Dans le cadre du festival Homografia, j'ai été invité à faire une conférence par Fatsabbats le 29 septembre à Bruxelles. Voici le texte (légèrement modifié) de ma conférence.
Qui est en bonne santé ? Qui prend soin de sa santé ? Quelles sont les conditions de la bonne santé ? Qu'est-ce que prendre soin de soi ?
Avant d'essayer de répondre à ces questions je voudrais d'abord commencer par vous lire un extrait de la leçon inaugurale au Collège de France du médecin et anthropologue Didier Fassin, intitulée « De l'inégalité des vies ». Fassin s'intéressait à la situation de l'épidémie du Sida en Afrique du Sud, pays le plus touché de la planète (le nombre de personnes malades est estimé à 5 millions) et rappelait que c'est dans les zones minières que se trouvent : « les situations les plus inquiétantes ». Or, cet état de fait s'explique par les conditions sociales et économiques de vie des mineurs. En effet, selon Fassin :
« Une études épidémiologique conduite dans le plus grand complexe d’extraction aurifère au monde, dans les années 2000, montre notamment que les taux de séroprévalence y atteignaient 28% parmi les 80 000 mineurs, 37% parmi les femmes du "Township" voisin et 69% parmi les prostituées de lieux désignés comme "Hotspot". Comment expliquer ces niveaux exceptionnellement élevés de contamination ? Les enquêtes historiques et ethnographiques révèlent que depuis la fin du XIXème siècle les compagnies minières ont fait essentiellement appel à des travailleurs noirs des zones rurales, parfois même des pays voisins, en les regroupant dans des conglomérats de baraquements sur les sites d’exploitation et en favorisant l’implantation de bars informels censés occuper leurs loisirs. Ces mineurs, dont le nombre dépasse le demi-million, se trouvent ainsi éloignés de leur famille pour de longues périodes. Ils entretiennent souvent des liens extra-conjugaux avec des femmes pauvres des environs, auxquelles ils assurent une forme de protection, se rendent occasionnellement dans des lieux de prostitution extrêmement frustes où les pratiques sexuelles sont dites "de survie", et développent parfois des relations homosexuelles avec de jeunes collègues de travail. »
D'où le constat suivant : « Dans ce contexte de grande précarité, la prévention du sida s’avère d’autant plus difficile que les conditions extrêmement dures de la mine exposent les travailleurs à des risques élevées d’accidents et les conduisent à minimiser ceux d’une éventuelle infection. Il n’est ainsi pas inapproprié de parler d’un véritable "mode de production" de l’épidémie par les compagnies minières internationales qui opèrent dans le pays. »
L'essentiel est dans cette phrase : « Dans ce contexte de grande précarité, la prévention du sida s’avère d’autant plus difficile que les conditions extrêmement dures de la mine exposent les travailleurs à des risques élevées d’accidents et les conduisent à minimiser ceux d’une éventuelle infection. ».
Avant de continuer je voudrais faire une petite digression vers l'économie, vous comprendrez par la suite où je veux en venir.
Dans son cours du 2 novembre 1982 au Collège de France, Pierre Bourdieu se livrait à une critique de l'économie, et des travaux de l'économiste John Harsanyi et notamment du : « postulat de similarité » qui permet « de réduire les agents à une sorte d'humanité universelle en faisant abstraction de leurs goûts, de leur éducation, etc. », en postulant que « tous les agents ont la même capacité fondamentale de satisfaction et de non-satisfaction. »1. Bourdieu soulignait cette « universalisation ou homogénéisation abstraite qui élimine les goûts élime du même coup successivement l'histoire, la genèse des goûts, les conditions sociales de production des consommateurs et – paradoxe ! – les conditions économiques de production des agents économiques. ».
Le sociologue faisait alors un parallèle avec ses premiers travaux en Algérie : « Ma première réaction de sociologue [lors de mon enquête sur le travail en Algérie] a été de m'étonner devant la situation des travailleurs algériens qui se trouvaient affrontés à une économie capitaliste sans posséder l'habitus que produit normalement cette économie. Mon premier travail a consisté à essayer de montrer qu'il y avait des conditions économiques de l'accès au calcul économique. […] Il existait, et il existe toujours, une tradition d'économie du sous-développement, d'économie des économies précapitalistes, qui s'interrogeait sur le fondement des résistances à l'économie capitaliste qu'on observait dans les sociétés colonisées ou anciennement colonisées (le mot "résistance" est intéressant). On invoquait la tradition culturelle, la tradition religieuse. On se demandait si l'islam est compatible avec le capitalisme, s'il n'y a pas une mentalité islamique qui interdit l'accès au prêt à intérêt, et on allait alors chercher les relations médiévales, etc. Sur ces terrains se rencontraient des ethnologues et des économistes, les seconds demandant aux premiers de dire quelles curiosa ethnologicaexpliquaient que ces gens-là ne se conduisent pas comme des économistes rationnels, arrêtant, par exemple, de travailler lorsqu'ils ont assez d'argent (ce qui, après tout, est tout à fait compréhensible...), et les ethnologues expliquaient qu'il y avait des tabous, le tabou du samedi, etc. Je résume et je caricature donc un peu, mais il est apparu très paradoxal qu'une question très simple ne fût jamais posée : quelles conditions économiques doivent être remplies pour que quelqu'un accède au calcul économique ? Ne faut-il pas avoir un minimum de sécurité économique pour avoir l'idée de prendre des garanties économiques ? Un homme, par exemple, qui vit dans l'instabilité économique absolue, comme le sous-prolétaire, le chômeur ou le travailleur occasionnel qui travaille deux jours puis est au chômage trois jours, qui a un habitat tout à fait instable, qui passe trois jours ici, trois jours là, etc..., est-il dans des conditions objectives permettant l'attitude calculatrice?Autrement dit, ne faut-il pas avoir un minimum de prise objective sur l'avenir pour avoir l'idée de prendre prise par le calcul sur l'avenir ? »2.
J'espère ne pas vous avoir perdu avec l'économie. Si j'ai fait ce détour c'est parce que la critique bourdieusienne de l'économie et de la théorie économique m'apparaît très féconde pour penser d'autres champs, notamment la médecine et la santé publique. Il y a, je pense, une croyance que chaque agent social est à même de prendre soin de lui, de sa santé. On ne pose pas assez les questions suivantes : quelles sont les conditions sociales et économiques du recours au soin ? Quelles sont les conditions sociales et économiques de la bonne santé, et inversement de la mauvaise santé ? Quelques années plus tard, en 2000, sera publié Les structures sociales de l'économie dans lequel Bourdieu écrira : « Contre la vision antihistorique de la science économique, il faut donc reconstruire d'un côté la genèse des dispositions économiques de l'agent économique, et tout simplement de ses goûts, de ses besoins, de ses propensions ou de ses aptitudes (au calcul, à l'épargne, ou au travail lui-même) »3. À la manière de Bourdieu dans sa critique de l'économie, je voudrais, de manière assez humble, faire ici la genèse des pratiques de recours au soins, et une critique des notions de « responsabilité », et de « responsabilisation des patients ».
Revenons à l'exemple des mineurs travaillant dans un complexe aurifère en Afrique du Sud, et à la phrase qui m'apparaît contenir tout ce dont je veux vous parler aujourd'hui : « Dans ce contexte de grande précarité, la prévention du sida s’avère d’autant plus difficile que les conditions extrêmement dures de la mine exposent les travailleurs à des risques élevées d’accidents et les conduisent à minimiser ceux d’une éventuelle infection. ». Si comme Pierre Bourdieu le dit, il faut avoir un minimum de prise objective sur l'avenir pour avoir l'idée de prendre prise par le calcul sur l'avenir, il en va de même pour la santé. Pour répondre positivement aux politiques et aux messages de prévention et se faire dépister il faut avoir une prise objective sur l'avenir, se dire qu'on en a un. Pour le dire brutalement, les mineurs ne s'inquiétaient pas de mourir du Sida, la mine les aurait tués avant. Le processus que je décris ici, n'est pas de l'ordre de la conscience, du calcul, ou de la décision (les mineurs ne se disent pas consciemment : peu importe le Sida, la mine me tuera avant), mais l'expression d'un certain habitus, forgé dans certaines conditions (ici la mine) qui produit un certain rapports aux soins et au corps, et qui produit les conséquences que l'on connaît.
Covid-19 : exemple paroxystique
Si j'insiste autant sur l'importance de comprendre qu'il y a des conditions économiques et sociales d'une « consommation » des soins, c'est parce que nous sommes confrontés à des discours et des pratiques, aussi bien médicales, médiatiques que politiques, qui invisibilisent ces conditions. En parlant de « responsabilité », ces discours et ces pratiques dépolitisent la santé et universalisent le rapport que les agents possédant un habitus bourgeois ont à celle-ci. On a pu voir une forme accrue de ce discours dépolitisant durant l'épidémie du Covid, à la fois au début de l'épidémie, puis particulièrement après l'apparition des vaccins. Vous vous souvenez sûrement deMacron, lorsqu'il disait vouloir « emmerder les non-vaccinés », nombreux s'en sont offusqués, mais ils étaient visiblement plus offusqués par la forme que par la logique même de cette phrase. Loin de moi l'idée de critiquer la vaccination, bien au contraire. Se vacciner protège de la maladie et ses formes graves, de ça il n'y aucun doute. Cependant, les propos de Macron et la politique sanitaire qui l'accompagne, sont l'expression d'une croyance dans l'idée fausse et anti-sociologique, que les agents sociaux sont tous logés à la même enseigne quand il s'agit de santé, qu'ils sont tous à même de prendre soin d'eux ; et donc que la non-vaccination n'est que le fait des « irresponsables ». Appréhender la non-vaccination uniquement par le prisme de la « responsabilité », c'est in fine refuser de voir qu'il y a des conditions économiques et sociales à l'accès à la vaccination, et dans le fait même de penser à se faire vacciner.
Les logiques sociales au principe de la (non-)vaccination sautent aux yeux à la lecture d'un article de Mediapart intitulé : « Dans les quartiers populaires de Marseille, "vacciner est un travail de fourmi" »4. On y découvre le travail du docteur Slim Hadiji, et de l’association Sept (Santé et environnement pour tous), pour vacciner les habitants des quartiers pauvres de Marseille, deux fois moins vaccinés que les habitants des quartiers sud, plus aisés. Ligne après ligne, on lit les nombreuses raisons qui ont empêché certains et certaines de se faire vacciner, on retrouve par exemple la barrière de la langue, la barrière géographique, la méconnaissance/désinformation autour du vaccin (dû à l'absence d'un capital culturel), ou encore que certains, comme Ousmanne, sans papiers, ignoraient que le vaccin était gratuit (pour eux) : « Je ne savais même pas que le vaccin était gratuit pour moi aussi » disait Ousmanne.
« Il y a une détermination à être confronté à la Justice, à accomplir des actions qui exposent à l'appareil répressif d'État. L'existence d'une logique sociale des illégalismes ne constitue ni une hypothèse, ni une vision du monde, ni une opinion que l'on pourrait discuter. C'est un fait. » Peut-on lire dans Juger : L'État pénal face à la sociologie (p.12) de Geoffroy de Lagasnerie. Et, à sa manière, je dirais : il y a une détermination à être confronté à la maladie, à accomplir des actions qui détériorent son état de santé. L'existence d'une logique sociale de l'exposition à la maladie ne constitue ni une hypothèse, ni une vision du monde, ni une opinion que l'on pourrait discuter. C'est un fait.
L'exemple le plus parlant de l'absence, ou plutôt de la lutte contre une vision sociologique de la santé dans le monde médical réside dans le manque d'indignation suite à la décision du gouvernement de rendre les tests payants pour les non-vaccinés. Quelle politique sanitaire digne de ce nom rendrait des tests de dépistage payants pour les non-vaccinés ? Quelle logique, si ce n'est une logique de punition, est au principe d'une telle décision que l'on peut sans difficulté qualifier d'aberrante ? C'est une hérésie de rendre des tests moins accessibles en pleine pandémie, plus particulièrement pour des personnes qui ne sont pas vaccinées, et pourtant les indignations se sont faites bien rares. On comprend aisément ce manque d'indignation, car quand il est question de santé, et de recours au soin, on ne se pose pas la question des conditions sociales, et donc des habitus, qui rendent (ou pas) possible l'accès au soin.
Toujours au sujet du Covid et de la vaccination, en juillet 2021, on entendait, sur LCI, le docteur Hervé Boisson expliquer ainsi le faible taux de vaccination des martiniquais (17% à ce moment-là) : « C’est culturel, il y a d’autres sources d’information, je ne vais pas revenir sur les vaudous mais ça existe toujours dans ces territoires. (...) Beaucoup de problèmes viennent de la culture. Et le rhum ne guérit pas tout, au contraire ». On remarquera comme on substitue à une analyse sociologique des habitus, des rapports sociaux de race, et des conditions de production des rapports au soins, une vision raciste et coloniale de la santé des Martiniquais. On retrouve ici la même vision raciste et coloniale qu'avaient les ethnologues sur le rapport au capitalisme des travailleurs algériens dont parlait Bourdieu.
Pour comprendre la non-vaccination des Antillais, il faut aller chercher, entre autres, dans le scandale sanitaire du chloredécone et dans ce qu'il a crée comme rapport à la santé et aux institutions médicales/sanitaires. Le chloredécone est un pesticidecancérigène interdit aux États-Unis et en France hexagonale, mais anciennement autorisé pour les bananeraies aux Antilles, ce qui a causé – et cause encore car il est toujours présent dans les eaux et dans les sols – de nombreux cancers de la prostate (le taux et la mortalité du cancer de la prostate aux Antilles sont les plus élevés au monde !) ou encore des accouchements prématurés. (L'État français n'a toujours pas admis sa responsabilité dans cette crise sanitaire, et jusqu'en 2019 – il n'y a pas si longtemps – Emmanuel Macron disait qu' « il ne [fallait] pas dire que chlordécone est cancérigène. »5). Rappelons-nous aussi qu'en 2017 la Guadeloupe n'a pas eu de CHU pendant au moins un an suite à un incendie du seul CHU6. La Guadeloupe compte 395 700 habitants, et pas de CHU. Deux ans après en 2019 les soignants du CHU de Pointe-à-Pitre se sont mis en grève pour affirmer qu'ils ne pouvaient plus travailler dans un hôpital qui a tout d'insalubre7/8.
Tout cela n'est pas qu’anecdotique, ce ne sont pas de simples éléments pris au hasard ; au contraire ces éléments décrivent la faiblesse des structures de santé dans ces territoires. Contre la vision raciste, anti-historique et anti-sociologique, qui nie les logiques sociales de la santé des Antillais, il faut rappeler les conditions sociales, économiques, sanitaires, et coloniales dans lesquelles ils ont été produit, et les pratiques de recours aux soins que ces conditions engendrent. Si 70% des martiniquais n'étaient pas vaccinés à ce moment-là, ce n'est pas en raison de leur consommation de rhum, mais plutôt le résultat de l'histoire de la faiblesse des structures de santé dans ces territoires et de la méfiance qu'elle engendre. Et plus généralement d'un rapport à l'autorité et aux décisions de l'État français façonné par plusieurs siècles de domination coloniale et raciale, en matière de santé comme dans d'autres domaines.
Droits de la santé et « responsabilité » :
Dans son article « Le patient entre responsabilité et responsabilisation » paru dans la revue Les Tribunes de la Santé, Anne Laude, au sujet de la loin° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, analyse les rapprochements qui sont faits entre la notion juridique de « responsabilité » et celle de « responsabilisation des patients ». La loi du 4 mars 2002 dispose en effet que : « Les droits reconnus aux usagers s’accompagnent des responsabilités de nature à garantir la pérennité du système de santé et des principes sur lesquels il repose. ».
L'article donne à voir ce qu'était les prises de paroles des députés durant les débats parlementaires relatifs au projet de loi du 4 mars 2002. On lit ainsi, qu'Étienne Caniard « s’exprimait en mentionnant la nécessité "de patients responsables, informés, majeurs et qui aient les moyens de s’exprimer [...]. Ce passage d’une situation de relative passivité à une situation d’acteur, qui nécessite automatiquement une prise de responsabilité et donc des devoirs, me semble fondamental". Et ses interlocuteurs de lui répondre : il est "regrettable que, dans le projet de loi, l’affirmation d’un droit des malades ne s’accompagne pas, en miroir, de l’énoncé des obligations ou du moins des responsabilités des patients et usagers afin d’accéder, comme cela est annoncé dans l’exposé des motifs, à un équilibre harmonieux des responsabilités entre les usagers, les professionnels, les institutions sanitaires et l’État". Et le député Alain Vasselle d’ajouter : "Ne pensez-vous pas que ce texte puisse avoir des effets pervers, en donnant le sentiment à l’ensemble de nos concitoyens qu’en définitive, au regard de la loi en ce qui concerne les services de santé, ils n’ont que des droits, mais n’ont aucun devoir ou responsabilité ? Je pense en particulier à cette responsabilité qui devrait être la leur au regard des dépenses de santé qu’ils engendrent de par la consommation des services et des soins.". ».
Voyez comme ils sont obsédés par la notion de « responsabilisation des patient », si bien qu'ils l'inscrivent dans la loi. Comme si les patients avaient « trop » de droit, « trop » de liberté, et donc qu'il fallait les rappeler à l'ordre dans leur recours aux soins. Convaincus qu'un patient est tout entier responsable de sa santé, ils imputent à des patients qui seraient « irresponsables » l'état du financement du système de santé.
Pour en finir avec la responsabilité :
On peut voir cette croyance en la responsabilité dans des situations bien plus anodines, mais non moins violentes, comme lorsque des médecins demandent à leur patient : « Pourquoi vous n'êtes pas venu plus tôt ? ». Ce n'est pas vraiment une question, mais un jugement. Le médecin en posant cette question n'attend pas que le patient lui donne les raisons, économiques, de temps, ou encore sociales, qui l'ont empêché de venir plus tôt, mais – pensant que son patient perçoit le risque, la maladie ou la bonne santé comme il les perçoit – de lui signaler que s'il avait été sérieux, s'il avait pris sa santé au sérieux, s'il avait été « responsable », il serait venu plus tôt.
Les médecins attendent de leurs patients qu’ils soient « actifs », « entreprenants » dans leur guérison et leur prise de traitement, sans jamais se demander quelles sont les conditions économiques et sociales de production d’un tel patient. On peut lire dans l'article « Les logiques sociales de la décision médicale » d'Aurore Loretti : « Parallèlement à l’âge et à l’état général, certaines attitudes et comportements du patient peuvent également constituer un critère décisionnel. En particulier, son degré d’observance et sa supposée adhésion aux traitements [...]. La notion d’observance, souvent mobilisée par les soignants, renvoie au "degré de concordance entre les recommandations du médecin et les comportements des malades". […] La poursuite des "intoxications", par exemple, est souvent perçue comme le symptôme d’un manque de motivation et d’implication. ». Comment ne pas voir le lien entre l'absence d'observanceet un certain habitus ? Il ne fait aucun doute que l'observanceest l'expression d'un habitus. Avoir une bonne observance c'est percevoir son corps, les symptômes, les risques, la maladie, le traitement comme le monde médical les perçoit, et c'est l'habitus bourgeois qui produit une perception la plus proche de celle du monde médical.
Je conclurai avec les mots de Bourdieu lorsqu'il écrivait : « Parce que le monde social est tout entier présent dans chaque action "économique", il faut s'armer d'instruments de connaissance qui, loin de mettre entre parenthèses la multidimensionalité et la multifonctionnalité des pratiques, permettent de construire des modèles historiquescapables de rendre raison avec rigueur et parcimonie des actions et des institutions économiques telles qu'elles se donnent à l'observation empirique. »9. Il faut s'armer des mêmes instruments, pour analyser les rapports à la santé des agents, et ainsi rompre avec l'idée de « responsabilité ».
Miguel SHEMA
1 Pierre Bourdieu, Sociologie générale, Volume 1, Cours au Collège de France (1981-1983), p.328
2 Ibid, p.329
3 Pierre Bourdieu, Les structures sociales de l'économie, Édition du Seuil, 2000, p.18
4 Caroline Coq-Chodorge, 2021, « Dans les quartiers populaires de Marseille, "vacciner est un travail de fourmi" », Mediapart, 4 septembre,https://www.mediapart.fr/journal/france/040921/dans-les-quartiers-populaires-de-marseille-vacciner-est-un-travail-de-fourmi
6 https://la1ere.francetvinfo.fr/apres-incendie-guadeloupe-chu-au-moins-an-567853.html
9 Pierre Bourdieu, Les structures sociales de l'économie, op. cit., 2000,p.14