Chronique du 06/02/2009
L’utopie et l’innovation, ont toujours joué un rôle déterminant dans le développement et l’adoption de la culture numérique. Les technologies de l’information et de la communication ont aussi mis en place une nouvelle réalité, un nouvel urbanisme virtuel. Et ce virtuel vécu invite aujourd’hui des promesses de nouvelles inventions qui vont bien au-delà de la communication et qui s’adressent aux grands problèmes de notre monde, comme la pauvreté et la maladie. Ainsi, on vient d’annoncer la fondation d’une nouvelle université aux États-Unis, l’Université Singularité et dont la mission principale sera d‘essayer d’abriter et d’encourager la recherche en biotechnologie, en nanotechnologie et en cybernétique, afin de modifier la réalité de l’humain, voire du vivant.
La Singularité est un terme qui désigne une profession de foi optimiste, ancrée dans l’inévitabilité d’une convergence entre l’homme et la machine, entre le virtuel et l’intelligent, et qui aura le pouvoir d’augmenter et d’améliorer et le corps et l’intelligence humains. C’est un mélange de réalisme technologique et d’utopisme proche de la science-fiction qui anime ce mouvement d’ingénieurs-philosophes qui veut changer notre monde. La Singularité est proche aussi des mouvances transhumanistes en quête d’un dépassement de la finitude et de la mortalité humaines.
Sans entrer dans les débats byzantins autour des questions éthiques soulevés par ces orientations, ce qui nous intéresse ici, ce sont les liens entre ces sciences de l’intelligent avec le numérique. C’est tout d’abord à cause de l’importance croissante du virtuel comme interface et extension de la réalité sociale. La sociabilité numérique, avec sa décentralisation, son caractère fragmentaire tout comme son imaginaire, invite des augmentations et des extensions. Un Avatar, par exemple, n’est pas simplement une représentation, un tenant-lieu: il a aussi le potentiel d’être un autre soi-même dans un monde virtuel habité par des intelligences semi-autonomes. L’Avatar est une sorte d’incarnation numérique. Le virtuel n’est plus un autre espace humain, il est en train de devenir notre espace habitable. C’est en quelque sorte une nouvelle religion de l’intelligent qui s’annonce.
Le dépassement de la finitude commence par l’extension dans le virtuel, dans la modification du corps grâce à la machine. La convergence entre les deux, selon les adeptes de la Singularité, aura aussi le pouvoir de répondre aux grands besoins de la planète. Les nanotechnologies nous permettront de fabriquer presque n’importe quel matériel sur demande, la biotechnologie résoudra les maladies du corps et les intelligences artificielles, ces anges du virtuel, surmonteront les obstacles séparant notre réalité physique et le virtuel tel qu’on peut les percevoir grâce à la culture numérique.
Ces ingénieurs du futur nous invitent aussi à réfléchir à la mythologie des sciences actuelles, a examiner leur densité historique et surtout à interroger leur potentiel de redéfinition de l’environnement humain dans toute sa diversité. Les modèles émergents de l’humain sont les produits de notre société et de nos savoirs et ils sont en train de tracer les premières lignes du nouveau visage de l’homme de l’ère future. Ce savoir a aussi le pouvoir de créer de nouvelles fractures, de diviser autant que d’unir et de donner lieu à de nouvelles croyances et de nouvelles superstitions.
Rappelons, en guise de conclusion, les mots du poète: “C’est vivre et cesser de vivre qui sont des solutions imaginaires. L’existence est ailleurs.” Le plein virtuel, avec ces promesses et ses pièges, nous convoque tous.