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Billet de blog 8 octobre 2014

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La Justice et le progrès social

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La justice et le progès social

 A trop considérer la justice dans sa fonction purement pénale, distributrice de peines, et de plus en plus de prison, on oublie son rôle multiforme d’institution destinée à réguler les situations de conflit existantes dans un état démocratique : conflits entre citoyens, conflits entre l’Etat et les citoyens. Ces conflits sont de tous ordres, concernent tout autant le domaine du travail, du logement, de la vie quotidienne, de notre vie sexuelle. Qu’elle s’appelle, justice civile, justice commerciale, justice du travail, c’est toujours la Justice telle qu’elle est représentée au fronton des vieux tribunaux : une femme rendue aveugle par une étole et portant une balance déséquilibrée par un glaive et un code. Cette justice distribue des sanctions, des réparations, impose des contributions, des dommages intérêts et selon des voies définies par le législateur orientant tel ou tel type de conflit vers la voie pénale, civile ou commerciale ou sociale. Le crime a toujours eu sa voie spécifique. Les rapports parlementaires, au nom de la recherche de l’efficacité, ne parle plus que de « Justice judiciaire » et la soumette aux mêmes indicateurs de performance, en  soulignant une prépondérance du Pénal sur le Civil (rapport du Sénat 2011).Il n’est plus un mystère pour personne que l’on demande à cette justice de privilégier ses réponses pénales. Ceci manifeste notre recherche de solutions autoritaires à nos conflits et l’abandon de formes négociées à nos conflits. Cette évolution peut être vue tout autant comme un délitement du lien social, de la crise du « vivre ensemble », que d’une faiblesse du pouvoir politique à conduire de façon non autoritaire le développement de notre société.

Ce rappel des fondamentaux de la justice est singulièrement nécessaire quand nous parlons de la réforme de la Justice. Immédiatement, nous pensons justice pénale en oubliant ses autres fonctions. Si nous voulons une réforme pertinente, c’est à partir de cette globalité que nous devons réfléchir. Mais pourquoi  réformer la Justice ? Parce que l’Etat est en crise ; le citoyen a moins confiance dans ses capacités à prévenir les conflits et les crises, à apporter des solutions aux problèmes de vie quotidienne. Le politique a promis beaucoup, il a peu tenu, il tiendra de moins en moins ou du moins ses interventions seront plus sélectives et plus qualitatives. Ce retrait de l’Etat, qui s’est fait jusqu’à présent sous les coups de boutoir du libéralisme conquérant, engendre une profonde crise. Dès lors, répondre à la crise passe par la réforme de la Justice. Celle-ci doit jouer plus fortement son rôle de régulation de nos conflits, elle doit tempérer, corriger la dérèglementation du marché du travail, de la consommation, accompagner nos préoccupations écologiques, sanitaires, soutenir nos désirs d’équité, de solidarité, de juste redistribution. La Justice doit être un acteur du progrès et du changement.

Sa structuration ne correspond plus à un service adapté aux attentes des citoyens. Son accès est de plus en plus coûteux, ses coûts de fonctionnement privilégient le pénal et particulièrement la prison ; la justice sociale, celle des prudhommes ou celle de la protection sociale est en déshérence et pourtant , le budget global progresse depuis des années, jamais suffisamment et souvent pour couvrir des dépenses dont le bien fondé est aléatoire ; ainsi, le palais de Justice de Paris va coûter plus de six cent millions d’euros pour regrouper tous les services de justice à l’heure où le e-travail se développe, où le grand Paris devrait s’accompagner d’une réflexion sur une meilleure couverture du territoire francilien. Ainsi encore, la fermeture de quelques tribunaux nous coûtera 450 millions d’euros contribuant à la désertification de zones rurales. Ainsi encore, c’est de 25000 places de prison supplémentaires dont nous allons être dotés entièrement privées, mais aux loyers annuels considérables de l’ordre du demi milliards d’euros. Et ce n’est pas la crise de nos finances publiques qui peut arranger l’affaire.

Le premier axe de la réforme doit porter sur l’aménagement du rapport entre l’Etat, le gouvernement et la justice. La politique judiciaire fait partie de la mise en œuvre des politiques publiques. Quand le gouvernement a la louable intention de faire baisser le nombre des morts sur la route, il a à sa disposition une série de mesures dont certaines requièrent le recours à la sanction ; cette sanction étant délivrée par le juge, ce gouvernement doit pouvoir venir devant lui pour argumenter et réclamer la sanction. Dans le cadre d’une politique de restrictions du cumul d’indemnités dans le cadre d’un licenciement, le gouvernement peut venir devant les Conseils des Prudhommes dans des affaires particulières pour faire valoir son interprétation du droit. Devant toutes les juridictions existantes, y compris en matière familiale, le gouvernement doit investir le terrain judiciaire comme le font la plupart des Autorités Publiques des pays proches. Son organe d’intervention est le Procureur de la République. Mais parce qu’il s’agit d’un pan d’une politique publique, cette politique judicaire doit suivre les règles de transparence permettant le contrôle parlementaire et celui des citoyens. Les priorités de la politique publique en matière judiciaire doivent être discutées chaque année, et le bilan des actions menées contrôlés. Pas d’interventions individuelles, mais des orientations discutées au sein d’un collège dirigé par un Procureur général de la République placé sous la houlette du gouvernement et du Parlement. Le rapport annuel de la Cour de Cassation pourrait servir utilement de modèle à ce document général de politique judiciaire

Le deuxième axe de la réforme est celui du rapport des citoyens avec la Justice. La justice doit être organisée de la même manière qu’est organisée la vie du citoyen. Le travail, la famille, la solidarité sociale, la consommation, le déplacement, l’habitat rythment la vie politique, administrative, médiatique ; elle doit aussi constituer l’ossature de la justice. Reconstituer des unités de juridiction autour de ces grands sujets d’intérêt et sans se soucier d’imposer les divisions classiques de la justice en autant de procédures différentes donnerait un impact nouveau à la Justice. Les juges seraient mis dans la capacité de connaître l’ensemble d’une question et de pouvoir y répondre de manière différenciée.

 Mais plus encore, la participation du citoyen à l’œuvre de justice doit être résolument poursuivie et dans tous les domaines. Sa participation n’est pas une mesure de défiance du magistrat professionnel, mais comme un apport d’une expérience particulière et aussi en retour comme une éducation à la citoyenneté. Apporter son concours à la justice participe de la formation du citoyen et à la confortation du lien social. Cette participation n’a pas pour unique objet le pénal, pensons à des sujets comme la famille ou la consommation. Le lien avec la citoyenneté passe aussi par une proximité de la justice. Le réseau, bien mal en point, des maisons du droit et de justice doit être redéfini dans ses modes de fonctionnement et ses contenus. La gouvernance de ses maisons pourrait être assurée par des conseils élargis aux habitants.

Troisième axe de la réforme, la libération de la créativité des juges. Si nous attendons de la Justice qu’elle contribue au développement de la société, il faut lui donner des objectifs et libérer les esprits. La Justice contribue à l’établissement d’une société sûre, équitable et démocratique. Purs techniciens du droit, sans  ouverture, ni participation aux débats de la cité, soumis à une forte hiérarchisation des esprits et des carrières, les juges sont entrés en opposition au pouvoir politique. Celui l’a mérité de par ses pratiques d’enrichissement partidaire ou individuel mais aussi par des déclarations si méprisantes qu’elles auraient valu à leurs auteurs des procès pénaux en Angleterre. La participation de la Justice aux politiques locales de prévention et de sécurité s’est réduite comme une peau de chagrin. On ne peut guère attendre de la Justice qu’elle apporte sa contribution au progrès de la société. Sa réflexion sur les droits et libertés est sèche et sans audace. Il a fallu la Cour Européenne pour dire aux juges français qu’il y en avait assez de ne pas imposer la présence d’un avocat dans la phase inquisitoriale des procédures. Certains secteurs, comme celui du droit du travail,  ont vu , pendant un temps, la Cour de Cassation s’opposer au Medef, mais le progrès social n’y trouve plus son compte. La réflexion doit porter sur la formation des juges ; le débat ouvert par la Commission d’enquête sur Outreau s’est trop vite refermé. Il était pourtant mis en exergue ce contraste entre des jeunes juges, techniquement forts, mais d’esprit étroit. Les sciences humaines doivent faire leur retour dans cette formation. L’organisation hiérarchique du corps doit être repensé pour dégager de larges plages d’autonomie et donc d’indépendance des juges. Des conférences de consensus sur la jurisprudence permettraient de dégager des recommandations nourrissant les décisions des juges et pourraient, entre autre,  freiner le recours massif à l’emprisonnement. La proposition du Ministre de l’Intérieur de créer des commissions police-Justice à l’échelon régional pourrait trouver un contenu si elles avaient pour objet d’amorcer une réflexion commune sur la politique criminelle, la nature des sanctions et leur exécution. Mais cette recherche de consensus autour de la décision judiciaire ne doit pas se cantonner au pénal, la même réflexion doit exister dans tous les domaines traités par la Justice.

Ces petites révolutions de palais  mettraient à bas les murs des palais de justice  et contribueraient à la légitimité de la justice.

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