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Billet de blog 27 octobre 2025

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A Gaza, une lutte quotidienne entre survie et anéantissement

Abeer paralysée depuis sa naissance raconte son quotidien dans Gaza qui n'est plus fait pour les hommes valides et encore moins pour les handicapé(e)s.

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Une vie limitée à une tente

Illustration 1
Mon univers © Abeer


Aujourd’hui, voici  ma réalité , sans embellissement ni exagération, une tente qui est devenue tout mon monde, et une vie réduite , entre un tissu usé et un ciel impitoyable.
Je vis dans une tente  montée sur un terrain que nous louons. Son propriétaire demande un loyer élevé qui dépasse nos moyens. Il nous harcèle  chaque mois en demandant de l’argent, et à chaque fois un conflit  survient entre lui et mes frères qui n’ont rien pour payer.
Notre vie, c’est  une lutte pour la survie,  entre besoins et dignité.
Nous n’avons pas assez de surface  pour tous . Je possède une tente  financée  par vos dons et nous avons fabriqué l’autre nous-mêmes  à partir des restes de tissus qui ont été utilisés comme couvertures. Cela ne nous protège ni  du froid intense ni du soleil brûlant.
Toute la famille, vingt-sept personnes, s’entasse dans  deux tentes. Récemment, mon frère Mohammed, l’aîné, a dû déménager avec sa famille de six personnes dans un camp à Zouaida, et nous - vingt et une personnes-  avons séjourné dans deux petites tentes en très mauvais état.
Ma souffrance est aggravée par mon handicap et mes besoins de santé spécifiques , mais je ne suis pas seule à souffrir. Mon frère a récemment eu de beaux jumeaux que nous  voyons frissonner de froid chaque nuit. Pas de lait, pas de couches, pas d’aliments adaptés à une mère épuisée par l’accouchement et la malnutrition.

Nous manquons d’eau et de  nourriture
La vie est impitoyable: nous cuisinons au feu de bois allumé par ma mère âgée, malgré une maladie respiratoire aiguë. Elle  inhale de la fumée chaque jour pour préparer les repas, tandis que nous essayons de protéger les enfants de cette fumée qui remplit la tente sans la réchauffer.
Nous manquons de nourriture propre et d’eau.
Chaque jour, nous faisons la queue dans des files d’attente appelées « tikiyat » - sorte de soupe populaire- pour obtenir une assiette de nourriture pour chaque famille. Nourriture basique, parfois gâtée,  la seule option que nous avons.
Nous cuisinons sur du bois de chauffage comme nous l’avons fait lors du bombardement . Le gaz est toujours réservé  aux usines et restaurants de shawarma (sorte de restaurant kebab) .
La viande et le poulet : un rêve lointain,  les fruits et légumes : un luxe que personne ne peut se permettre. La vérité est que  nous avons faim.
Nous empêchons nos enfants de quitter la tente afin qu’ils ne voient pas des étals vendant des légumes, des fruits et de la viande, afin qu’ils ne demandent pas ce que nous ne pouvons pas leur fournir . Nous n’avons rien pour nos enfants à part des mensonges et des larmes.

Les bananes «Non, ça ne se mange pas»
Mais ce qui m’a le plus déchiré, c’est ce qui s’est passé il y a quelques jours...
 Mon  neveu, âgé de  trois ans et demi, est sorti de la tente et a vu un marchand  vendre des bananes.
Il a couru vers son père et lui a demandé innocemment  :
"Papa, qu’est-ce que c’est ? C’est quelque chose à manger ? Je veux goûter, papa."
Mon frère s’est figé sur place, puis a pleuré silencieusement. Il a pleuré parce qu’il ne pouvait pas acheter une banane pour son enfant. Imagine que cet enfant ne connaissait pas les bananes, n’en avait jamais vues.
Son père a dû lui mentir  : « Non,  ça ne se mange pas!” »

Juste un trou dans le sable.
Nos vêtements sont usés depuis le début de la guerre, et nous n’avons rien pour les remplacer.
Pas de savon, pas de shampoing, pas d’articles de toilette.
Même les besoins les plus simples ne sont plus satisfaits.
Nous n’avons pas de toilettes et  devons nous soulager en faisant  un trou dans le sable.
Mon handicap m’empêche même de faire cela ;  je pleure chaque jour d’impuissance et d’humiliation.
Aucune intimité, aucun confort, aucun espace personnel.
Pas de lit pour délasser  mon dos tordu.
Le fauteuil roulant est coincé dans le sable et  je reste en place pendant des heures, étouffant d’impuissance avant de suffoquer à cause de l’air surchauffé.
Nous souffrons  de toutes les manières - de la terre, du froid, de la faim, de la douleur.
Ce n’est pas la vie, mais une lutte quotidienne entre survie et anéantissement..
Moi, au milieu de tout cela, j’essaie j de témoigner : nous sommes là, nous vivons encore malgré tout.

Point de rupture: pas d’argent pour les soins

Illustration 2
Abeer, octobre 2025


Nous à Gaza aujourd’hui n’avons pas besoin de calme... Nous avons besoin d’une vie.
Je ne pensais pas que je deviendrais aussi faible, mais il y a juste deux jours, j’ai eu  l’impression de quitter  la vie.
Ma température a terriblement augmenté, j’ai vomi de nombreuses fois, je tremblais d’épuisement, je ne pouvais même pas me tenir debout. Après une nuit difficile , je suis  tombée   dans le coma; ma mère et mes frères m’ont emmenée  à l’hôpital. Comme nous n’avions pas l’argent pour le transport, ils m’ont traînée dans un fauteuil roulant jusqu’au bout... C’est comme si nous transportions notre impuissance sur de petites roues.
Quand nous sommes arrivés, l’hôpital était bondé de malades— blessures, maladies, visages pâles et gémissements remplissant les couloirs. J’ai vu des personnes  allongées sur le sol faute de  place sur les lits, aucune dignité pour préserver leurs corps fatigués.
Je me suis assise parmi eux, titubant de douleur, attendant le regard d’un médecin, un mot, une quelconque attention... Personne n’a fait attention à moi.
Mon état était bénin  comparé à celui des autres comme ils l’ont dit,  mais ils n’ont pas vu comment mon âme était épuisée et mon corps sur le point de s’effondrer.
J’ai perdu connaissance plus d’une fois . Plusieurs heures plus tard, nous sommes finalement arrivés chez un médecin qui m’a ausculté  et prescrit un traitement.
Point de rupture...Je voyais l’impuissance  dans les yeux de ma mère et de mes frères : ils n’avaient pas l’argent pour les médicaments.
Nous sommes allés à la pharmacie, avons demandé au pharmacien de nous donner le  traitement prescrit, l’assurant que  nous allions payer plus tard, mais il a d’abord refusé .
Quelque chose s’est réveillé dans sa conscience ,  il a fini par me donner une dose : « Ne tardez pas à payer » , a-t-il dit . J’ai hélas encore besoin d’autres médicaments . 
Tomber malade à Gaza implique d’ être humilié, de mendier, d’être brisé.
Vos proches sont incapables de vous secourir et n’ont plus que leurs yeux pour pleurer.
Nous sommes fatigués de la vie... fatigués de constater que nous ne valons rien,  n’avons plus de dignité , ni de  patrie .

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