Lettre ouverte à Monsieur Pap N'DIAYE, Ministre de l'éducation nationale
Hinges, le 23/02/2023
Monsieur le Ministre,
Le présent courrier est une LETTRE OUVERTE dont j’adresse copie à Madame la Rectrice de LILLE, à plusieurs députés, dont la représentante de ma circonscription, à plusieurs syndicats d’enseignants, ainsi qu’à plusieurs médias, en espérant que les uns et les autres, mais surtout vous-même en tout premier lieu, vous réalisiez que quelque chose a fortement « déraillé » dans le traitement de mon cas depuis plus de 4 ans, et qu’il est temps d’y mettre bon ordre.
De quoi s’agit-il ?
En septembre 2019, quelque jours avant le suicide de Christine Renon, cette Directrice d’école de Pantin qui avait adressé à sa hiérarchie une lettre expliquant son geste, en signant « Christine RENON, directrice épuisée », j’avais aussi adressé un courrier au Ministre de l’époque par la voie hiérarchique, afin d’obtenir son intervention dans la résolution d’un différend important avec mon chef d’établissement, qui s’était permis de solliciter des courriers de parents d’élèves, en leur distillant de fausses informations à mon sujet pour les effrayer et en leur garantissant l’anonymat vis à vis de moi ( … afin que je ne puisse pas m’en prendre à leurs enfants, selon les dires de l’un des signataires !).
Christine RENON a choisi de mettre fin à ses jours parce que sa vie avait perdu tout son sens, et aussi parce que tout espoir s’était éteint en elle de voir changer cet état de fait.
De mon côté, à l’époque, j’étais seulement « désarçonné » de constater qu’un chef d’établissement puisse enfreindre le code pénal comme cela avait été le cas, sans subir les foudres de sa propre hiérarchie lorsque son délit fut mis au jour ... mais j’étais loin d’avoir perdu toute confiance en mon administration, et à plus forte raison dans la justice de mon pays.
… Mais je n’en étais alors qu’aux premières stations de mon chemin de croix …
Mon courrier n’obtint aucune réponse, ni officielle ni officieuse, ni du Ministre ni de l’administration.
En revanche, mon chef d’établissement trouva opportun de me proposer un entretien afin de me suggérer l’activation du service de médecine de prévention, en réponse à mes allusions, dans le courrier, aux risques psycho-sociaux qui menaçaient une « conscience professionnelle chahutée ».
Cet entretien fut l’occasion pour moi de l’entendre dire devant témoins des choses qui prouvent sa responsabilité fautive dans mes déboires de l’année précédente, et qui prouvent notamment qu’en ce qui concerne son devoir de protection des agents mis sous sa responsabilité, il a fait dans mon cas un nombre « d’exceptions » tel qu’on se ridiculiserait à vouloir le défendre !
Nous en étions, toujours à l’époque, à un stade où le problème posé était facile à circonscrire et à élucider : Des parents me signalaient à l’autorité comme un enseignant incapable, qui faisait du tort aux élèves en ne finissant pas les programmes, au vu et au su non seulement de toute la communauté éducative de mon établissement, mais encore, bien au-delà, dans les lycées voisins !…
De deux choses l’une en effet :
- soit ils disaient vrai, et il convenait de me sanctionner par la voie disciplinaire,
- soit leur accusation était infondée, et il convenait de les en convaincre, et de me défendre de la diffamation que leur initiative représentait.
Par ailleurs , tirer le vrai du faux dans cette histoire n’aurait demandé que quelques heures à un enquêteur : Il suffisait de consulter les cahiers de textes de mes classes de 1ère scientifiques pour les années antérieures gardés en mémoire sur l’E.N.T ... Quoi de plus simple ?..
Certes, il y avait bien quelques sujets de tension « connexes » avec la Direction de l’établissement, mais je n’aurais même pas eu besoin de les évoquer si le problème critique précédent avait été véritablement traité : La manipulation des parents d’élèves par le chef d’établissement une fois mise à jour, il aurait suffit d’une mesure disciplinaire d’avertissement contre lui pour qu’il cesse du même coup l’ensemble des brimades mesquines qu’il se plaisait à m’infliger dans le seul but de me convaincre de demander ma mutation.
Au lieu de quoi, non seulement on n’enquêta pas, mais on ne répondit à mes appels au secours qu’une fois la requête administrative en demande de protection fonctionnelle déposée !
Et quelle fut la réponse ?
On me refusait la protection aux motifs que :
- les allégations des parents ne dépassaient pas les limites de la liberté d’expression
- qu’on avait trouvé des morceaux de phrases dans deux rapports d’inspections qui pouvaient donner à penser qu’ici ou là je traitais des points « hors programme » (en 2nde et en 6ème) ; ce qui est tout de même très éloigné de l’accusation d’oublier des pans entiers du programme de 1ère S …
Et surtout on m’enjoignait de « cesser de mettre en cause impunément mon chef d’établissement », alors même que je produisais un courrier d’un des parents signataires qui demandait littéralement au Proviseur « à quel jeu jouez-vous ?...» Et qui décrivait très précisément la teneur de leurs conversations téléphoniques en pointant lui-même son sentiment d’avoir été manipulé …
On est tout de même en droit de s’étonner qu’un Ministre, lorsqu’il est informé d’une telle situation, choisisse de faire la sourde-oreille, non ?
C’est pourtant bien ce qui se passa.
Et cette défausse de l’autorité administrative n’est sans doute pas étrangère au fait que, conforté par le soutien, tacite ou exprimé, de sa hiérarchie, le chef d’établissement lâcha encore la bride à son imagination en termes de moyens de coercition .
Le dossier cessa rapidement d’être simple, dès lors qu’à l’occasion de la brimade suivante, les conséquences, en termes de risques psycho-sociaux, que j’avais évoquées dans mon courrier au Ministre, firent leur apparition sous la forme d’une crise de nerfs et de larmes, devant mes élèves, qui s’avéra, comme l’ont constaté ensuite plusieurs médecins et experts psychiatres, être le déclenchement d’un syndrome dépressif majeur en lien avec une problématique professionnelle .
Le « dossier » se compliqua encore lorsque l’administration se refusa à considérer l’accident comme imputable au service et en vint à prétendre me placer à demi-traitement à l’issue des trois mois d’arrêt …
Il se compliqua surtout lorsqu’elle refusa d’apporter la moindre réponse à mon courrier de signalement du harcèlement moral au travail auquel j’étais soumis, harcèlement qui ne faisait que s’intensifier au fur et à mesure que le Proviseur constatait que pas une seule de ses attaques ne soulevait la moindre réaction, contestation, ou même seulement réserve, de sa hiérarchie !
C’est ainsi que les « coups pleuvèrent » :
dans la ventilation des services (on me donnait les classes que personne ne demande ...),
dans l’attribution des salles (de manière à me faire aller d’un bout à l’autre de l’établissement alors que j’avais mentionné des problèmes de motricité suite à une opération du genou),
dans le traitement de mes remarques postées sur l’E.N.T, quel qu’en soit le thème,
puis de manière encore plus « ouverte » dans les appréciations sur le dossier concernant la campagne de promotion à la classe exceptionnelle,
et même, pour finir, en décidant unilatéralement et sans même me prévenir de la fermeture de mon poste alors que je n’étais pas le dernier arrivé dans ma matière, loin de là !...
Au cours de ces longs mois de mon calvaire, j’ai essayé de garder l’espoir en me disant qu’une décision de justice arriverait forcément bientôt …
Une première est arrivée, pour imposer à Madame la Rectrice de Lille, dans l’attente du dossier sur le fond, de m’accorder provisoirement l’imputabilité au service … Du reste, 15 mois après l’accident, Madame la Rectrice, suite à une expertise qui confirmait intégralement le dossier de déclaration d’accident, a, d’elle-même, décidé de retenir définitivement cette imputabilité .
Et puis en avril 2022, le jugement est tombé concernant l’attribution de la protection fonctionnelle pour les faits décrits dans ma demande de janvier 2019 … Ce jugement établit que Madame la Rectrice n’a pas agi légalement en me refusant cette protection .
Est-ce pour autant que mes espoirs renaissent ?…
Pour cela, il aurait fallu que devant le constat de sa décision fautive de 2019, Madame la Rectrice assume les conséquences de cette décision fautive et revienne sur tous les « errements » des dernières années qui consistaient à considérer qu’il ne s’était rien passé et qu’il n’y avait donc rien à réparer... Ces errements qui n’ont fait qu’augmenter les préjudices pour moi.
Au lieu de cela, Madame la Rectrice se saisit d’un passage du jugement qui ne retient pas le harcèlement comme établi ( du fait de mon absence de contestation au silence de Madame la Rectrice en réponse à mon courrier de signalement de novembre 2019), pour en déduire que seuls les parents d’élèves auteurs des courriers de dénigrement étaient concernés par l’assistance juridique qu’elle me devait !
Il y a pourtant eu, entre deux, la décision d’un procureur de la république de transmettre à un juge d’instruction ma plainte au pénal contre mon proviseur pour harcèlement moral… ce qui prouve bien qu’il y avait matière à enquêter lorsque j’en ai fait la demande expresse en janvier 2019, puis en septembre dans mon courrier au Ministre, sans quoi le dossier eût été classé sans suite.
Je me dois aussi de rappeler ici que, devant l’amoncellement des difficultés qui m’étaient faites à seulement obtenir une protection que la loi me garantit, devant le délabrement progressif de mon moral et de ma santé, j’avais proposé que me soit accordée une rupture conventionnelle, et que Madame la Rectrice me refusa tout autant cette « sortie honorable » … me condamnant, par la même occasion, à continuer de subir le harcèlement que je lui signalais .
Tout cela pour dire à quel point ma confiance et mes espoirs dans une institution scolaire, et une société, justes et équitables, sont aujourd’hui émoussés. Pour dire à quel point mon état d’esprit et ma façon d’appréhender la situation d’aujourd’hui, se rapprochent de ceux de Christine RENON en septembre 2019 ... Ce sentiment d’impuissance et d’épuisement.
Et c’est dans ce contexte qu’est intervenu le 1er février dernier, la seconde expertise médicale destinée à clôturer le dossier d’accident de travail du 08/10/2019.
Lors d’une précédente expertise, en juin 2022, le même expert avait conclu à l’impossibilité de constater (ou même de prévoir la date de...) la consolidation de la pathologie née de l’accident, et demandé à me revoir dans un délai de 6 à 8 mois. Il espérait alors une amélioration de mon état dans ce délai .
Mon état, sans doute l’aurez-vous deviné, ne s’est pas amélioré entre les deux consultations.
Cependant, bien qu’ayant envisagé devant moi de « me consolider » en signalant des séquelles et en fixant un taux d’IPP, l’expert a finalement choisi, au moment de la rédaction de son rapport, de renouveler son analyse de juin dernier : état non stabilisé, impossibilité de fixer la date de consolidation, et nécessité de me revoir dans 6 à 8 mois.
second rapport d'expertise consolidationEt dans mon esprit, en prenant connaissance de ce rapport, a surgi une fois de plus un pensée que je ne cesse de ruminer depuis presque quatre ans : « … ça ne finira donc jamais ?!... »
D’un côté, je ne peux reprocher à un expert-psychiatre qui a totalement appréhendé que ma souffrance actuelle est en lien direct avec une situation de crise qui n’est pas encore éteinte avec mon administration, et qui en déduit qu’une fois la crise passée, on peut raisonnablement pronostiquer une amélioration de mon état.
Mais il ne tient pas compte dans son raisonnement que la gestion par l’administration de mon dossier d’accident de service participe aujourd’hui, au même titre que sa stratégie de défense contre les contentieux administratifs en cours, à cette situation de crise, qui pourrait encore durer pendant combien d’années, Monsieur le Ministre ?…
Ainsi, bien que jusqu’à présent la justice ne m’ait donné tort que sur des dossiers où l’existence d’un harcèlement moral devait être préalablement établi pour que ma requête soit accueillie, bien que le caractère illégal et fautif de la décision de refus de protection fonctionnelle par Madame la Rectrice en avril 2019 soit établi, de même que l’imputabilité au service de la pathologie engendrée par l’accident de service d’octobre 2019, je n’ai pas encore vu l’ombre d’un commencement de réparation des préjudices, après plus de trois ans de souffrances au quotidien !
« ça ne finira donc jamais ???... »
Monsieur le Ministre, vous êtes aux commandes de cette grande machine qu’est notre institution. Cette grande machine à instruire, à éduquer, à socialiser, à émanciper, à libérer, à épanouir …
Je ne veux pas croire que vous ne puissiez pas comprendre qu’en la circonstance, comme dans de nombreux cas (dont celui de Christine Renon), cette machine est devenue une machine à broyer, à étouffer, à tuer !…
Votre prédécesseur, Monsieur BLANQUER, a choisi de regarder ailleurs, pour Christine RENON comme pour moi…
Comme tant d’autres politiciens « modernes », il a cru qu’au temps de l’hégémonie des communicants, on pouvait remplacer le respect des valeurs morales et des idéaux républicains par une bonne dose « d’image », il a cru que c’est seulement l’image de notre institution qui devait être protégée même aux dépens de son honneur et de sa cohésion. Et c’est ainsi qu’il a déshonoré à la fois l’institution et la fonction qu’il y exerçait.
Cet homme-là a fait quasiment toute sa carrière au sein de la haute hiérarchie administrative de votre Ministère, il a été à l’origine de l’application des théories du néo-management dans la fonction publique, ces mêmes théories qui ont conduit au marasme de l’affaire France-Telecom. Il a été aussi à l’origine de la fable moderne du Wokisme érigé en responsable fantasmé de tous les maux de notre institution ...
Suivrez-vous son exemple ?
Ou choisirez-vous plutôt, compte tenu de votre connaissance historique et savante de tous ces phénomènes, d’œuvrer à en diminuer l’impact sur notre institution, pour le bien de notre jeunesse et du monde enseignant ?
Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, l’expression de mon attente impatiente d’un intervention de votre part dans les différents litiges évoqués plus haut, ainsi que mes plus respectueuses salutations.
Michel RODRIGUEZ