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Billet de blog 29 avril 2021

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L'Inde souffre, des pays riches bloquent encore les brevets des vaccins Covid-19

L’Inde fait face à une flambée épidémique et compte ses morts par centaines de milliers.  Comme elle, les pays pauvres et en voie de développement, en demande urgente de vaccins contre le Covid-19, se heurtent à une résistance cruelle de la part des lobbys américains et européens.

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Ces derniers empêchent un accès rapide et simplifié aux vaccins mais aussi à des produits de diagnostic et à des traitements contre le Covid-19. Ce plan d’obstruction, uniquement guidé par des motivations financières, est égoïste et nauséabond.

Des images de crématoriums à ciel ouvert, des familles déchirées et un système hospitalier en détresse en Inde. Ces images dramatiques ont inondé les médias du monde entier et témoignent d’une situation épidémique hors de contrôle en Inde.  Malgré l’émoi de l’opinion internationale, les lobbys européens et américains continuent de faire pression et de s’opposer aux vaccins génériques contre le Covid-19.

A l’origine, l’Afrique du Sud et l’Inde, deux pays ayant les capacités industrielles considérables dans le secteur pharmaceutique, ont proposé au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) une dérogation temporaire aux droits de propriété intellectuelle (TRIPS) pour pouvoir produire des vaccins, des traitements et des produits de diagnostic. (1) Soutenue par plus de 130 pays, plusieurs agences des Nations Unies et des organisations intergouvernementales, telles que l'Union africaine, cette proposition des pays en développement est, aujourd’hui, bloquée au sein de l’OMC par une poignée des pays riches. (2)

Une poignée de pays riches bloque l’accès aux vaccins

Selon les règles de l'OMC, une majorité des trois quarts de ses pays membres est nécessaire pour qu'une décision sur la dérogation soit actée par vote.  Or, la Commission, représentant 27 États européens, reste encore opposée à cette dérogation à cause du blocage des États-Unis, du Royaume-Uni, du Japon, du Brésil et du Canada. Récemment, plus de 100 lobbyistes ont même été mobilisés pour contacter les législateurs et les membres de l'administration Biden en les exhortant de s’opposer à cette levée des brevets. De l’autre côté de l’Atlantique, le lobby de la Fédération européenne des associations et industries pharmaceutiques (EFPIA) a incité, lui aussi, l’Union européenne à refuser cette dérogation.

Car si elle est adoptée, cette dérogation permettrait de produire des vaccins génériques à l'échelle mondiale et de subvenir aux besoins urgents de ces pays en pénurie. Outre l’accès aux doses de vaccins, la plupart des pays du monde, comme l'Inde aujourd’hui, luttent aussi désespérément pour sécuriser leurs ressources en tests, leurs équipements de protection personnelle, leurs réserves en oxygène nécessaire pour traiter les patients et en médicaments. Bloquer l’accès aux vaccins et aux traitements contre le Covid-19 au reste du monde est à la fois inacceptable sur le plan éthique et moral mais également sur le plan épidémiologique.

Cette situation est d’autant plus inacceptable lorsque l’on sait que, selon l’OMS, plus de 90% des pays qui vaccinent actuellement contre le Covid-19 sont riches. Ces pays, dont les pays membres de l’Union européenne, ont obtenu des millions de doses de vaccins disponibles via les accords bilatéraux avec les firmes pharmaceutiques. Dès le début, ils ont ignoré l’appel de la communauté scientifique de mutualiser les connaissances, la propriété intellectuelle et les données liées à la technologie de la santé COVID-19 afin de faire des vaccins anti-Covid-19, un bien commun pour l’humanité.

Une contamination sur deux dans le monde a lieu en Inde

Les outils mis en place par l’OMS et ses partenaires, comme l'Accélérateur ACT et son dispositif vaccins dit « COVAX », ne fonctionnent pas car ils manquent non seulement des financements mais aussi de produits de diagnostic, de traitements et de vaccins à distribuer. Les résultats sont accablants : selon les derniers chiffres de l'OMS, une personne sur cinq cents est vaccinée dans ces pays, contre une sur quatre dans les pays riches. A ce rythme, préviennent les experts, une couverture vaccinale généralisée dans les économies les plus pauvres ne sera pas atteinte avant 2024, voire jamais.

Le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), Tedros Adhanom Ghebreyesus, nous avertissait déjà. En janvier dernier, il avait déclaré que le monde ferait face à un « échec moral catastrophique » car les pays riches accaparaient les vaccins contre le Covid-19 au détriment des pays pauvres.

Ce barrage des pays riches défendant les intérêts financiers des grandes sociétés pharmaceutiques va à l’encontre de toute solidarité internationale. C’est aussi la raison pour laquelle l’Inde présente aujourd’hui un très faible taux de vaccination : 8,8% des Indiens ont reçu une 1ère dose et seulement 1,7% la seconde dose. Le pays d’1,3 milliard d'habitants a enregistré un record mondial avec près de 360 000 personnes contaminées en une seule journée (mardi 27 avril). Cela représente désormais un cas sur deux recensés chaque jour dans le monde. (3) Des épidémiologistes fiables estiment que les chiffres officiels seraient, en réalité, largement sous-estimés : il faudrait les multiplier par 30.  Le patron de l’OMS déplore, à juste titre, une situation « plus que déchirante » et reconnaît la « gravité sans précédent de la pandémie ».

Une solidarité européenne et internationale de façade

Les États-Unis, l’Allemagne, le Royaume-Uni, la France, Singapour, l'Arabie Saoudite, la Turquie et même le Pakistan ont décidé d’envoyer une aide d’urgence à l’Inde. Le président des États-Unis, Joe Biden, s'est engagé à soutenir immédiatement le pays en envoyant des composants pour la production de vaccins, des équipements de protection, des tests à diagnostic rapide ou encore des respirateurs artificiels. (4) De son côté, son homologue Emmanuel Macron a déclaré, le 27 avril dernier, que la France enverrait « du matériel médical, des ventilateurs et de l'oxygène et huit générateurs d'oxygène en Inde » tout en précisant que « chaque générateur peut rendre un hôpital autonome pendant 10 ans en produisant de l'oxygène à partir de l'air ambiant ». Et de conclure : « La solidarité est au cœur de notre nation. Il est au centre de l'amitié entre nos pays. »

Cette aide d’urgence est évidemment nécessaire mais elle n'est absolument pas suffisante pour répondre à la flambée épidémique en Inde. Nous appelons sans cesse publiquement l’Union européenne et nos gouvernements à lever leur veto à l'OMC, en vain. Malgré plusieurs lettres trans-partisanes cosignées par les parlementaires européens et nationaux ainsi que par les grandes ONGs internationales, malgré tous les efforts et la pression exercée, l'Union ainsi que la communauté internationale préfèrent se poser en garantes inébranlables de la propriété intellectuelle, jouant pleinement le jeu des grandes multinationales pharmaceutiques n’ayant qu’un seul mot d’ordre : tirer profit de la situation.

Le monde n’a pas besoin de charité

Les fabricants des marchés émergents et les pays en développement, comme l’Inde et l’Afrique du Sud, ont une capacité industrielle conséquente. Ils n’ont pas besoin de charité mais d’un accès aux brevets pour pouvoir fabriquer rapidement des vaccins, des traitements et des produits de diagnostic. La santé des humains n’est pas une marchandise. Les technologies et le savoir-faire de ces multinationales pharmaceutiques, acquis grâce à des deniers publics, ne sont pas leur propriété mais la nôtre, à l’humanité.

Nous poursuivrons nos efforts, sans relâche, pour forcer les pays riches à déroger aux règles du commerce mondial à l’OMC et pour forcer les entreprises pharmaceutiques à partager les technologies et le savoir-faire. C’est la seule solution pour éviter que les drames ne s’accumulent.

(1) Big pharma lobby’s self-serving claims block global access to vaccines https://corporateeurope.org/en/2021/04/big-pharma-lobbys-self-serving-claims-block-global-access-vaccines

(2) Pharmaceutical industry dispatches army of lobbyists to block generic covid-19 vaccines https://theintercept.com/2021/04/23/covid-vaccine-ip-waiver-lobbying/

(3) Inde : les derniers chiffres, graphiques et cartes sur l’évolution du coronavirus  https://graphics.reuters.com/world-coronavirus-tracker-and-maps/fr/countries-and-territories/india/

(4) Covid-19 : quatre questions sur l'aide internationale dont va bénéficier l'Inde, plongée en pleine crise sanitaire https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/covid-19-quatre-questions-sur-l-aide-internationale-dont-va-beneficier-l-inde_4387945.html

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