Il faudrait tout de même arrêter avec ces lieux communs que tout le monde se complaît à répéter inlassablement comme le dernier romantisme, le destin tragique auquel Venise est condamnée, Venise se meurt…
Eh bien non, figurez-vous ! Venise ne se meurt pas, Venise vit, ne vous en déplaise ! et d’une vie incroyablement dynamisante et revitalisante ! Et ce, malgré les eaux hautes qui ne sont pas une tragédie ni une fatalité mais un phénomène naturel et nécessaire pour assurer le renouvellement et la circulation des eaux des canaux. Et au lieu de compter chaque jour le nombre de personnes qui y meurent faisant baisser inexorablement le nombre de ses habitants, et contribuant ainsi à alimenter le catastrophisme de rigueur, cette chronique d’une mort annoncée, on ferait mieux d’y compter les naissances. Car des enfants, il y en a à Venise et je vous assure qu’ils n’ont rien à envier aux enfants des villes « de la terre ferme » qui sortent de l’école en slalomant entre les tuyaux d’échappement et les trottoirs étroits, prudemment accompagnés par leurs parents. Ici à Venise les enfants jouent sur les places, foncent avec leurs petites trottinettes à quatre roues, courent dans tous les sens sans craindre la moindre voiture ni la moindre mobylette. Campo San Giacomo, Campo Santa Margherita, Campo Santa Maria Nova, Campo dei Gesuiti etc. Vers quatre heures et demie ou cinq heures venez donc y faire un tour, au risque de vous prendre un ballon sur la tête, ou un jet de pistolet à eau. Et puis il y a les Vénitiens, jeunes et moins jeunes, impliqués dans des initiatives liées au quotidien de la ville, les écoles de « Voga » pour apprendre à ramer, debout, sur ces bateaux longs et étroits, à fond plat, et puis il y a aussi les cours de voile « al terzo », de cette voile quadrangulaire traditionnelle des embarcations de la région, et encore les clubs des différents « Sestieri » de Venise qui s’entrainent quotidiennement, ramant en cadence à 8, 10 ou plus, glissant sur la lagune, debout dans un même geste et un même mouvement. Et puis il y a les « Sagre », les fêtes saisonnières d’origine paysanne, la Sagra del carciofo en mai à l’île de Sant’Erasmo, le jardin potager de Venise avec ses cultures d’artichauts, la Sagra del radicchio en novembre, et encore les fêtes patronales en juin et juillet les fêtes de San Giovanni in Bragora, puis celles de San Pietro in Volta et aussi de San Pietro in Castello, puis de San Giacomo dell’Orio. En juillet c’est aussi la période des régates, celle de Malamocco, puis celle du Redentore, et celle encore de Pellestrina, et ne croyez pas qu’elles soient faites pour les touristes, les Vénitiens y sont attachés comme à la prunelle de leurs yeux, ils préparent ces festivités et ces compétitions des mois et des mois à l’avance. Et la fête de San Rocco ? et celle de la Madonna dell’Apparizione ? Et celle de San Martino en octobre où les enfants passent en grand tintamarre de casseroles et de boîtes de fer recevoir de chaque commerçant bonbons et friandises. Et je pense en avoir oublié une bonne dizaine encore… Non Venise ne se meurt pas, et je peux vous dire qu’on y vit admirablement, une vie de quartier aussi, des commerçants qui connaissent tout le monde et qui ont bien repéré que ces Français qui viennent là régulièrement, ce sont bien des habitants de Venise et pas des touristes. Et je vous passe les manifestations culturelles telles que la Biennale d’architecture cette année, suivie de la biennale de musique contemporaine, et encore celle de la danse, et les expositions d’Art contemporain, puis régulièrement les rencontres avec des artistes de la scène internationale, mais j’aurais l’air de faire de la surenchère. Alors je vous en prie, arrêtez avec ce funeste refrain de répéter que Venise se meurt, Venise se noie... et venez boire une « ombra » au détour d’un canal.