« L'objectif c'est de vacciner toutes les personnes qui souhaitent l'être, mais n'oublions pas que nous ne sommes pas dans l'urgence pour la vaccination. »1. Voilà ce qu'a déclaré Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée en charge de l'organisation territoriale et des professions de santé, le 4 août dernier au sujet de l'épidémie de la variole du singe. Quelle ne fut pas ma surprise devant de tels propos, nous ne serions donc pas dans l'urgence ? Quand on sait l'immense difficulté pour trouver un rendez-vous pour se faire vacciner, on ne peut qu'être choqué devant la tranquillité – quand on n'est pas dans l'urgence on est tranquille – de la ministre et du gouvernement auquel elle appartient. Et face à ce choc, on ne peut que se poser les questions suivantes : Quel est ce « nous » qui n'est pas dans l'urgence ? Car il est certain que les HSH (hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes), les personnes trans, et les travailleurs du sexe (TDS), majoritairement touchés par la variole du singe, ne sont pas inclus dans ce « nous ». Et enfin, dans quelle situation sanitaire devons-nous être pour qu'il y ait urgence ? Que faut-il aux pouvoirs publics pour comprendre que de fait il y a urgence ?
Qui est ce « Nous » ?
En lisant les articles de presse relatant l'impact de l'épidémie sur les HSH, et particulièrement sur ceux qui sont TDS, on ne peut que sentir l'urgence. « L’inquiétude est omniprésente chez les travailleurs du sexe. A peine remis de la crise sanitaire liée à l’épidémie de Covid-19, ils craignent désormais la propagation du virus de la variole du singe, auquel ils sont particulièrement exposés. « Nous ne souhaitons pas que, comme pendant le Covid, les travailleurs du sexe se retrouvent sans argent, sans logement ou encore endettés, en somme précarisés, parce qu’ils ne peuvent pas travailler », redoute Eva Vocz, chargée de mission pour les travailleurs du sexe chez Act Up-Paris, association militante de lutte contre le sida. ». C'est ainsi que commence l'article du Monde du 29 juillet 20222. On y apprend que pour les TDS, comme Calvy, ayant eux la variole du singe, l'isolement de 3 semaines imposée lors d'une infection a eu un impact significatif – le mot est faible – sur leur vie, et cela s'explique par leur précarité administrative. N'ayant pas de statut, ils n'ont pas accès aux arrêts maladie, ou encore aux indemnités journalières, et donc 3 semaines d'isolement pour les TDS sont trois semaines sans revenu. « Pour la première fois, [j’ai] demandé des avances à des clients réguliers et j’ai sollicité des amis qui m’ont versé de l’argent dans une cagnotte, confie le Niortais. On a aussi prévenu notre bailleur que nous aurons du retard sur le loyer de 600 euros. » déclare Calvy au Monde.
Donc pour Calvy et les autres, il y a urgence. D'autant plus que les ravages du Covid-19 et des confinements et couvre-feux successifs sur les TDS sont encore très récents. C'est une communauté précaire, qui à la suite de la loi pénalisant les clients de la prostitution en 2016 avait déjà été fragilisé3, et l'inaction des pouvoirs publics aussi bien durant l'épidémie du Covid-19 que celle de la variole du singe, porte atteinte à leur vie et leur santé.
L'urgence est aussi dans le fait de permettre aux hommes gays/bis de reprendre leur mode de vie, de pouvoir reprendre une vie gay, une vie sexuelle. On ne saurait dénombrer les hommes gays/bis qui en attente de la vaccination ont cessé toute vie sexuelle, ont fuit les saunas, les lieux de dragues, et les applications de rencontres par peur d'attraper la variole du singe. Combien d'homme gays/bis dans le placard sont devenus abstinents par peur d'attraper la variole du singe, car s'ils venaient à être infectés cela serait un outing forcé étant donné que la variole du singe circule majoritairement chez les HSH ? Mais pour Agnès Firmin Le Bodo et son gouvernement, permettre à des minoritaires sexuels de retrouver leur mode de vie, leur amitié, leur sexualité ce n'est pas une urgence.
Les saunas, les sex clubs et autres lieux de drague permettent à de nombreux hommes gays/bis de faire des rencontres avec d'autres minoritaires sexuels, et pour certains d'entre eux ces lieux sont les seuls où ils peuvent exister tranquillement, mais l'épidémie de la variole du singe et l'inaction des pouvoirs publics empêchent ces hommes de vivre leur sexualité, ils se retrouvent donc abstinents car c'est bien le seul moyen qu'ils ont trouvé pour se protéger de la variole du singe. Des modes de vies minoritaires, dont l'existence est fragile, se retrouvent donc chamboulés par l'inaction, et disons-le, par la tranquillité des pouvoirs publics.
Je repose donc ma question : Qui est donc ce « Nous » qui n'est pas dans l'urgence ? Pour moi, il ne fait aucun doute que c'est un « Nous » hétérosexuel ? Agnès Firmin Le Bodo dit que « nous ne sommes pas dans l'urgence pour la vaccination. » parce que seuls les hommes gays/bis, sont touchés pour l'instant, et c'est depuis une position bien précise dans le monde sociale qu'elle parle. Dans son « nous », il faut y voir l'hétérosexualité, car comme nous l'avons vu pour ce qui est des hommes gays/bis et des TDS il y a urgence.
Il n'y a pas d'urgence pour eux parce que c'est de la santé des hommes gays/bis et celle des TDS dont il est question:
« On n'a pas pris de retard [dans la lutte contre la variole du singe] »4 nous disait François Braun, Ministre de la Santé, le 27 juillet dernier au micro de FranceInfo. « Pas de panique » avait-il aussi déclaré au même micro. Mais comme l'a très bien montré Gwen Fauchois, ancienne vice-présidente d'Act-Up, dans sa tribune pour Libération5, l'OMS avait déjà lancé l'alerte au sujet de la variole du singe en mai dernier. On ne reprochera pas à Braun de n'avoir pas agit en mai, étant donné qu'il n'a été nommé Ministre que le 4 juillet, mais cela ne peut nous empêcher de nous poser la question du retard dans la mise en place des stratégies de contrôle de l'épidémie de la variole du singe par les pouvoirs publics. Si ceux à la tête de l'État l'avaient voulu, la situation sanitaire ne serait pas celle qu'elle est aujourd'hui. Mais force est de constater qu'il n'y avait pas d'urgence pour eux. Il n'y avait pas d'urgence pour eux en mai dernier, et Agnès Firmin Le Bodo nous confirme aujourd'hui qu'il n'y a toujours pas d'urgence pour eux. Il n'y a pas d'urgence parce que c'est de la santé des hommes gays/bis et celle des TDS dont il est question.
Espérons qu'on n'en arrive pas à cette situation sanitaire, mais je suis convaincu qu'il y aura urgence pour le gouvernement et les pouvoirs publics quand ce seront des enfants et les familles hétérosexuelles qui seront touchés par la variole du singe, là tout d'un coup, l'urgence pour vacciner ne fera plus débat. Le journaliste Matthieu Foucher avait tweeté dernièrement : « Chemsex, monkeypox (variole du singe) : étrange comme il faut chaque fois mettre en avant les risques éventuels chez la « population générale » pour espérer mobiliser (quitte à frôler les fakes news), la santé des seuls gays n'étant apparemment pas un critère suffisant pour mobiliser. »6. Et c'est très vrai, pour le gouvernement prendre en charge la vie et la santé des gays/bis et des TDS ce n'est pas une urgence.
Miguel Shema
2 « Variole du singe : les travailleurs du sexe redoutent une situation précarisante », Fatoumata Sillah, Le Monde, 29 juillet 2022, https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/07/29/variole-du-singe-les-travailleurs-du-sexe-redoutent-une-situation-precarisante_6136536_3224.html
3 « Les travailleur.euse.s du sexe victimes de la pénalisation du client », Fanny Marlier, Les Inrocks, 1 mai 2018,https://www.lesinrocks.com/actu/les-travailleur-se-s-du-sexe-victimes-de-la-penalisation-des-clients-140778-01-05-2018/
5 « Variole du singe : les LGBTQI+ mobilisés, l'État en vacance », Gwen Fauchois, Libération, 28 juillet 2022 https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/variole-du-singe/variole-du-singe-francois-braun-assure-qu-il-y-a-un-stock-tres-consequent-de-doses-de-vaccin_5279902.html
6 https://twitter.com/MatthieuFoucher/status/1542091703343087619