Vous avez fait le choix d’être responsable de la politique de prévention et de sécurité de votre ville. Votre programme électoral a porté essentiellement sur le développement d’une police municipale et sur la multiplication des caméras de surveillance. Ces mesures ont l’immense avantage de présenter une visibilité permettant au citoyen- payeur de mesurer l’investissement. Mais quelques précautions nous apparaissent devoir être prises si vous souhaitez quelque succès.
Donnez vous des objectifs pour chacune des mesures prises. Si vous accroissez le nombre de policiers municipaux, cela doit se traduire par une amélioration concrète d’un certain nombre de situations. Ne soyez pas trop ambitieux, cela ne réduira pas la délinquance de manière globale, mais cela peut réduire les dépôts d’ordure sauvages, les voitures particulièrement gênantes pour la circulation des handicapés et autres incivilités. Si vous installez des caméras de surveillance, le Procureur pourra vous remercier deux ou trois fois dans l’année pour avoir permis d’économiser des frais d’enquête en fournissant une image confondant le coupable d’un vol de voiture ou d’une agression. Cela n’est pas rien et c’est avec des petits riens qu’on fait également des politiques. Mais il faut éviter que ces petits « riens » ne coûtent trop chers. Une caméra vidéo coûte entre 15 000 et 20 000 euros, un système pour une ville moyenne, aux alentours de 250 000 euros de coût annuel. Peut être , une manière d’atténuer la dépense est d’envisager que ces caméras aient aussi d’autres perspectives d’usage, comme celui de gérer les dysfonctionnements de la ville et des espaces publics, comme de fournir un service pour les aveugles ou les handicapés, pour les personnes atteintes de troubles de reconnaissance. Cela demande alors d’autres personnels derrière les écrans et pour intervenir sur le terrain, mais cela permet de mutualiser les dépenses avec d’autres services municipaux.
Le grand nombre de villes ayant décidé de renforcer les rangs de leur police municipale me fait craindre une surenchère dans les salaires proposés. La concurrence entre les villes , les villes du Sud l’emportant toujours sur celles du Nord de la France, risque de vous obliger à proposer des salaires et avantages réduisant d’autant le nombre de postes que vous voudriez créer. De 35 000 à 70000 euros annuels, arriverez vous à l’objectif d’avoir en permanence sur le terrain un effectif apte à remplir les tâches requises ? Songez que pour un policier présent, cinq à six postes budgétaires sont nécessaires et qu’ils n’ont pas les capacités d’agir, ni les formations des policiers nationaux.
Vous souhaitez réduire la délinquance, vous avez un mandat de six années pour cela, alors, je vous conseille de vous soucier d’empêcher que des jeunes entrent dans la turbulence de la délinquance et d’aider d’autres à en sortir. C’est une affaire d’une génération, c’est à dire de la durée de votre mandat ; vous aurez alors des résultats à présenter à la fin de celui ci. Un jeune ne commet que rarement un seul cambriolage ou vol de voiture, il en commet de multiples ; ce qui rend à l’échelon d’une ville la masse des jeunes délinquants relativement faible et en tout cas à portée d’une politique municipale.
Quelle serait elle ? Organisez un groupe de professionnels issus de la justice , de la prévention , de la formation, de l’éducation, du secteur social, du logement, des sports s’engageant avec un jeune et lui même s’engageant dans un parcours de sortie de délinquance. Chaque mois on marque les progrès accomplis ou les échecs. Il y a une sanction, en cas de non respect des obligations par la personne, c’est la prison immédiate. Et cette peine retrouvera l’efficacité dans laquelle 80% des français ne croient plus (sondage infostat Juin 2013). Une responsabilisation de la personne, une prise en compte de ses handicaps sociaux et culturels, un suivi quotidien, c’est la clé de la réussite proposée par nos amis de tous les pays européens qui améliorent durablement leur situation sécuritaire. La France va bien bientôt se doter de cette mesure, c’est la contrainte pénale proposée par La Ministre de la Justice, Christiane Taubira, mais elle n’aura d’effet que si vous en faites un des instruments prioritaires de votre politique locale de prévention et de sécurité. Le coût de cette action n’est pas très élevé, dix à vingt mille euros par an pour la maîtrise d’œuvre, mille emplois crées par la Justice, des moyens existants épars ; ce qu’on attend de vous, c’est de mettre votre énergie et votre intelligence pour obliger différents partenaires à travailler ensemble.
Oubliez les débats idéologiques autour de cette mesure, les libelles démagogues et sans qualité d’ex avocats généraux[1] et autres politicards repentis, vous avez choisi la voie du pragmatisme en devenant élu local, ce pragmatisme n’exclut pas les choix de société, alors sachez reconnaître la mesure qui fait progresser notre intelligence collective.
Entre des mesures renforçant les moyens d’une police municipale appuyés par des outils technologiques et un groupe de professionnels fédéré autour de la contrainte pénale, votre politique présentera un caractère plus équilibré entre un court et moyen terme. Vous aurez marqué votre prise de distance vis à vis des « faucons » et des « yaka ».De quoi faire de votre mandat un réel progrès dans l’amélioration du sentiment d’insécurité de vos concitoyens.
1 « Contre la Justice laxiste » Philippe Bilger