Nous sommes socialistes.
Nous nous sommes (ré)engagés dans ce parti parce que nous croyons qu’il peut encore porter une alternative crédible, au service d’une société plus juste. Cette conviction implique une exigence : ne jamais perdre de vue l’objectif de transformation sociale qui fonde notre engagement.
Conscient du moment politique exceptionnel que nous traversons, nous appelons les députés du groupe socialiste à défendre, avec clarté et rigueur, le mandat confié par les électeurs en 2024. La gauche ne peut pas se satisfaire d’avancées symboliques ni cautionner un budget d’austérité repeint aux couleurs du progrès. Une gauche de gouvernement doit assumer des ruptures réelles, à la hauteur des injustices qu’elle prétend combattre.
La suspension de la réforme des retraites a représenté une étape importante. Elle prouve qu’une gauche lucide et combative peut encore infléchir la trajectoire du pouvoir. Mais cette avancée ne saurait suffire. Le texte n’est pas abrogé, et l’âge légal reste à 64 ans.
Surtout, cette suspension ne peut servir de caution à un budget d’austérité. À quoi bon repousser l’âge de la retraite si, dans le même temps, les fins de mois se tendent et que les travailleurs s’usent davantage ? Une avancée n’en est une que si elle ouvre la voie aux suivantes — pas si elle fige la marche.
Nous entrons désormais dans une nouvelle phase : celle du débat budgétaire. Les compteurs sont remis à zéro et, à la différence de la période précédente, il nous est aujourd’hui difficile d’identifier la stratégie du PS portée à l’Assemblée nationale.
Or, ce projet de loi de finances concentre tout ce contre quoi la gauche s’est construite : le culte du chiffre au détriment du visage humain, le sacrifice du commun sur l’autel de la dette, la résignation face aux puissants. Il prévoit 16 milliards d’euros de coupes — sur les collectivités, le logement, la santé, l’éducation. Ces chiffres ne sont pas abstraits : ils signifient des classes fermées, des lits d’hôpitaux supprimés, des associations menacées.
Ce budget frappe aussi tout ce qui tient encore la société debout : les associations, les acteurs de la solidarité, l’économie sociale et solidaire. Les crédits chutent brutalement, menaçant des milliers d’emplois et des centaines de milliers de personnes accompagnées chaque année. Dans un pays où près de dix millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté, ces coupes ne sont pas des ajustements : ce sont des décisions politiques. On finance le capital, on étrangle la solidarité. Et pendant que le gouvernement appelle au “partage de l’effort”, les entreprises du CAC 40 se versent 80 milliards d’euros de dividendes.
Après des années de discours sur le “réarmement civique”, c’est bien l’État social qu’on continue d’affaiblir au nom d’une prétendue responsabilité budgétaire. En réalité, c’est le retour d’une austérité sans horizon, qui fait payer aux plus fragiles les choix de ceux qui en ont le plus profité, tout en entretenant l’idée qu’il n’existerait pas d’alternative à cette politique.
Ce projet de budget ne récompense pas le travail, il protège la rente. Il ne soutient pas la République, il creuse la fracture. L’amender à la marge ne suffit plus : il faut en changer la logique. La gauche n’existe pas pour gérer la pénurie, mais pour organiser le partage.
C’est dans ce moment d’équilibre fragile que ressurgit la question de la dissolution.
Elle traverse les débats, elle pèse sur les choix, parfois même sur les positions que nous prenons.
Il est évident que la perspective d’une dissolution n’est pas sans danger. Le risque que le Rassemblement national s’impose lors d’élections anticipées est réel, et chacun en mesure pleinement les enjeux. Pourtant, céder à la compromission pour éviter cette échéance serait tout aussi dommageable. Alimenter flou et sentiment d’impuissance profite toujours à l’extrême droite.
Et nous ne sommes pas condamnés à la défaite.
Ce que nous avons construit ces derniers mois en interne et avec nos partenaires — le dialogue, les convergences, la recherche d’un front commun — montre qu’une autre voie est possible. En travaillant dans l’union et la constance, nous pouvons transformer cette période d’incertitude en un levier de reconstruction collective et d’espoir. Mais encore faut-il que cette unité ait un contenu, une ligne claire, un cap partagé. Et ce cap ne peut pas être celui que dessine aujourd’hui le projet de loi de finances.
L’affaire de la taxe Zucman “light” en est l’illustration.
Nous saluons la volonté du groupe socialiste d’avoir remis la justice fiscale au centre du débat et d’avoir défendu le principe d’un impôt plancher sur les grandes fortunes.
C’est un progrès par rapport à l’ancien ISF, mais la gauche ne peut pas s’arrêter à mi-chemin.
En exonérant certaines parts de capital et les actions dites “innovantes”, cette version affaiblie limite sa portée et préserve les patrimoines les plus colossaux.
C’est pourquoi nous défendons l’adoption de la taxe Zucman dans sa version originelle : un impôt plancher universel de 2 %, sans échappatoire, applicable à toutes les formes de richesse.
Non pas un impôt contre les riches, mais un impôt pour la République — rappel du principe inscrit à l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : chacun doit contribuer, selon ses moyens, aux charges communes.
Savoir accepter le compromis à condition qu’il reste au service de la justice effective, voilà la ligne que la gauche devrait suivre.
Au-delà de ce vote, c’est l’ensemble de la gauche qui nous regarde.
Nos partenaires tout comme les militantes et militants qui ont cru à la reconstruction patiente de l’unité.
Les décisions prises dans les jours à venir diront si nous sommes capables de défendre ensemble le retour de la gauche au pouvoir, face à l’urgence de faire barrage à l’extrême droite.
La droite et le Rassemblement national parient sur nos divisions ; à nous de leur prouver le contraire.
Tracer une ligne politique claire, c’est donc reconnaître que ce budget n’est pas un texte de redressement, mais bien la déclinaison de vieux poncifs libéraux. C’est affirmer nos conditions, et assumer d’en tirer les conséquences si elles ne sont pas respectées. C’est, enfin, redonner à la gauche du sens et de la force, en montrant qu’elle sait conjuguer responsabilité et exigence.
Nous appelons donc les députés socialistes à continuer de porter cette exigence : tant que ce budget portera la marque de l’injustice et du renoncement libéral, sans “victoire” probante et préalablement définie, il n’y aura d’autre choix que la censure.
Parce qu’un budget n’est pas un exercice comptable, mais un choix de société. Et parce que la responsabilité, pour la gauche, ne sera jamais synonyme de renoncement.
Mila Jeudy, Pauline Collet, Marion Fournier, Claire Rabès