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Billet de blog 17 mars 2022

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Vaccins : l’Afrique et l’OMS innovent, les laboratoires sabotent, l’Europe consent

Tandis que l'Organisation mondiale de la santé met tout en oeuvre et encourage l'autonomie vaccinale du continent africain, les laboratoires Moderna et BioNTech-Pfizer, épaulés par un cabinet de consulting, la fondation kENUP, s'appliquent à saboter tous ces effort entrepris pour lutter contre la Covid-19 en Afrique.

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Depuis la mise sur le marché des vaccins contre la Covid-19, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a un projet : l’autonomie vaccinale du continent africain. Ce projet est soutenu par l’Union européenne avec la Belgique, la France et l'Allemagne et d'autres partenaires internationaux. Pour ce faire, le pôle mondial de transfert de technologie d'ARNm a été créé en juin 2021 pour aider les fabricants des pays à revenu faible et intermédiaire à produire leurs propres vaccins, en s'assurant qu'ils disposent de toutes les procédures opérationnelles et du savoir-faire nécessaires pour fabriquer des vaccins à ARNm à grande échelle et conformément aux normes internationales. 

Au même moment, l’OMS a annoncé avoir sélectionné un consortium sud-africain pour gérer ce pôle mondial. Au sein de celui-ci, Afrigen Biologics, une compagnie de bio-technologies, l'entité mandatée pour établir la technologie de production de vaccins à ARNm, le Conseil sud-africain de la recherche médicale (SAMRC) pour la recherche et Biovac, un producteur de vaccins sud-africain et premier « pôle » de fabrication.

Grâce à « l’ingénierie inverse », le sosie du vaccin Moderna trouvé par les chercheurs sud-africains 

Afrigen a immédiatement commencé à reconstituer la formule du vaccin du laboratoire Moderna, car c’est le seul à avoir déclaré qu’il n’appliquerait pas ses brevets pendant la pandémie. Grâce à « l’ingénierie inverse », les chercheurs sud-africains avaient pour objectif de créer une sorte de « sosie » du vaccin Moderna de deuxième génération, adapté aux pays à faible revenu, y compris au niveau de prix et des conditions de conservation. En effet, la loi sud-africaine autorise les scientifiques et les fabricants à faire de la recherche et du développement indépendamment de la protection des brevets. Autrement dit, la rétro-ingénierie du vaccin de Moderna par le pôle de transfert de technologies ARNm de l’OMS est légale. En janvier 2022,  la start-up sud-africaine a reproduit avec succès le vaccin final et complet de Moderna. Elle va maintenant expérimenter d'autres formulations moins chères à produire et qui n'ont pas besoin d'être stockées congelées ; une nécessité si les vaccins doivent être distribués dans de nombreux pays africains. Afrigen est ainsi en pourparlers avec deux sociétés de biotechnologie pour l’aider à développer la fabrication et espère commencer les essais cliniques en novembre 2022.

Le processus complet de fabrication d'un vaccin contre la Covid aurait pris seulement un an avec la collaboration des entreprises comme Moderna. Sans leur aide, il en faudra trois, selon l'OMS, de la recherche à la mise en bouteille jusqu'aux essais cliniques.

Afrigen et Biovac peuvent fabriquer jusqu'à 500 millions de doses par an, bien que la capacité augmentera une fois que d'autres sociétés à travers le continent apprendront à fabriquer le vaccin. 

Former six pays africains aux technologies ARNm pour lutter contre la Covid et prévenir d’autres pandémies

Il faut noter que le pôle de transfert de technologie de l'ARNm de l'OMS ne se focalise pas uniquement sur l’Afrique du Sud mais fait partie d'un effort plus large visant à donner aux pays à revenu faible et intermédiaire les moyens de produire leurs propres vaccins, médicaments et diagnostics pour faire face aux urgences sanitaires. 

Illustration 1
80 dirigeants africains et européens se sont réunis pour le sommet Union européenne-Union africaine les 17 et 18 février 2022.

L'effort initial est centré sur les technologies d'ARNm et les produits biologiques, importants pour la fabrication de vaccins qui peuvent également être utilisés pour d'autres produits, tels que l'insuline pour traiter le diabète, les médicaments contre le cancer et, potentiellement, les vaccins pour d'autres maladies prioritaires telles que le paludisme, la tuberculose et la VIH. Le but ultime est d'étendre le renforcement des capacités de production nationale et régionale à toutes les technologies de la santé. L'OMS s'est donc efforcée de mettre en place un centre de formation de la main-d'œuvre en biofabrication pour tous les pays intéressés par la recherche scientifique et clinique ainsi qu’à la capacité de production. Lors du sommet Union européenne - Union africaine à Bruxelles le 18 février dernier, le directeur général de l'OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, a annoncé les six premiers pays qui auront leur propre production de vaccins à ARN messager pour le continent africain : l'Égypte, le Kenya, le Nigeria, le Sénégal, l'Afrique du Sud et la Tunisie.

Moderna fait volte-face et dépose les brevets en Afrique du Sud pour saper les efforts de l’OMS

Quand l’OMS et ses partenaires ont initié ce projet de pôle mondial de transfert de technologie d'ARNm en juin dernier, ils espéraient que Pfizer-BioNTech et/ou Moderna partageraient la technologie et le savoir-faire. Jusqu’à ce jour, les deux sociétés ont refusé toute forme de collaboration bien que le pôle soit encore en pourparlers officiels avec Moderna sur une forme de collaboration - probablement une licence volontaire, à savoir une autorisation donnée aux entreprises pour leur permettre de produire le vaccin de Moderna en échange d'une redevance. 

Pire, l’OMS et ses partenaires sont confrontés à plusieurs difficultés de taille : 

D’un côté, l’OMS et Medicines Petent Pool - responsable de la propriété intellectuelle et des éléments de licence du pôle de transfert - sont obligés de défendre leur projet face à la pression de la Fondation kENUP. En effet, ce cabinet de consulting qui travaille pour les intérêts du laboratoire BioNTech, fait du lobbying actif contre ce projet en faisant le tour des gouvernements africains mais aussi dans les capitales européennes. (Lire ci-dessous)

De l’autre, le laboratoire Moderna, qui s'est engagé à ne pas appliquer les brevets sur son vaccin sur la durée de la pandémie,  a, en réalité, déposé plusieurs brevets avec de larges revendications en Afrique du Sud le 16 février dernier. Alors que l’Afrique est toujours en phase pandémique, le  laboratoire soulève ainsi la crainte d’une possible application de ses brevets, pouvant mettre à mal les plans du pôle de transfert et d’équité de l’OMS.

Le jour même de l’annonce de dépôt des brevets, plus de soixante organisations caritatives, militants et ONG ont signé une lettre ouverte appelant le PDG de Moderna, Stéphane Bancel, à "agir dans l'intérêt des personnes, sans but lucratif " en retirant les brevets en Afrique du Sud et en apportant une assistance technique au pôle de transfert de technologie de l’OMS pour garantir son succès et lui permettre de poursuivre son travail vital :  "Maintenant que nous commençons enfin à fabriquer des vaccins à ARNm en Afrique, Moderna semble décider unilatéralement que la Covid-19 est désormais endémique et utiliser les règles de propriété intellectuelle pour étouffer la production africaine. Cela ferait effectivement dérailler tout le travail de l'OMS et des scientifiques africains.

Les dégâts qui en résulteraient vont au-delà de la lutte contre la Covid, empêchant l'Afrique de se préparer à la prochaine pandémie. »


EN CHIFFRES : 

  • 60 %. C’est la production africaine de vaccins que souhaite obtenir l’OMS en soutenant le pôle panafricain. Elle est actuellement de 1 %.
  • 100 millions d’euros. C’est le coût total du projet de pôle mondial de transfert des technologies d'ARNm sur une période de cinq ans estimé par l’OMS

Une fondation privée et proche de la Commission sabote le vaccin africain 

Le prestigieux British Medical Journal (BMJ) a révélé, preuves à l’appui, qu’une fondation privée, kENUP, mettait tout en oeuvre pour saper le projet de pôle de transfert des technologies de l’OMS en Afrique du Sud.  

Engagé par la société BioNTech pour introduire les vaccins à ARNm sur le continent africain, ce cabinet de consulting doit officiellement promouvoir le projet de BioNTech d'exporter de l’Europe vers l’Afrique des lignes de production d'ARNm entièrement équipées, composées de travailleurs de BioNTech et hébergées dans des conteneurs maritimes. Le projet prévoit que des usines préfabriquées de BioNTech puissent fabriquer le vaccin au Rwanda et au Sénégal avec du personnel européen et que l’Afrique du Sud mette uniquement en bouteille le produit final. Ainsi, la firme s’assure conserver tout le savoir-faire et la technologie.

Selon l’experte Ellen 't Hoen, l’enjeu est le suivant : "Ces entreprises (Pfizer et Moderna) sont réticentes à partager la technologie ARNm parce qu'elles gardent un œil sur l’eldorado du cancer et d'autres maladies, très répandues dans les pays à revenu élevé."

« Quelqu'un a fait le tour de l'Afrique en disant que nous allions enfreindre des brevets »

Ainsi, la fondation kENUP, au service de BioNTech, ne travaille pas seulement à promouvoir le projet de son client en Afrique ; elle n’hésite pas à saper le projet de l’OMS en faisant pression sur les gouvernements africains et européens. Des documents officiels du gouvernement sud-africain montrent en effet que la fondation kENUP a adressé une note au gouvernement sud-africain après une visite dans le pays du 11 au 14 août 2021 dans laquelle elle déclare que l'activité du pôle de l’OMS devait être interrompue, « afin d'éviter des dommages à Afrigen, BioVac mais aussi à Moderna… À condition que la libération de la couverture du brevet ne soit accordée par Moderna que pendant la pandémie, les perspectives de durabilité de ce projet du centre de transfert de technologie vaccinale de l'OMS ne sont pas favorables. » Et du côté pôle panafricain, la réplique est immédiate : « De toute évidence, quelqu'un a fait le tour de l'Afrique en disant que nous allions enfreindre des brevets, ce qui est extrêmement regrettable car c'est complètement faux », déplore le responsable de Medicines Patent Pool, responsable de la propriété intellectuelle et des éléments de licence du pôle de transfert.

Et l’Europe dans tout ça ? En aout 2021, en marge de la réunion avec les présidents du Rwanda, du Sénégal et le PDG de BioNTech à Berlin, Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, avait déclaré aux côtés du patron de la fondation kENUP : « Cette coopération est un moment important pour l'Afrique et un grand pas vers l'équité en matière de vaccins. Les vaccins à ARNm sont une technologie de pointe. Et c'est un signe fort que nous unissons tous nos efforts pour permettre de les produire en Afrique. Team Europe investit au moins 1 milliard d'euros pour faciliter la fabrication et l'accès aux vaccins en Afrique. » 

En coulisses, cette déclaration n’a désormais plus de valeur. Après le scandale des SMS envoyés au PDG de Pfizer qu'elle refuse de dévoiler, Ursula von der Leyen entretient à nouveau les soupçons avec une nouvelle affaire. En effet, la présidente de la Commission européenne a esquivé un évènement public au Parlement européen à propos des droits humains et de l’État de droit pour participer à un évènement privé en visioconférence, organisé par kENUP qui protège donc les intérêts de BioNTech. Ceci en plein contexte du sommet Union européenne - Afrique qui s’est tenu à Bruxelles les 17 et 18 février dernier. Événement lors duquel les pays africains ont demandé à l’Europe de s'engager sur la levée des brevets. Encore une fois, derrière de belles paroles, Mme von der Leyen préfère couvrir les intérêts des laboratoires et confirme que la solidarité européenne est une arnaque.

Article rédigé le 21 février 2022. 

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