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Billet de blog 20 novembre 2020

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Transphobie, regard et discours médicaux

En cette Trans Awareness Week, il m'a semblé important d'aborder précisément les questions de pathologisation des personnes trans dans le monde médical, d'aborder la manière dont le pouvoir médical s'exerce sur les personnes trans. (Ce texte a d'abord été publié sur le compte Instagram @sante_politique)

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Être trans c'est être confronté à un regard et un discours médicaux déjà-là, prêts à s'emparer de son corps, de son être. Être constamment médicalisé, psychanalysé. Le discours médical ou médicalisant structure la vie des personnes trans, discours qui a produit et produit encore des mystifications sur ce qu'elles sont. Il n'y a pas d'en dehors du discours et du regard médical pour les personnes trans qui étaient contraintes, il y a encore peu, à être stérilisés pour obtenir un état civil conforme à leur genre.

Ali Aguado écrivait en 2013 dans un article titré De la lutte pour l'émancipation des personnes trans à la prévention de la transphobie :« La population trans est un produit de la médecine. Un grand nombre de personnes décidant d’entamer un parcours de transition, que ce soit dans les hôpitaux publics ou auprès de médecins libéraux, prennent des hormones, ont recours à la chirurgie, modifient leur voix avec l’aide d’orthophonistes... Les trans sont ainsi souvent pris dans une relation de subordination vis-à-vis des systèmes médicaux et se retrouvent régulièrement confrontés à des situations de violence ressentie dans le cadre médical. Les questions intrusives sur la transition de la personne, sa vie sexuelle, sa profession ou son mode de vie sont ainsi monnaie courante lors d’un simple diagnostic pour... une angine. Le fait que l’État contraigne les trans à être stérilisés (hystérectomie pour les Ft*, vaginoplastie pour les Mt*) pour obtenir un état civil conforme à leur genre ne permet pas davantage un rapport émancipé au corps, à la médecine et au soin. La transphobie apparaît alors comme une discrimination relevant d’un système structurel hétérosexiste ayant des conséquences directes sur l’estime de soi comme sur la relation au corps soignant. ».

Jusqu'à récemment en France, le changement d'état civil pour les personnes trans ne pouvait se faire sans un changement physique important, comme une vaginoplastie ou une hystérectomie. On peut lire dans un article de la Revue d'anthropologie des connaissances de Thomas Bujon et Christine Dourlens titré Les médecins aux bords de leurs savoirs : « En France, compte tenu de la prééminence conférée à l'indisponibilité de l'état des personnes, le changement d'état civil est subordonné à des transformations corporelles importantes qui ont longtemps été interprétées dans un sens très extensif."La notion de traitement médico-chirurgical visée par cette décision a été entendue comme exigeant l'ablation des organes génitaux d'origine et leur remplacement par des organes génitaux artificiels du sex revendiqué (opération de réassignation sexuelle)." […] Les médecins sont donc ainsi placés en position de statuer sur l'identité légale des personnes et, par là même, de se prononcer sur des questions qui ne relèvent pas de leur "juridiction" » Dans le contexte français, caractérisé par l'absence de toute disposition législative ou réglementaire concernant la transidentité, les médecins assument, de fait, des responsabilités que seules les lacunes du droit leur octroient. »

Même si depuis 2016 le cadre légal a changé, ce que décrivait à l'époque A. Aguado est toujours vrai aujourd'hui. Dans une interview que j'avais faite de lui en novembre 2019 pour le Bondy Blog, le comédien et humoriste Océan parlait de la difficulté, voire de l'impossibilité, de faire des démarches administratives sans un « appui » médical ou psychiatrique  : « Depuis 2016, une loi permet, normalement, de demander un changement d’état-civil sans être hormoné.e ni opéré.e. Mais, en réalité, il y a beaucoup de tribunaux qui ne respectent pas cette loi. C’est un peu ce que je montre dans le film et  je regrette de ne pas l’avoir plus expliqué. Quand je vais voir le psy et l’endocrinologue pour leur demander une attestation, je ne devrais pas avoir à le faire parce que ce n’est plus nécessaire. Sauf que c’est des dossiers tellement lourds qui prennent tellement de temps… Déjà, pour avoir un rendez-vous au tribunal, c’est des mois d’attente… Comme beaucoup de gens, j’étais très impatient d’avoir de nouveaux papiers donc j’ai préféré blinder et ne pas prendre de risque. Je regrette un tout petit peu de l’avoir fait parce que c’était aussi une solution de facilité, ça aurait pu être plus militant de me présenter sans lettre médicale… ».

Mais ce qui m'intéresse tout particulièrement ici est la manière dont la médecine prend en charge et accompagne, ou n'accompagne pas, les personnes trans dans leur transition. Comment s'exerce le pouvoir médical dans son propre champ. Et l'article Les médecins aux bords de leurs savoirs, même s'il utilise le terme « transformer » au lieu de « transition », permet par une étude menée au sein des commissions des équipes hospitalières pluridisciplinaires « officielles » qui valident chacune des étapes des transitions médicales (hormonales, chirurgicales) des personnes trans, de donner à voir les discours médicaux et psychiatriques et la manière dont les médecins perçoivent et justifient leurs actions. Sur ces commissions on peut lire dans le texte : « Cette commission joue un rôle déterminant dans le parcours des personnes trans puisqu'elle est l'instance qui entérine leur"entrée dans le protocole" et valide ensuite chaque étape de leur réassignation. Ce pouvoir de décision est d'autant plus important qu'il s'exerce en dehors de la présence des personnes concernées »

Médecine et naturalisation :

Quand il est question des personnes trans, et même en général pour la médecine, c'est de nature dont il est question, et donc c'est par des catégories naturelles et naturalisantes qu'elle appréhendera la question trans et là est le premier problème de la médecine. Je pense, et cela ne sera pas surprenant, que la médecine étant ce qu'elle est, et ayant le rapport qu'elle a au monde, c'est-à-dire de le voir comme un ensemble d’interactions physiques, chimiques, biologiques et physiologiques, la médecine est l'un des champs qui a le plus intégrer la naturalisation de certaines catégories sociales, ici les catégories homme/femme. Monique Wittig écrit dansLa pensée straight : « L'idéologie de la différence des sexes opère dans notre culture comme une censure, en ce qu'elle masque l'opposition qui existe sur le plan social entre les hommes et les femmes en lui donnant la nature pour cause. […] Car il n'y a pas de sexe. Il n'y a de sexe que ce qui est opprimé et ce qui opprime. C'est l'oppression qui crée le sexe et non l'inverse. » Et ça le monde médical ne l'a pas encore compris.

Et ce que ces échanges au sein des commissions nous apprennent c'est que pour rendre intelligible les questions de transidentité dans sa vision naturalisante du monde, la médecine est obligée de lui donner les signes de la pathologie. Et c'est la psychiatrie par un discours pathologisant qui va rendre la transidentité compréhensible et recevable pour la médecine et son idéologie de la différence des sexes. On peut voir ce rôle de la psychiatrie dans les propos du psychiatre de l'équipe hospitalière pluridisciplinaire de Marseille qu'on retrouve dans l'article Les médecins aux bords de leur savoirs : « Le transsexuel se définit et dit le sexe qu'il a. Le médecin invente une réalité faite de réponses qui lui permettent de suivre le transsexuel là où il dit qu'il est. Ceux qui ne peuvent pas agir et parlent – les psychiatres – inventent un cadre où ils peuvent le rencontrer, que ce soit au nom d'un délire ou d'un syndrome nouveau dit de Benjamin. ».(le syndrome de Benjamin étant le nom de la pathologie psychiatrique qui correspond à la transidentité). Nous sommes donc face à une médecine qui « accompagne » – si on peut parler d'accompagnement – les personnes trans dans leur transition dans la mesure où la transidentité s'énonce dans ses termes, c'est-à-dire dans des termes pathologiques et psychiatriques. On voit aussi dans les propos du psychiatre de l'équipe de Marseille l’arrogance des sciences médicales qui pensent être des sciences capables de comprendre le monde dans sa totalité depuis leur position, mais qui s'avouent à elles-mêmes et aux autres la supercherie de leurs actions et la fausseté de leurs déclarations.

La question de la pathologisation des transidentités pose aussi la question du remboursement des soins. Dans l'interview déjà citée, Océan parlait du fait qu'il a dû faire une demande d'ALD (affection de longue durée) pour les opérations de réassignations de sexe, sans quoi il n'aurait pas été remboursé. À la question sur les violences médicales que je lui ai posée il m'a répondu : « Typiquement, ce médecin-là me dit : « Pour moi il n’y a pas de problème mais la clinique où j’opère demande l’ALD ». Il se réfugie aussi derrière ça. Tu te retrouves devant un médecin qui te renvoie au fait que tu es malade. Moi je ne voulais pas demander l’ALD, parce que j’ai une mutuelle et que j’ai les moyens. Je ne voulais pas être considéré comme malade. L’ALD, c’est comme une maladie de longue durée, c’est fait par exemple pour les gens qui ont un cancer. Finalement, j’ai été obligé de le faire. Bon, ça s’est retourné positivement : c’est parce que j’ai eu l’ALD que j’ai pu finir ma négociation avec la Sécu. Mais ça ne devrait pas être le cas. Il y a en permanence une vulnérabilité des personnes trans dans le milieu médical. ». Comment penser un système médical qui pourrait prendre en charge financièrement les actes médicaux des personnes trans sans qu'elles soient pathologisées ?

Médecine, psychiatrie et « les Anormaux » :

Lire Les médecins aux bords de leurs savoirs à l'aune des travaux de Foucault sur la psychiatrie nous permet d'aller plus loin et de poser la questions : que font objectivement les médecins au sein des commissions des équipes pluridisciplinaires ? On peut lire dans Les Anormaux,cours de 1974-1975 de Michel Foucault : « La psychiatrie fonctionne – au début du XIXe et tard encore au XIXe, peut-être presque jusqu'au milieu du XIXe siècle – non pas comme une spécialisation du savoir ou de la théorie médicale, mais beaucoup plutôt comme une branche spécialisée de l'hygiène publique. […] C'est comme précaution sociale, c'est comme hygiène du corps social tout entier, que la psychiatrie s'est institutionnalisée (ne jamais oublier que la première revue en quelque sorte spécialisée dans la psychiatrie en France, c'étaient les Annales d'hygiène publique). »

Et il est évident au vu des discussions au sein de ces commissions que la psychiatrie fonctionne comme « une branche spécialisée de l'hygiène publique ». La fragilité des théories psychiatriques qui prennent pour objet la transidentité est flagrante dans la mesure où, que ce soient les psychiatres ou les médecins au sein des équipes hospitalières pluridisciplinaires, tous ne cessent à la fois d'affirmer qu'il est question de pathologie quand il est question de transidentité tout en l'infirmant. T. Bujon et C. Dourlens écrivent que : « La décision d'admission ou d'admission ou d'attente ne s'appuie pas explicitement sur un diagnostic porté sur le candidat à la réassignation. Les médecins de l'équipe lyonnaise se réfèrent , en effet, de moins en moins au terme de « diagnostic », lui préférant désormais le terme d'évaluation. […] Il ne s'agit donc plus de s'assurer de l'existence d'un "transsexualisme vrai" (diagnostic positif) mais de repérer des difficultés pouvant faire obstacle à la réussite de la [transition]. ». Pourtant on lit plus loin par rapport aux commissions : « Et, même si, parfois, tel membre de la commission peut rappeler "qu'il existe quand même bien un syndrome de Benjamin, sinon, on n'en serait pas là..." – signifiant ainsi, s'il en étant besoin, l'ambiguïté du statut de l'évaluation collégiale et le maintien d'une référence même floue à la pathologie –, les informations échangées ne permettent pas d'étayer un diagnostic, elles dessinent plutôt les contours d'un pronostic. ». On voit là encore que l'utilisation de la pathologie et des théories psychiatriques/médicales n'a pour rôle que de justifier le pouvoir médical et psychiatrique.

Il ne fait aucun doute que par sa violence le monde médical et ces commissions excluent, chassent et bannissentt les personnes trans du monde médical, on voit aussi à travers ces commissions que le pouvoir médical est un pouvoir positif comme Foucault a pu le montrer. On peut lire dans Les Anormaux : « On est passé d'une technologie du pouvoir qui chasse, qui exclut, qui bannit, qui marginalise, qui réprime, à un pouvoir qui est enfin un pouvoir positif, un pouvoir qui fabrique, un pouvoir qui observe, un pouvoir qui sait et un pouvoir qui se multiplie à partir de ses propres effets. ».

Et au vue des effets catastrophiques de ce pouvoir médical et psychiatrique, il nous faut repenser un cadre médical et juridique qui permettent aux personnes trans d'être accompagné dans leur transition médicale sans qu'elles ne soient pathologisées, un accompagnement médical qui ne serait pas pathologique ni psychiatrique.

Miguel SHEMA

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