Une interrogation d’abord sur la succession d’envois et de liens circulant sur les réseaux sociaux ; nous tendons à nous laisser submerger par l’indignation quand se croisent en permanence les annonces d’atrocités et d’injustices, mais aussi heureusement les multiples actes de solidarités et de résistance. Il devient difficile de lire ou de distinguer l’essentiel quand les messages et documents deviennent trop nombreux, se succèdent trop vite, avec le risque de voir à nouveau s’instiller la banalisation, l’indifférence.
Je ne sais pas ce qu’il faut faire pour contrer un tel processus, mais je suis persuadé que tous ces derniers mois le support constitué par les réseaux sociaux a été débordé par l’usage qu’en faisaient les personnes engagées dans les mouvements en cours. Très loin des usages prévus au départ, individualistes et mercantiles, même si, malgré nous, nous alimentons les Big Data. En même temps ce débordement présente un côté positif : il préside à la structuration d’une sphère publique oppositionnelle où se croisent les expériences et les points de vue.
En correspondance avec Nuit Debout, les réseaux de solidarité avec les réfugiés, les mouvements de refus de la précarité, le refus de la Loi travail, la dénonciation des violences multiples (policières, sexistes, racistes…) il s’est constitué une véritable sphère de parole et d’expression publique, pleine de ramifications et d’échos qui vient bouleverser la manière d’échanger et de faire de la politique. Des quatre coins du pays et du monde, les manifestations et résistances se croisent et se répondent, de nouveaux cercles se créent pour enrichir notre vision du monde en nous donnant la possibilité d’y prendre position comme jamais nous n’avions pu le faire. Les acteurs du monde de la culture l’ont compris et s’y sont aussi engagés : musiciens, cinéastes, photographes, danseurs, acteurs, plasticiens … Même chose pour l’écologie où nous commençons à percevoir – au travers des résistances et compétences qui s’expriment – l’importance des catastrophes qui se profilent mais aussi l’urgence de se mobiliser et d’alerter plus largement les citoyens.
Ce qui se passe actuellement sur les places des grandes villes nous donne un petit aperçu de cette mutation de la conscience commune.
Il faut que cette multiplicité et cette richesse ne se perdent pas, ne se dissolvent pas dans les poubelles des réseaux sociaux, poussées par de nouvelles informations, par des diversions médiatiques ou par la sape des casseurs qui sévissent également sur les réseaux sociaux. Nous avons besoin de supports et d’outils pour que les expériences et les données produites puissent se cumuler, se croiser, produire de nouvelles formes. On doit bien pouvoir inventer quelque chose à ce niveau ? Des architectures de liens et d’expériences où il soit possible de voyager, de retrouver des données, de créer des sécurités, de dégager des perspectives sans perdre la légèreté, la spontanéité et la réactivité ouverte par les réseaux … Il y va du renouvellement et de l’avenir des mouvements en cours. De la carte des témoignages, apports et questionnements, nous pourrions voir se dessiner les convergences, les ressources, mais aussi les besoins, les manques, les zones d’invisibilité sur lesquels il faudrait s’investir. Je suis persuadé que beaucoup y travaillent déjà, mais cela ne se voit pas encore.
Questions à suivre, travaux en cours !