dès janvier 2021, les premiers obstacles ont commencé à apparaître. Lorsque les fabricants des vaccins ont commencé la production, il n'y a eu aucune dose pour Covax ; la grande majorité avaient été précommandées par la poignée de pays pouvant se le permettre, sur fond d'accords bilatéraux. Les États les plus puissants sur le plan économique n’ont pas tardé à faire cavalier seul, préférant négocier directement avec les laboratoires en précommandant la quasi-totalité de doses de vaccins disponibles. Cela a eu pour effet de modifier progressivement la physionomie initiale du dispositif. Deux processus distincts de négociateurs ont été mis en place en fonction du payeur. Pour les économies qui s'autofinancent, la Facilité COVAX  conclut en leur nom des accords d’achat avec les fabricants de vaccins, tandis que la Garantie de marché COVAX (Advance Market Commitment, AMC en anglais) achète les vaccins pour les pays pauvres grâce aux donations que reçoit le dispositif . 

90 % de la chaîne d’approvisionnement de COVAX reposait sur un seul fournisseur indien 

Malgré ce mauvais départ, les premières livraisons ont bien eu lieu en février 2021 dans deux pays d’Afrique de l’Ouest à revenu intermédiaire : la Côte d’Ivoire et le Ghana.  Le système s'est toutefois vite retrouvé au point mort. Voyant la situation se détériorer en Inde, le gouvernement de New Delhi a en effet exigé que le Serum Institute of India, le laboratoire de biotechnologie le plus impliqué dans le mécanisme COVAX, interrompe toutes ses livraisons de vaccins à destination de l’étranger. Or, dans la mesure où 90 % de sa chaîne d’approvisionnement reposait sur un seul fournisseur indien - une stratégie plutôt imprudente -, la fragilité du système a été pleinement exposée en mars, sans aucune perspective claire pour lutter contre l’accroissement des inégalités de couverture vaccinale entre les pays riches et les pays pauvres. Face à cette pénurie, plusieurs mesures ont été prises pour tenter de maintenir COVAX en vie. En avril 2021, la France a été la première à annoncer des dons de doses de vaccins via ce dispositif. Des annonces similaires ont ensuite émané des États-Unis, du Royaume-Uni, d’Allemagne. 

Un tournant intéressant s’est produit quand les vaccins chinois ont enfin eu l’autorisation de l’OMS et ont pu être distribués via le canal COVAX. La signature, fin juillet 2021, d’accords d'approvisionnement avec les fabricants chinois Sinovac et Sinopharm était plus que bienvenue et la distribution de ces vaccins a pu débuter. Un mois plus tard, 205 millions de vaccins avaient été expédiés dans 140 pays sur les 2 milliards de doses initialement prévues. En comparaison, 4,7 milliards de doses avaient été administrées dans le monde.  Moins de 5 % des doses de vaccins avaient donc transité, à cette date, par ce mécanisme. 

Un appel aux dons ignoré par les pays riches

À ce jour, 1 milliard de doses de vaccins ont étés promis à COVAX comme donations mais elles tardent à arriver. L’Europe, c’est-à-dire la Commission européenne, a promis en juin 2021 que les 27 Etats-membres feraient une donation de 400 millions de doses avant la fin de l’année 2021. Mais le média politique américain Politico a révélé, il y a quelques semaines, que seulement 20 millions de doses avaient été effectivement livrées. Médecin sans frontières (MSF) n’est pas en reste en matière de révélations : L’Angleterre, qui avait promis 100 millions de doses de vaccin à Covax n’a pas hésité à réaliser un deal avec l’administration de Covax . Cet été, Londres a livré 9 millions de doses du vaccin AstraZeneca en échange de 500.000 doses de vaccin Pfizer, livrées par les Américains à COVAX.

L’OMS et COVAX multiplient leurs appels aux dons mais ils restent largement ignorés par les pays occidentaux. Israël, USA, France, UK et l’Allemagne ont déjà commencé ou organisent d’ores et déjà l’administration d’une troisième dose à leurs populations. Et ce, malgré les récentes recommandations de l’Agence européenne des médicaments (EMA) et du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC) qui affirment que nous n’avons aucune preuve scientifique pour justifier l’administration de troisième dose.*

Pourquoi les pays riches ne respectent pas leurs promesses de dons ? Selon les ONG, la responsabilité en cas d’effets adverses en serait la raison principale. Dans un des rapports de MSF de juillet dernier, Pfizer et d’autres laboratoires pharmaceutiques veulent être certains que la responsabilité juridique et financière soit assurée par les États bénéficiaires de dons de vaccins. Ils s’appuient sur les clauses des accords bilatéraux avec les États occidentaux pour contrôler et bloquer toute donation potentielle de leurs vaccins. 

Manque de transparence du dispositif

Acculés, l’OMS et COVAX exercent, de leur côté, une pression règlementaire sur les pays à revenu moyen pour libérer légalement les fabricants de toute responsabilité. Pour les pays pauvres, COVAX a dû contracter les compagnies d’assurance internationales et a créé le « Fonds d'indemnisation sans faute » assurant les fabricants contre tout problème juridique potentiel. En revanche, les ONG humanitaires et les agences onusiennes, étant dans l’impossibilité de garantir ce schéma de compensation, sont dans l’incapacité de vacciner les réfugiés et les populations déplacées dont elles sont officiellement en charge. Elles ne peuvent donc rien faire d’autre que d’appeler les gouvernements donateurs et le système COVAX à trouver des solutions rapides pour ces populations. 

Les experts en santé publique et les ONG critiquent ouvertement le manque de transparence et la redevabilité budgétaire de COVAX. De fait, les administrateurs de ce mécanisme multilatéral de solidarité (Gavi, Cepi) maintient tous les accords avec les fabricants de vaccin secrets et ne communiquent ni les prix des vaccins achetés ni d’autres dispositions contractuelles. Et ceci, malgré le fait qu’ils gèrent des milliards d’argent public versés par les gouvernements et autre donateurs multilatéraux. Afin de garantir une transparence maximale de finances publiques reçus, il est important que les résultats des audits indépendants des comptes de COVAX ainsi que les contrats avec les industriels soient publics. Cela permet à la société civile et aux gouvernements de surveiller les dépenses publiques et constitue un rempart contre les conflits d'intérêts et la corruption. Enfin, notons juste que tous ces appels de transparence ont été ignorés par les administrateurs de dispositif (Gavi, Cepi) jusqu’à présent. 

En Afrique, la colère envers une organisation « paternaliste »

Des responsables de la santé publique africaine critiquent ouvertement la gestion et le paternalisme de COVAX ayant expédié, à ce jour, seulement 55 millions de doses de vaccins en Afrique.  Ces premières livraisons ne suffisent pourtant pas à contenir une colère qui monte en Afrique. Les seuls pays africains ayant réussi à vacciner plus de 10 % de leur population – Seychelles, Maurice, Comores, Maroc, Djibouti, Zimbabwe et Botswana – l’ont fait principalement avec des vaccins fournis directement par la Chine. 

John Nkengasong, directeur des Centres africains de prévention et de contrôle des maladies (CDC), craint que le Covid-19 ne suive le même schéma que le sida. Pour lui, l’accès inégal aux vaccins n’est pas juste une question d’argent mais aussi de gestion, dont la principale tâche de COVAX est de mobiliser les ressources financières, négocier des achats aux meilleurs prix et d’en assurer la distribution. En parallèle, le milliardaire zimbabwéen Strive Masiyiwa, qui dirige l’équipe de dispositif d’acquisition des vaccins de l’Union Africaine (AVATT), ne comprend pas que COVAX ait décidé d’être dépendant d’un seul fournisseur, situé en Inde. Il dénonce aussi le manque de transparence du système. Selon lui, les pays africains ont été quasiment obligés de se joindre au système COVAX avant d’être restreints dans leur accès à toutes les informations, surtout sur ses précommandes en quantité négligeable. « Lorsque les problèmes ont fait surface, il était trop tard pour boucher les trous », se plaint-il au site spécialisé dans les questions de santé, Health Policy Watch.  Frappée de plein fouet par la première vague de la pandémie et sans vaccins, l’Afrique du Sud a dû se fournir d’urgence en vaccins AstraZeneca à un prix plus élevé que celui déboursé par l’Union européenne pour le même produit. 

Selon Catherine Kyobutungi, l’épidémiologiste ougandaise et directrice du Centre de recherche sur la population et la santé en Afrique, COVAX est une organisation « paternaliste, axée sur les donateurs et fondée sur une mentalité de pays riches aidant les pays pauvres ». Et d’ajouter : « Un petit groupe d’experts s’est assis à Genève et a défini […] la solution pour un continent de 1,3 milliards d’habitants. Ils l’ont présentée de manière attrayante, l’ont commercialisée et en ont fait la promotion. Jusqu’à ce qu’on constate que l’Afrique ne reçoit que 1 % du total mondial des vaccins. »

Faut-il continuer à financer cet échec ? Quelle est la valeur ajoutée de COVAX par rapport aux autres mécanismes existants ? A vrai dire, il n’y en a pas. Aujourd’hui, le mécanisme d’acquisition de vaccins de l’Union africaine (AVATT) se débrouille mieux que COVAX.  Cet autre dispositif a commencé son propre programme d’approvisionnement avant l’été dernier, notamment en obtenant de Johnson & Johnson un engagement pour la fourniture de quelque 400 millions de vaccins. Elle est également en pourparlers avec d’autres fabricants de vaccins, chinois entre autres. Il est clair que si l’Europe voulait vraiment soutenir le mécanisme de distribution des vaccins le plus performant opérant en Afrique, l’AVATT serait le premier choix.
* Cet article a été écrit sur la base de données du mois de septembre 2021.

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