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Billet de blog 30 mai 2023

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Mixité sociale des lycées en Île de France, comparaison public/privé

Après m'être penché sur la mixité sociale des collèges de l'Essonne, je me suis attelé aux lycées d'Ile de France. Quand j'étais en activité, j'ai eu des responsabilités syndicales régionales et ai représenté la FSU dans différentes instances de concertation, qui suivent les lycées . C'est donc un terrain que je connais que j'examine ici.

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Le ministre Pap Ndiaye a prétendu s’atteler à la mixité sociale des établissements scolaires mêlant public et privé sous contrat, mais n’a pas eu l’accord du président de la République. Au lieu d’un grand plan, il a organisé deux évènements, sans beaucoup de publicité, présentant des propositions floues, peu ambitieuses, et exonérant l’enseignement privé sous contrat de toute contrainte.

Pour les établissements publics, il a réuni les Recteurs le 11mai leur fixant l’objectif de réduire« les différences de recrutement social entre établissements de 20 % d’ici à 2027 » en lien avec les collectivités territoriales, incitant ces dernières à augmenter les secteurs multi collèges.

Pour les établissements privés sous contrat, il a signé le 17 mai, avec l’enseignement catholique, un protocole qui n’a aucun caractère prescriptif 1. Montrant ainsi le peu de cas qu’il fait de la laïcité (loi de 1905, article 2 : « la République ne reconnaît aucun culte »), le ministère va, de plus, pousser des élèves boursiers à demander à être inscrits dans des établissements confessionnels catholiques pour y augmenter la mixité sociale, sans garantie de succès puisque le libre choix des élèves par chacun de ces établissements est réaffirmé au nom de leur « caractère propre » 2.

Depuis que V. Pécresse en est la présidente, la région Ile de France, responsable des lycées, a fait droit aux revendications de l’enseignement privé (à plus de 90 % catholique) en finançant bien au-delà de ses obligations légales : aide à la cantine, manuels gratuits, et largesses pour les subventions d’investissement.

Depuis l’automne 2022, le ministère est obligé de rendre public l’indice de position sociale (IPS) qui caractérise la situation sociale et culturelle des élèves et est utilisé pour la répartition des moyens (annexe 1). J’ai donc entrepris d’analyser la situation en Ile de France à partir de l’IPS des lycées publics et privés sous contrat (dénommés par la suite enseignement privé) de la région. Les données (année scolaire 2021/2022) proviennent du ministère de l’Éducation Nationale 3 .

Une situation très diversifiée

Les données ne concernent que les élèves du second degré, et non ceux des classes préparatoires, ou des sections de technicien supérieur (BTS) présentes dans certains lycées.

L’IPS des établissements varie de 71,2 à 159. Pour les 20 lycées à plus faible IPS (IPS < 76,7), ces lycées n’ont que des sections professionnelles pour la préparation au bac , tous sont publics. A l’autre extrémité, sur les 20 lycées à IPS supérieur à 150, tous sont des lycées d’enseignement général et technologique, 4 sont publics et 16 sont privés. (Les différents types de lycées sont expliquées en annexe 2 )

Le graphique ci-dessous illustre cet écart entre les lycées, il montre également la très inégale répartition entre public et privé. Le public exerce sa mission de service public en accueillant tous les élèves, le privé se réserve les élèves des familles les plus favorisées.

L’IPS médian 4 confirme cette observation.

Lecture du tableau : dans la Région la moitié des lycées publics ont un IPS supérieur à 99 ,la moitié des lycées privés ont un IPS supérieur à 130

Dans le privé, Il est d’environ 30 points supérieur à celui du public. Dans les départements les plus favorisés (75, 78, 92) à l’exception des Yvelines, la présence d’un enseignement privé assez développé, a pour effet de mettre l’enseignement public au même niveau que beaucoup d’autres départements.

Des études plus fines montrent également que que quand un collège privé est proche d’un collège public, il aspire la population la plus favorisée dans d’importantes proportions 5.

On peut aussi examiner l'écart type pour chaque lycée, donnée qui figure également dans les données du ministère. Pour un établissement, plus l'écart type de l'IPS est petit, plus sa mixité sociale est faible. Cette grandeur varie de 13,3 à 41,4.

Pour les 38 lycées d'enseignement général et technologique ayant un écart type inférieur à 25, on compte 33 établissements privés qui ont tous un IPS supérieur à 140 ; on retrouve cette concentration d'ultra favorisés dans 3 lycées publics ( Neuilly sur Seine, Saint germain en Laye et Buc). A l'inverse, les 2 établissements restant sont publics avec un IPS inférieur à 80 et se situent dans l'académie de Créteil.

Des choix de formation sans ambiguïté

Les bacs pro comme les bac technologiques ont contribué à l’accès au bac lors de la phase de massification commencée dans les années 1980. Ce sont souvent les jeunes des milieux populaires qui suivent ces formations et ont pu ainsi accéder au premier diplôme universitaire. Cette différenciation sociale entre filières perdure et n’est pas satisfaisante. Ces formations qui coûtent souvent « un pognon de dingue » (plateaux techniques, travaux en groupe réduits…), sont remises en cause : la voie technologique est déstabilisée par la réforme « Blanquer » du Lycée, la voie professionnelle des lycées est menacée dans son appartenance à l’Éducation Nationale par la réforme « Macron ».

Ces dernières années, sur 100 bacheliers, environ 53 ont obtenu un bac général, 26 un bac professionnel et 21 un bac technologique.

Faute d’avoir les effectifs de lycéens dans le fichier téléchargé dans la base de données de l’éducation nationale, j’ai déterminé la proportion de chaque type de lycée (annexe2). Le résultat est suffisamment éloquent pour être interprété sans ambiguïté.

La différence de structure entre enseignement public et privé saute aux yeux. L’enseignement privé néglige l’enseignement professionnel et se concentre sur l’enseignement général et technologique ; pour ce dernier, je n’ai pu comparer avec les lycées publics. Cependant mon expérience de terrain d’enseignant dans des séries technologiques (STI, STL, ST2S) m’a montré qu’on y accueillait des élèves du privé qui n’avaient pas pu y poursuivre leur scolarité dans ce réseau.

Par ces choix de formations, l’enseignement privé s’adresse clairement aux familles les plus favorisées.

Un peu de géographie

La région parisienne est une terre de contraste. La différence entre l’est et l’ouest est connue. La Seine Saint Denis est le département métropolitain le plus pauvre, alors que Paris, les Yveline et les Hauts de Seine sont les 3 départements les plus riches de France. Cependant, même dans ces derniers, des zones de grande pauvreté existent, et sont très souvent socialement et scolairement séparées des zones favorisées. Par exemple Nanterre est proche de Neuilly, Trappes de Versailles.

Sans surprise, les départements les plus riches sont ceux qui ont la plus grande proportion de lycées privés ; il faut y ajouter le Val de Marne, proche de Paris et qui a des communes à population très favorisées.

Les départements les plus éloignés de Paris sont ceux où le privé est le moins développé.

Le tableau recense le nombre d’établissements par département.

Il faudrait également examiner plus finement où le privé est le plus implanté. A titre d’exemples, pour des villes de tailles équivalentes (autour de 100 000 habitants), il y a 9 lycées privés dans le 16ème arrondissement de Paris, 6 à Versailles et 1 à Montreuil sous Bois. En Essonne ils sont plus nombreux dans la vallée de l’Yvette (5) que dans la zone Evry – Corbeil – Grigny (2). Pour ceux qui ne connaissent pas bien la région parisienne, je précise que les villes citées riches en établissements privés sont des zones favorisées, voire très favorisées, au contraire des autres qui sont des communes très populaires.

Alors que le service public est présent sur tout le territoire, pour assurer la formation de tous les jeunes, l’enseignement privé largement subventionné par les fonds publics, est surtout implanté dans les zones les plus favorisées.

En guise de conclusion

Le service public est présent partout et les lycées publics accueillent tous les jeunes de leur secteur, et leur assure un enseignement laïque : c’est sa noblesse même si les inégalités sociales y perdurent et l’offre de formation est à améliorer.

L’enseignement privé, subventionné, pour le second degré, à 77 % par des fonds publics (annexe3), choisit ses élèves, ignore les formations les moins socialement valorisées, et est implanté, surtout, dans les communes les plus riches de la région. Il alimente un entre-soi, pour ne pas parler de séparatisme des plus favorisés.

Non seulement le protocole signé, ne changera pas cette situation, mais il incite à augmenter les subventions publiques, et le ministère aggrave la concurrence en étant maître d’œuvre avec l’enseignement catholique d’une base de données publiques sur ces établissements.

Il est urgent d’en revenir au principe laïque : réserver les fonds publics à l’école publique.

Michel GALIN le 25/05/23

Annexe 1

Qu'est ce que l'IPS ?

Pour mesurer la mixité sociale des établissements scolaires (écoles primaires, collèges, lycées) le ministère de l’éducation nationale a conçu, en 2016, un indicateur, l’indice de position sociale (IPS). Public depuis 2022 il se trouve dans la base de données du ministère. L'IPS d'un établissement est la moyenne des IPS individuels de ses élèves et résume les conditions socio-économiques et culturelles des familles des élèves qui y sont accueillis. Il est censé permettre ainsi de rendre compte des disparités sociales et culturelles existantes entre établissements. Plus l'IPS de l'établissement est élevé, plus les élèves sont ainsi supposés pouvoir mieux réussir scolairement, il est compris entre  38 et 179.

Annexe 2

Les différents type de lycées :

  • Lycée professionnel (LP) : lycée qui prépare au bac professionnel, et parfois au CAP.

  • Lycée d’enseignement général et technologique (LEGT) : lycée qui prépare au bac général, ou au bac technologique, ou aux deux bacs.

  • Lycée polyvalent (LPO) : lycée qui offre les 3 voies de formation (professionnel, général et technologique). Cette situation est très répandue en région parisienne dans l’enseignement public. Un LPO peut aussi être un lycée qui ne prépare qu’au bac professionnel mais a des sections post bac de BTS.

Annexe 3

Financement des établissements privés sous contrat

L’enseignement privé sous contrat est financé à 77%6 par des fonds publics provenant de l’État (67%) et des collectivités territoriales (communes pour les écoles, départements pour les collèges et régions pour les lycées).

Les différentes contributions doivent être calculées selon les mêmes critères que pour des élèves externes de l’enseignement public.

L’état paie les enseignants et les personnels administratifs (salaires bruts), ceux-ci ont un statut de droit privé.

FONCTIONNEMENT

La collectivité territoriale rémunère les personnels non enseignants ( agents techniques) qui assurent le fonctionnement matériel de l'externat de l'établissement. Elle finance également les dépenses de fonctionnement de l'établissement (article L442-9 du code de l’éducation).

Souvent appelée forfait d'externat, cette dernière subvention, montre par son nom et par la précision du code de l'éducation que la demi pension, comme la pension complète ne relèvent pas de financements publics pour un établissement privé. De même pour le financement des manuels scolaires : si les régions l'assurent en partie ou en totalité pour les lycéens du public par choix politique et non obligation réglementaire, cette dépense n’est pas dans le contrat d’externat.

INVESTISSEMENT

Les dépenses d'investissement n’ont pas de caractère obligatoire pour les collectivités locales, elles sont limités par la loi Falloux à 10% des dépenses annuelles de l'établissement du second degré subventionné, elles est parfois contournée par la loi Astier qui ne limite pas les subventions pour les classes techniques.

1 https://www.cafepedagogique.net/2023/05/22/pierre-merle-enseignement-catholique-et-mixite-sociale-sont-ils-incompatibles/

2 Selon le secrétariat général de l’enseignement catholique : Un établissement catholique se doit donc d'avoir un projet éducatif particulier et d'y mettre un esprit, celui de l'Évangile.

3 https://data.education.gouv.fr/explore/dataset/fr-en-ips_lycees/table/

4 L’IPS médian sépare en deux parties égales les lycées, il y en a autant ayant un IPS inférieur à l’IPS médian que ceux ayant un PS supérieur à l’IPS médian.

Les effectifs de lycéens ne figurent pas dans le fichier IPS du ministère, ce qui ne m’a pas permis de calculer l’IPS moyen. L’IPS médian diffère un peu de l’IPS moyen, puisque les établissements ont tous le même poids quelque soit leur effectif.

5 https://laviedesidees.fr/Le-college-d-a-cote.html

6 https://www.education.gouv.fr/reperes-et-references-statistiques-2022-326939

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